Hôtel Mezzara : Take the money and run

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Dans notre premier article consacré à l’hôtel Mezzara d’Hector Guimard (ill. 1 à 8), écrit en avril 2020, Bénédicte Bonnet Saint-Georges écrivait : « il faut croire que le patrimoine est considéré comme un fardeau et que tous les prétextes sont bons pour ne pas dépenser un sou à son profit. »
La réalité est bien pire : non seulement l’État ne veut pas dépenser un sou pour la conservation de ce patrimoine, mais il veut que cela lui rapporte un maximum. Rien n’expliquerait sinon pourquoi le premier appel à candidature est resté infructueux. Il démontre ainsi qu’il n’a rien retenu des leçons de l’hôtel de la Marine, ou du château de Grignon, qu’il voulait céder aux plus offrants qui étaient en même temps les moins disants sur le plan patrimonial, pour finalement reculer devant les réactions des défenseurs du patrimoine. C’est, espérons-le, ce qui va se passer pour l’hôtel Mezzara [1].


1. Hector Guimard (1867-1942)
Street façade of the hôtel Mezzara
Photo : Didier Rykner
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2. Hector Guimard (1867-1942)
Façade sur jardin de l’hôtel Mezzara
Photo : Didier Rykner
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Nous renvoyons à cet article pour les informations sur l’historique et l’architecture du monument. À la date de sa publication, l’appel à candidature n’avait pas été lancé. Il l’a été depuis et, malgré un projet porté par le Cercle Guimard et un mécène qui apportait toutes les garanties demandées, a été déclaré infructueux sans que les raisons de cette décision aient été rendues publiques ni même expliquées aux candidats. Et pour cause : toutes les conditions étaient remplies.
La première était : « des garanties qui seront données pour respecter les mesures de conservation et de sauvegarde des biens meubles et immeubles ». Le projet consistait à faire restaurer l’édifice dans le strict respect de son caractère de monument historique par l’architecte en chef des monuments historiques Pierre-Antoine Gatier, et à le transformer en musée Guimard géré par le Cercle Guimard, bénéficiant de nombreux dépôts de collections privées et publiques, et accompagné d’un comité scientifique où l’on trouvait notamment Christophe Leribault, alors directeur du Musée du Petit Palais et aujourd’hui président du Musée d’Orsay.
La deuxième était : « La solidité financière de l’offre participe de cette garantie, dans la durée. » Or le mécène, Fabien Choné, qui accompagne le Cercle Guimard dans ce dossier, proposait de payer la restauration entièrement à ses frais, soit quatre millions d’euros, sans demander un euro à l’État. Si le projet ne parvenait, in fine, pas à être viable, l’hôtel reviendrait alors à l’État, entièrement restauré.


3. Hector Guimard (1867-1942)
Escalier de l’hôtel Mezzara
Photo : Didier Rykner
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Le seul risque - faible compte-tenu de la solidité du projet - était donc que l’État récupère à terme un monument entièrement restauré, alors qu’aujourd’hui il dispose d’un bâtiment nécessitant quatre millions d’euros de travaux. Encore ce chiffre était-il celui qui prévalait au moment du premier appel d’offre. Aujourd’hui, le coût des matériaux de construction ayant flambé, le chiffre serait nettement plus élevé…


4. Hector Guimard (1867-1942)
Haut de l’escalier de l’hôtel Mezzara
Photo : Didier Rykner
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Pourquoi donc avoir refusé cette offre ? Aucune explication, nous l’avons dit, n’a été donnée. Et désormais l’État lance un nouvel appel à candidature (date limite de réception des offres le 13 juin 2023), avec des critères différents : il ne s’agit plus d’un bail emphytéotique de 50 ans, mais de 80 ans, et le candidat doit proposer une redevance payable en une fois pour ces 80 années. On n’est donc plus là dans une véritable location, mais bien dans une vente semblable à ce que les Anglais appellent le « leasehold », une cession valable pendant près d’un siècle. Cela n’engage pas beaucoup le ministère des Finances actuel qui peut se targuer de ne pas vendre le bien tout en bénéficiant de presque les mêmes avantages, et en prétendant (c’est le terme officiel) « valoriser » le monument.


5. Hector Guimard (1867-1942)
Verrière de l’hôtel Mezzara (vue de dessus)
Photo : Didier Rykner
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6. Hector Guimard (1867-1942)
Cabinet de toilette de l’hôtel Mezzara
Photo : Didier Rykner
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On constate donc que ce projet permettrait de créer à Paris un musée dédié à l’Art nouveau, rejoignant ainsi d’autres villes européennes comme la Belgique avec le Musée Horta à Bruxelles, ou la Casa Museu Gaudí à Barcelone (et en France Nancy, avec le Musée de l’École de Nancy). Il offrirait aussi au public l’occasion de visiter la seule demeure de Guimard en mains publiques et de renforcer l’intérêt touristique du XVIe arrondissement, de nombreux autres immeubles de Guimard se trouvant à proximité de l’hôtel Mezzara. Ce projet ne coûterait rien à l’État, tout étant pris en charge par le privé et notamment par un mécène particulièrement généreux, qui à terme se propose de participer au ameublement du bâtiment avec les collections qu’il réunit avec opiniâtreté : il a ainsi tout récemment acquis dans une vente aux enchères à Brest le mobilier de la chambre de Paul Mezzara (ill. 9 et 10), par Léon Jallot, afin de l’installer dans l’hôtel, dans son ancienne chambre. Ce lit présentant les dentelles de Paul Mezzara avait été exposé au salon des Artistes Décorateurs de 1910, et une photo avait été publiée dans la revue « Arts et Industrie » (ill. 11). Notons aussi que c’est le même Léon Jallot qui est l’auteur, sous la direction de Guimard, de la frise en céramique du salon. Ce dernier s’entourait de divers talents, dont Charlotte Chauchet-Guilleré, qui a réalisé la peinture murale de la salle à manger, au-dessus du mobilier de Guimard classé in situ. Fabien Choné possède également dans sa collection une œuvre de cette artiste qu’il exposerait ici, si le projet de musée aboutissait...


