Île de la Cité : l’Hidalgoisation des esprits

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1. Avant : la Seine et Notre-Dame
Après : cette photo est intitulée dans les visuels
de presse « Retrouvailles avec la Seine »...
Comparaison présentée dans l’exposition
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Qu’allait-il faire dans cette galère ? Philippe Bélaval est un homme cultivé et amoureux des monuments historiques, même s’il a été directeur des Patrimoines sous la présidence de Nicolas Sarkozy (personne n’est parfait). Il dirige plutôt bien, voire très bien le Centre des Monuments Nationaux et à part quelques fausses notes (Nikos Aliagas exposé à la Conciergerie par exemple), il organise des expositions intéressantes, et mène nombre de chantiers de restauration dans les règles de l’art. C’est dire qu’on ne l’attendait pas dans cette « mission île de la Cité, le cœur du cœur » (sic). Il est vrai qu’il n’était pas forcément demandeur et que le promoteur de cette idée n’est autre que le président de la République (qui ne le sera plus dans moins de trois mois, mais qui n’hésite pas à faire œuvre d’urbaniste « pour les vingt-cinq prochaines années »).

Le résultat, en définitive, n’est pas surprenant. Car à Philippe Bélaval, François Hollande a associé un « starchitecte », sûrement l’un des plus médiocres : Dominique Perrault. L’homme du ratage de la Bibliothèque nationale de France, celui de l’éviscération de la vieille aile du château de Versailles et de son remplacement par un hall d’hôtel façon Dubaï (voir notre article).
Il fallait s’attendre à du lourd et, sur ce plan, on n’est pas déçu.

Fort heureusement, il ne s’agit pour l’instant que d’orientations, d’idées dont on espère qu’elles ne seront pas mises en œuvre (mais en matière d’urbanisme hélas, le pire est souvent sûr), que nous nous proposons de détailler ici. L’ensemble fait l’objet d’une exposition qui ouvre demain à la Conciergerie.
Le visuel sans doute le plus effrayant car il symbolise l’ensemble du projet est cette juxtaposition d’un avant et d’un après (ill. 1). Avant : un monument exceptionnel, Notre-Dame et les quais de la Seine, éclairés de nuit. Paris tel qu’on l’aime et tel que les touristes l’aiment. Après : la même vue avec des barges lumineuses qui obstruent presque entièrement ce bras du fleuve et où l’on devine plein de lieux conviviaux et festifs réinventés qui font passer le monument et le site au second plan, transformant la ville en une gigantesque boite de nuit. On est, ici, dans une vision totalement blade runnerisée de la ville, telle que le montraient déjà des vues des Champs-Élysées des rêves de la maire de Paris. Tout le projet en réalité n’est qu’une longue déclinaison des conceptions hidalguiennes de l’urbanisme.

Les conclusions du rapport sont structurées en 35 propositions. Il serait fastidieux de les traiter point par point d’autant que certaines peuvent être regroupées. Nous en présenterons donc une synthèse en commençant par la plus acceptable.


2. Le quai sud de l’Île de la Cité
tel que le prévoit le projet
© Dominique Perrault Architecture / DPA-ADAGP
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3. Vue du sud de l’Île de la Cité tel que le prévoit le projet
© Dominique Perrault Architecture / DPA-ADAGP
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Piétonnisation partielle de l’île

4. La « place de Lutèce », nouvelle place Saint-Marc
© Dominique Perrault Architecture / DPA-ADAGP
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La piétonnisation de Paris est à la mode. Celle qui est proposée sur l’île de la Cité et qui concerne essentiellement les quais sud et le pont de l’Archevêché reste modérée et concerne des voies où la circulation automobile est déjà assez faible. Notons que les auteurs du rapport donnent des verges pour se faire battre, la couleur dorée des sols ne correspondant d’après eux qu’à une convention pour indiquer les lieux concernés par les propositions (ill. 2 et 3). Il n’est a priori heureusement pas question de remplacer les pavés par du métal (quoiqu’avec Dominique Perrault, il faille se méfier). On remarquera que les vues du projet ignorent totalement la circulation du nord au sud qui continuera sur trois axes (Pont-Neuf, rue de la Cité et boulevard du Palais) et que les petits personnages qui déambulent sur cette voie piétonne traversée par plusieurs grandes chaussées (ill. 3) risquent de finir écrabouillés.
De même, l’ambition de vouloir créer l’équivalent de la place Saint-Marc (sic) à l’emplacement actuel de la rue de Lutèce (on « réinvente » l’actuelle place), soit du Palais de Justice à la préfecture de Police, apparaît particulièrement ridicule et grandiloquente quand on constate que cette place de Lutèce est coupée à nouveau par le boulevard du Palais. Les vues d’architecte, c’est toujours très joli, mais cela rend rarement compte de la réalité.
S’il ne s’agissait que de ça (une mesure que les auteurs du rapport souhaitent rapide), ce ne serait guère gênant.


