L’Art déco méprisé par le ministère de la Culture

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Il y a eu l’Autoportrait place Vendôme de Boutet de Monvel, puis la chaise longue de Jacques-Émile Ruhlmann, et certainement beaucoup d’autres dont nous n’avons pas eu connaissance. Il y aura désormais le fumoir de Jean Dunand. Incontestablement, le système des trésors nationaux, déjà passablement troué pour l’art plus ancien, est une véritable passoire pour tout l’Art déco.


1. Bernard Boutet de Monvel (1881-1949)
Autoportrait place Vendôme, 1932
Huile sur toile - 107,4 x 89,2 cm
Vente Sotheby’s Paris, 5 et 6 avril 2016
Photo : Sotheby’s
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L’Autoportrait place Vendôme (ill. 1) n’avait même pas été classé trésor national ! Le meuble de Ruhlmann et le décor de Dunand le furent, en leur temps, et même à deux reprises puisqu’après un premier refus de certificat, et des expertises contradictoires, l’État a fait une offre que le propriétaire n’accepta pas, ce qui amena à un deuxième refus de certificat d’exportation. Manifestement, aucune offre ne fut à nouveau faite, ou insuffisante par rapport aux estimations, puisque les deux œuvres purent finalement sortir de France, les certificats étant finalement accordés en 2013 et en 2014. La chaise de Ruhlmann s’est vendue chez Sotheby’s New York le 11 décembre 2019 pour 2 420 000 dollars, un objet qui, comme nous l’écrivions, « manquera longtemps aux collections nationales ». Que dire alors du magnifique ensemble de vingt-sept panneaux de Jean Dunand (ill. 2) qui ornaient la pièce d’un appartement et qui seront vendus aux enchères à Londres chez Phillips le 30 juin prochain ?


2. Jean Dunand
Décor d’un boudoir, dit Les Palmiers, 1930-1936
Laque arrachée grise, argent et or sur latté, applications de métal laqué noir gravées de motifs géométriques
Vente Phillips, Londre, 30/6/21
Photo : Phillips
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L’Art déco est décidément bien mal traité en France. Quand il n’est pas simplement détruit sous l’œil amorphe du ministère de la Culture, il est vendu sans que cela ne l’intéresse davantage. Rappelons que très récemment encore (voir la brève du 4/2/21), dix-huit panneaux de Dunand, provenant cette fois du paquebot Normandie et vendu aux enchères, n’était ni classé trésor national ni acheté par un musée français…
Ce constat désespérant n’est pas près de changer tant que le Musée national d’Art moderne ne fera pas son aggiornamento comme l’avait fait à la fin du XXe siècle le Musée d’Orsay en prenant en compte, enfin, les œuvres des artistes dits « académiques ». La direction du Centre Pompidou est ici directement en cause, et donc par ricochet le ministère de la Culture qui s’en moque tout autant. Redisons-le à nouveau : il est insupportable que ces œuvres soient méprisées par ce musée qui se croit « moderne » en négligeant tout une part de l’art du XXe siècle.

D’autres musées auraient pourtant été intéressées, comme le Musée des Arts décoratifs à Paris, celui des Années 30 à Boulogne-Billancourt ou la Piscine à Roubaix. Mais le prix de telles œuvres - car le désintérêt de certains fonctionnaires français est au moins aussi grand que l’intérêt que leur porte des collectionneurs ou musées étrangers - est trop élevé pour leurs maigres moyens. Ainsi, Olivier Gabet, directeur du Musée des Arts décoratifs explique au Figaro que : « Incontestablement, cette boiserie rarissime aurait ajouté à la compréhension de la période Art déco car Dunand est unique en son genre. Mais on n’a pas les finances pour l’acheter sauf si un mécène nous accompagne ». S’il y avait un ministère de la Culture (nous voulons parler d’un vrai ministère de la Culture, qui jouerait son rôle), il nommerait au Centre Pompidou un véritable historien de l’art, qui aurait à cœur de montrer l’intégralité de l’art du XXe siècle, ou il donnerait des moyens aux musées que nous avons cités pour acquérir de telles œuvres. Rappelons une nouvelle fois que le budget annuel du ministère pour les acquisitions des musées a été divisé par deux il y a dix ans, et n’a jamais depuis été augmenté. En euros constants, cela représente une baisse de 54 % entre 2010 et 2021. En millions d’euros cumulés, environ 100 millions d’euros ! Remercions pour cela François Hollande, ses ministres de la Culture successifs, ainsi qu’Emmanuel Macron et ses ministres de la Culture successifs qui ont entériné et poursuivi avec constance et obstination cet appauvrissement des musées et du patrimoine français. Et ne laissons pas dire que cela a été compensé par le système des trésors nationaux et du mécénat car cela existait auparavant (et parce que cela devient de moins en moins efficace).

Voilà pourquoi nous confirmons le terme d’hémorragie d’œuvres d’art que nous avions employé lors de notre interview de Roselyne Bachelot et qui ne lui convenait pas, car elle le trouvait exagéré. Non, nous n’avons rien exagéré, et certainement pas pour l’Art déco.

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