L’état des églises parisiennes (5) : Saint-Séverin

1. Émile Signol (1804-1892)
Le Mariage de la Vierge
État le 18 février 2017
Peinture murale, chapelle Saint-Joseph
Paris, église Saint-Séverin
Photo : Didier Rykner
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Parmi toutes les églises parisiennes en péril - il serait beaucoup plus rapide de lister celles qui sont en bon état - l’une des plus menacées est incontestablement Saint-Séverin, notamment ses décors intérieurs. Le problème n’est certes pas nouveau : des infiltrations ont abimé les peintures murales dès le XIXe siècle. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire, au contraire même. Or, ne rien faire, même pas stabiliser la situation en attendant d’hypothétiques travaux à venir, c’est exactement la politique de la Mairie de Paris.

Lors d’une visite récente dans cet édifice, nous avons en effet pu constater avec effroi non seulement que les dégradations sur certaines peintures ne cessaient de s’aggraver, mais que celle d’Émile Signol représentant Le Mariage de la Vierge, sur la paroi droite de la chapelle Saint-Joseph, était en train de s’écailler, la surface picturale tellement décollée qu’un courant d’air pourrait suffire à la détacher complètement du mur et à la perdre définitivement (ill. 1).
Nous avons alors twitté l’urgence à Bruno Julliard, l’adjoint d’Anne Hidalgo en charge du patrimoine, pour lui demander expressément, a minima, d’envoyer sur place un restaurateur afin de stabiliser la situation en appliquant du papier Japon sur la surface picturale concernée. Nous avons renouvelé à plusieurs reprises cet appel via Twitter, et au bout de quelques jours nous avons été rappelé par son cabinet qui nous a dit qu’il nous apporterait des réponses rapidement, et nous a demandé d’arrêter d’interpeller l’élu sur ce sujet. Nous avons donc attendu la réponse, et nous n’avons pas été déçu : il n’y a évidemment rien à attendre de cette équipe municipale qui se moque comme d’une guigne du patrimoine en général, et du patrimoine religieux en particulier.
Voici exactement ce qui nous a été répondu : « Dans l’église Saint-Séverin, en 2017 nous avons prévu d’effectuer des carottages des murs pour vérifier le taux d’humidité et ainsi qu’une étude des verrières du chœur en termes sanitaires, pour vérifier si on peut procéder à des restaurations de peintures murales. En ce qui concerne la peinture murale sur laquelle vous nous interrogez, d’une part les papiers japon ne sont qu’une solution temporaire car ils ne peuvent rester en place plus de quelques semaines, sinon la peinture peut partir avec eux au moment de les retirer, et le simple fait d’installer un échafaudage pour mettre ce papier japon nécessite un investissement conséquent qui ne peut se justifier que si nous sommes en mesure de poursuivre dans la foulée par une restauration complète. Face à des besoins multiples, nous nous efforçons de répondre avec méthode et en mobilisant des partenaires à nos côtés, comme récemment pour Delacroix à Saint-Sulpice, la chapelle de la Vierge à Notre-Dame d’Auteuil ou la chapelle des Baptêmes à Notre-Dame de Lorette. »

Analysons tout cela, donc : on nous affirme que le taux d’humidité des chapelles va être contrôlé en 2017, et qu’une étude des verrières du chœur va être faite pour des restaurations à venir dont on ne sait ni la date (forcément, cela n’est absolument pas prévu pour l’instant) ni le financement (Saint-Séverin n’a d’ailleurs jamais été évoquée dans les édifices sur lesquels il y aurait des travaux pendant le mandat actuel). Inutile de dire que ces « carottages » et ces « études des verrières », à supposer qu’ils soient bien effectués, ne résoudront rien.