5. Plan de niveau rue
On voit les deux nouveaux ponts à l’ouest.
© Dominique Perrault Architecture / DPA-ADAGP
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Deux passerelles supplémentaires

Le rapport propose de poursuivre le réseau de ponts entre les deux rives de l’île (en bleu sur le plan, ill. 5). Mais a-t-on, réellement, besoin de deux nouvelles passerelles pour accéder à la Cité ? La multiplication des ponts est coûteuse, sans réel intérêt, et elle nie l’histoire de l’île qui a toujours été rythmée par les ponts existants. On peut toujours créer de nouvelles passerelles et les exemples récents montrent que les architectes sont plutôt doués dans ce type d’exercice. Mais à quelle nécessité profonde répondent ces nouvelles passerelles ? Selon le rapport, l’une « faciliterait l’accès au nouvel accueil du Palais de Justice depuis la rive droite » et l’autre améliorerait « la relation de l’île avec le quartier Saint-Michel ». Il nous avait échappé que le quartier Saint-Michel était mal relié à l’Île de la Cité.


6. Le marché aux fleurs
Photo : Didier Rykner
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7. Le marché aux fleurs, détail des halles métalliques
Photo : Didier Rykner
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Destruction du marché aux fleurs

8. L’esquisse du « Crystal Palace » remplaçant le marché au fleur tel qu’il apparaît sur le projet
© Dominique Perrault Architecture / DPA-ADAGP
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Beaucoup plus gênant est le projet de destruction pure et simple du marché au fleurs existant pour le remplacer par une construction haute comme le tribunal de Commerce. Une proposition stupéfiante alors que dans le rapport on pouvait lire (p. 26) « Il est naturellement exclu pour d’évidentes raisons, d’ajouter de nouveaux bâtiments sur l’île ou de construire en hauteur. » Pourtant, faisant le constat que le marché aux fleurs est abrité dans des « locaux vétustes » qu’il faudrait le remplacer par « une serre, sorte de "Crystal Palace" » ! Les locaux vétustes que dénonce le rapport, ce sont des halles métalliques de la fin du XIXe siècle qu’il conviendrait assurément de restaurer (ill. 6 et 7), certainement pas de remplacer même par « une sorte de "Crystal Palace" » (ill. 8). Va-t-on une nouvelle fois détruire des halles du XIXe siècle au cœur de Paris ? Va-t-on remplacer le charme désuet mais authentique de cette institution parisienne par une construction moderne, au cœur de l’Île de la Cité ?



L’île de la Cité : une grande agora « agrandie par le dessous »

9. L’aménagement de la place Dauphine prévu par le projet
© Dominique Perrault Architecture / DPA-ADAGP
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Le rêve manifeste des auteurs du rapport est de désenclaver tous les bâtiments afin que tout le monde puisse aller un peu partout. Mais sachant que la Préfecture de Police restera en place et qu’une grande partie des services du ministère de la Justice (notamment la Cour d’appel et la Cour de cassation) ne déménageront pas, il est évident que ces institutions n’ont pas vocation à faire partie d’une grande fête collective. Suggérer, comme dans une des propositions du rapport de « créer partiellement des arcades publiques le long du Quai du Marché Neuf permettant d’accueillir différentes activités ouvertes au public, sans rompre la parfaite autonomie de la Préfecture » paraît ainsi profondément absurde. Sur l’Île de la Cité nouvelle version, on circulera partout, et on circulera également beaucoup en sous-sols. Il est prévu de développer ceux-ci sans doute pour rendre les choses encore un peu plus difficiles à gérer le jour où surviendra la grande crue de la Seine. À la préfecture, on « densifiera les surfaces par le dessous », ce qui permettra d’en « assurer la défense en profondeur » (?). Le Tribunal de Commerce sera lui aussi « agrandi par le dessous ». Tout sera relié avec tout, et réciproquement : la place de Lutèce sera « reliée par le dessous » avec « l’ensemble des institutions situées autour par la création d’une Grande Galerie » ! Cette Grande Galerie (les majuscules sont d’origine) souterraine permettrait « d’orienter, défiler et d’accueillir sur un même sol, dans des conditions d’accueil optimales, les différents publics des divers équipements »… Quant au Palais de Justice, il sera « étendu et reconfiguré sous le sol » « en convertissant les premiers niveaux du parc de stationnement » (ça fera des bureaux riants, à moins qu’on ne remette en service des cachots), et on « développera en sous-face ses éléments majeurs » (là nous avouons ne pas avoir bien compris).
Cela aura au moins une conséquence désastreuse : un passage souterrain est prévu à partir de la place Dauphine qui sera ainsi en partie excavée (ill. 9) : l’ancienne place royale, déjà bien malmenée au XIXe siècle par le rehaussement de plusieurs immeubles, serait ainsi défigurée cette fois par le sol.