7. Hector Guimard (1867-1942)
Salon de l’hôtel Mezzara
Photo : Didier Rykner
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8. Hector Guimard (1867-1942)
Dining room of the hôtel Mezzara with the listed furniture in situ and the mural painting by Charlotte Chauchet-Guilleré
Photo : Didier Rykner
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Mais celui-ci, donc, ne convient pas. On ne saura pas pourquoi. Et si ce scandale est dû au ministère des Finances - qui n’a pas répondu à nos questions - celui de la Culture est tout autant responsable, au moins par son inaction. Non seulement il ne s’exprime que très peu à ce sujet et ne s’est jamais engagé par écrit à soutenir le projet, mais voilà ce qu’il nous a répondu :


9. Léon Jallot (1874-1967)
Deux chaises et un bonheur-du-jour de la chambre de Paul Mezzara’s exposée au Salon des Artistes Décorateurs de 1910
Collection Fabien Choné
Photo : Adjug’art Brest-Quimper
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10. Léon Jallot (1874-1967)
Élément du lit de Paul Mezzara exposé au salon des Artistes Décorateurs de 1910
Collection Fabien Choné
Photo : Adjug’art Brest-Quimper
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« Vous avez souhaité obtenir des précisions sur le devenir de l’hôtel Mezzara, immeuble classé au titre des MH dont l’État est propriétaire. Vous évoquez la procédure de valorisation lancée en mars 2021 par la Direction de l’immobilier de l’Etat (DIE) et regrettez que la proposition portée par le Cercle Guimard n’ait pas été retenue.
En réponse, je vous informe que l’État s’est bien fixé pour objectif de confier par le biais d’un bail emphytéotique administratif de valorisation (BEAV), sur une longue durée, la restauration, la gestion et l’entretien de l’hôtel dans le respect de son caractère architectural et mobilier remarquable.
La première consultation lancée par la DIE n’a toutefois pas permis de retenir une offre qui réponde à la fois à l’ambition de mise en valeur de cet ensemble immobilier patrimonial et de ses objets protégés, et aux attentes de l’État propriétaire en matière de valorisation économique notamment.
C’est pourquoi la procédure a été déclarée infructueuse par la DIE en juillet 2021.
En vue de trouver un preneur et valider un projet respectueux de cet ensemble immobilier protégé, la DIE a souhaité relancer un nouvel appel à candidatures, dont le cahier des charges, établi en lien avec les service du ministère de la Culture, a été revu pour donner davantage de place aux objectifs patrimoniaux et permettre un temps d’amortissement plus à la mesure des investissements à envisager.
Cet appel à projets pour un bail emphytéotique a été publié le jeudi 6 avril dernier par le Service local des domaines de Paris sur le site des cessions immobilières de l’État (https://cessions.immobilier-etat.gouv.fr) et a été relayé dans la presse spécialisée et les grands médias.
 »


11. Photo du lit de Paul Mezzara montrant les dentelles que
fabriquait sa maison publiée dans la revue « Arts et Industrie »
(qui se trompe dans l’orthographe du nom de Léon Jallot)
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Résumons donc : le ministère de la Culture confirme tout ce que nous avons écrit. Il réaffirme contre toute évidence que le premier objectif de l’État est de favoriser : « sur une longue durée, la restauration, la gestion et l’entretien de l’hôtel dans le respect de son caractère architectural et mobilier remarquable. » Une exigence à laquelle répondait l’offre du Cercle Guimard. Quant au second, il s’agissait de « répondre aux attentes de l’État en matière de valorisation économique notamment ». Le « notamment » est savoureux. Il est évident que cette « valorisation économique » est la seule qui l’intéresse vraiment. Ne pas avoir à payer pour la restauration de ce monument, ni pour sa transformation en musée Guimard n’est pas suffisant, il faut que cela lui rapporte ! On ne saurait être plus clair à la fois sur le véritable objectif du ministère des Finances et sur la complicité objective du ministère de la Culture qui feint de l’ignorer.


12. Excerpt from the trailer of Clive Donner’s What’s new Pussycat.
partly shot in Hector Guimard’s Castel Henriette
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À terme pourtant, l’intention du mécène (accompagné par d’autres) et du Cercle Guimard, est bien de pérenniser l’installation de ce musée, accompagné d’un centre de documentation sur Guimard et l’Art nouveau, dans l’hôtel Mezzara, en transformant le tout en fondation et en proposant même à l’État de recevoir une redevance en fonction des résultats de fonctionnement. Mais ce que veut l’État, c’est de l’argent tout de suite. Guimard, il s’en fiche bien. On se rappelle du film avec Woody Allen, What’s new Pussycat (ill. 12), qui se déroulait dans le Castel Henriette, chef-d’œuvre de Guimard sauvagement détruit quelques années plus tard. Avec cette affaire, le ministère de la Culture (qui est aussi celui du cinéma) rend un nouvel hommage au cinéaste new yorkais avec un autre de ses films : Take the money and run...

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