2. Victor Orsel (1795-1850)
Décor de la chapelle de la Vierge
État en février 2017
Paris, église Notre-Dame-de-Lorette
Photo : Didier Rykner
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On poursuit en nous affirmant que les papiers japon ne sont qu’une solution temporaire ne pouvant durer que quelques semaines. Non, vraiment ? C’est ce que nous écrivions, par exemple, à propos de ceux que la Mairie de Paris a installé à Notre-Dame-de-Lorette (ill. 2) depuis des années sans manifestement se préoccuper une seule seconde du fait, réel, qu’il ne s’agit que d’une solution temporaire. Au moins cette solution temporaire, même dangereuse à long terme, l’est tout de même moins que de laisser effectivement la peinture tomber comme ce sera le cas prochainement à Saint-Séverin (si ce n’est déjà fait, notre constat remonte déjà à plus de deux semaines). L’enlèvement au bout de plusieurs années de papier japon destiné à ne rester que quelques semaines est évidemment délicat, mais il semble possible puisque c’est exactement ce qui a été fait dans la chapelle des Fonts-Baptismaux de Notre-Dame-de-Lorette récemment restaurée (voir la brève du 27/12/16).

Vient ensuite l’argument du coût : cette solution temporaire obligerait à installer un échafaudage pour 20 000 €, sans restauration prévue derrière. Non seulement l’intervention, à faible hauteur, n’oblige sûrement pas à mettre en place un échafaudage de ce prix, mais même si c’était le cas, il faudrait évidemment le faire et prioriser d’urgence cette restauration. En supposant que le taux d’humidité ne permette pas de la faire immédiatement, il faudrait stabiliser la situation et mettre d’urgence les travaux sur cette église en tête des priorités de la Ville, incluant les solutions pour assécher les murs. Mais tout cela est trop cher face à des « besoins multiples », pour une ville qui dépense chaque année (entre autre) environ 75 millions pour le « budget participatif » c’est-à-dire pour des projets facultatifs (voir nos articles à ce sujet). Nous sommes habitué à cette éternelle réponse de la Mairie de Paris qui prétend qu’elle n’a pas d’argent et qu’elle fait déjà beaucoup. C’est faux et nous ne cessons de le démontrer, article après article. Nous rendons d’ailleurs compte ici régulièrement des restaurations effectuées, qui se comptent, pour les peintures murales, sur les doigts d’une main.



Les peintures murales de l’église Saint-Séverin... par latribunedelart


Nous n’avons parlé ici que de la peinture la plus en danger à court terme. Mais en réalité, c’est au moins la moitié des décors des chapelles qui sont gravement dégradés et dont la détérioration se poursuit inexorablement. Nous renvoyons à la vidéo que nous mettons en ligne en même temps que cet article - ainsi qu’à notre base Stella, où nous avons déjà listé la plupart des œuvres de l’église - et reproduisons ci-dessous quelques-unes des peintures murales en très mauvais état et qui nécessitent une restauration urgente.


3. Paul Flandrin (1811-1902)
La Prédication de saint Jean-Baptiste
État le 18 février 2017
Peinture murale, chapelle des Fonts-Baptistmaux
Paris, église Saint-Séverin
Photo : Didier Rykner
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 Chapelle des Fonts-Baptismaux : commandée en 1843 à Paul Flandrin, elle représente à droite La Prédication de saint Jean-Baptiste. Cette peinture est en grande partie pulvérulente, avec déjà de nombreux manques (ill. 3).

 Chapelle Sainte-Anne : son décor a été commandé en 1849 à François-Joseph Heim ; si celui-ci n’est pas en bon état, sa conservation ne semble pas menacée à court terme.

 Chapelle Saint-Joseph : celle d’Émile Signol, dont nous avons déjà parlé (il s’agit d’une commande faite en 1845).

 Chapelle Saint-André : Jean-Victor Schnetz, commande de 1849 ; là encore, les peintures sont en mauvais état, mais ne risquent rien à court terme.

 Chapelle Saint-Pierre : son décor est dû à Victor-Eloi Biennoury, et la commande a été passée en 1850 ; il est en mauvais état et en partie (notamment sur la droite) menacé à court ou moyen terme.


4. Jean Murat (1807-1863)
Le Christ chez Marthe et Marie
État le 18 février 2017
Peinture murale, chapelle Sainte-Madeleine
Paris, église Saint-Séverin
Photo : Didier Rykner
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 Chapelle Sainte-Madeleine : peinte par Jean Murat (un élève d’Ingres) à qui le décor a été commandé en 1844. La paroi droite notamment est en très mauvais état (ill. 4).