10. Vue d’ensemble du projet
© Dominique Perrault Architecture / DPA-ADAGP
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Des dômes partout

Sous prétexte que ponctuellement, certains édifices ont eu des cours couvertes, le projet prévoit de couvrir un nombre de cours intérieures record dans à peu près tous les bâtiments de l’Île de la Cité (ill. 10). Nous ne discuterons pas, point à point, ces couvertures, car nous ne connaissons pas toutes ces cours dont certaines se trouvent dans le Palais de Justice, ou dans la Préfecture de Police. Certaines sont peut-être d’un intérêt mineur et pourraient probablement sans trop de dégâts être recouvertes. Mais on remarquera cependant que les quatre cours d’angle de l’Hôtel-Dieu seront couvertes de telle manière que ces constructions seront visibles sur les grands côtés de ce bâtiment. Rien de discret donc, alors que ce monument mériterait au contraire une réelle mise en valeur, pas d’être défiguré par des adjonctions modernes. On s’amusera, à ce propos, du charabia utilisé dans le rapport qui estime que l’enceinte actuelle de l’Hôtel-Dieu rend celui-ci « hermétique à la vie urbaine »… Rappelons que l’Hôtel-Dieu a vocation à demeurer en partie un hôpital, et qu’il serait plus que souhaitable qu’une autre partie, conséquente, soit affectée comme l’avait promis l’Assistance Publique au Musée de l’APHP. Ni un musée, ni un hôpital n’ont vocation à être « perméables à la vie urbaine », pour des raisons évidentes de calme pour l’un, et de sécurité pour l’autre.


11. Parvis de verre devant la cathédrale Notre-Dame
© Dominique Perrault Architecture / DPA-ADAGP
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Une dalle en verre sur le parvis de Notre-Dame

Mais l’une des propositions les moins acceptables de ce rapport, c’est bien la création d’une immense dalle de verre (ill. 11) au-dessus de la crypte archéologique de Notre-Dame et devant sa façade. Chez nos architectes, le verre est désormais le matériau roi (l’une des photos distribuée à la presse est d’ailleurs intitulée : « L’île de pierre, l’île de verre » !). On le trouve partout : des murs en verre, des tours en verre, des parvis en verre… Peut-on imaginer négation plus absolue de Paris qui est une ville de pierre ? Les parvis des cathédrales sont des endroits particulièrement sensibles qui sont malheureusement souvent extraordinairement maltraités, de celui de Chartres (voir notre article) à celui de Rouen défiguré par un bâtiment qui a lui-même remplacé un horrible édifice, de celle d’Amiens à, peut-être demain, celle de Paris. Laissons la cathédrale Notre-Dame en paix et si la crypte archéologique n’est pas suffisamment visible, améliorons plutôt sa signalétique…

12. Projet présenté par Nathalie Kosciusko-Morizet pour
la couverture du périphérique porte d’Aubervilliers
© D. R.
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Une question idiote implique souvent une réponse qui ne l’est pas moins. Il en va ainsi de celle posée par le Président de la République (« rendre à l’île une vie ») qui aurait mieux fait de laisser l’île de la Cité en paix. Il y a, c’est certain, des améliorations à faire sur l’Île de la Cité, mais celles-ci résultent davantage du bon sens que du programme d’un architecte. Comme nous le disions dans le titre, ces propositions ressemblent étrangement aux nombreux projets que la mairie de Paris veut imposer à Paris. Alors que les oppositions à Anne Hidalgo se font de plus en plus vives (hélas, rarement sur les sujets qui nous préoccupent), on constate bien au contraire une véritable surenchère entre les différents politiques pour trouver des idées encore plus absurdes ou néfastes que celles qu’elle impose à Paris depuis déjà près de trois ans. Cette Hidalgoisation des esprits, comment ne pas la voir dans ce projet pour l’Île de la Cité (elle s’est d’ailleurs, rien d’étonnant, déclarée « très enthousiaste », d’après Le Parisien) ou, pour prendre un autre exemple, celui que suggérait Nathalie Kosciusko-Morizet pour la couverture du périphérique (ill. 12) ? Winter is coming

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