5. Hippolyte Flandrin (1809-1864)
La Cène
État le 18 février 2017
Peinture murale, chapelle Saint-Jean
Paris, église Saint-Séverin
Photo : Didier Rykner
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 Chapelle Saint-Jean : commandée à Hippolyte Flandrin en 1840, il s’agit d’une des plus importantes de ce cycle, du point de vue de l’histoire de l’art, et d’une parmi les plus mal conservées (ill. 5), au moins sur la partie droite (la photo parle d’elle-même). Cela fait longtemps que l’œuvre est dans cet état, et aucune restauration n’a jamais été entreprise (en tout cas récemment). Le mur droit, et la composition en haut du mur gauche sont heureusement en nettement moins grand péril.


6. Alexandre Hesse (1806-1879)
Sainte Geneviève distribuant du pain aux pauvres
État le 18 février 2017
Peinture murale, chapelle Sainte-Geneviève
Paris, église Saint-Séverin
Photo : Didier Rykner
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 Chapelle Sainte-Geneviève : le décor est par Alexandre Hesse ; il lui a été commandé en 1850. Cette chapelle est en mauvais état (ill. 6).

 Chapelle Saint-Séverin : décor de Sébastien Cornu (encore un élève d’Ingres), en état moyen.


7. Pierre-Auguste Pichon (1805-1900)
Le pape saint Clément envoyant
des missionnaires dans les Gaules

État le 18 février 2017
Peinture murale, chapelle Saint-Michel
ou des Saints-Anges
Paris, église Saint-Séverin
Photo : Didier Rykner
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 Chapelle Saint-Michel ou des Saints-Anges : décor dû au pinceau de Pierre-Auguste Pichon, commandé en 1857, en très mauvais état (ill. 7).

 Chapelle Saint-Jérôme : ces peintures murales de Jean-Léon Gérôme, commandées en 1850, peuvent être considérées comme celles les mieux conservées de l’église.


8. Auguste Leloir (1809-1892)
La Translation de la couronne d’épines
État le 18 février 2017
Peinture murale, chapelle Saint-Louis
Paris, église Saint-Séverin
Photo : Didier Rykner
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 Chapelle Saint-Louis : La Translation de la couronne d’épines par Jean-Baptiste-Auguste Leloir (ill. 8), commandée en 1851, est la peinture sans doute la plus abîmée et la plus menacée de destruction de toute l’église ; une grande partie a d’ailleurs disparu.

 Chapelle Saint-Charles-Borromée : commandée en 1851 à Félix Jobbé-Duval : des tableaux semblent avoir remplacé certaines peintures ; seul le registre haut de la paroi droite est encore visible, en état correct semble-t-il.


9. Victor Mottez (1809-1897)
Apothéose de saint François-de-Sales
État le 18 février 2017
Peinture murale, chapelle des Saint-François-de-Sales
Paris, église Saint-Séverin
Photo : Didier Rykner
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 Chapelle Saint-François-de-Sales : ces peintures murales de Victor Mottez (élève d’Ingres), commandées en 1852, sont dans un état de conservation très préoccupant. (ill. 9).


10. Jules Richomme (1818-1903)
Saint Vincent de Paul plaidant la cause des enfants trouvés
État le 18 février 2017
Peinture murale, chapelle Saint-Vincent-de-Paul
Paris, église Saint-Séverin
Photo : Didier Rykner
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 Chapelle Saint-Vincent-de-Paul : la peinture de Jules Richomme est à peu près invisible et en très mauvais état de conservation (ill. 10).

Rappelons le : l’entretien et la restauration des monuments historiques n’est pas facultative. La loi oblige leurs propriétaires à les entretenir et à les restaurer, et les édifices cultuels construits avant 1905 appartiennent à la Ville de Paris. La loi prévoit également que le ministère de la Culture puisse imposer des travaux d’offices aux propriétaires de monuments menacés par l’absence de restauration. On est, avec de nombreuses églises parisiennes, dans ce cas. La responsabilité de la Mairie est écrasante. Celle de la direction des Patrimoines, qui ne fait rien pour sauver ces monuments, ne l’est pas moins. En attendant, nous allons continuer à interpeller Bruno Julliard sur cette question. Et nous encourageons tous nos lecteurs à le faire.

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