Fondation Abbeville-Patrimoine : un oxymore ?

1. Église Saint-Jacques d’Abbeville
en cours de destruction
Photo : Blog Saint-Jacques l’oubliée
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« Depuis plusieurs années, la Ville d’Abbeville s’est engagée dans une politique culturelle ambitieuse, reconnue officiellement aujourd’hui par le Ministère de la Culture et de la Communication au travers de la signature d’un Pacte culturel le 29 mai dernier en présence de Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication. » Voilà comment Abbeville, cité dirigée par le maire Nicolas Dumont, est présentée dans le dossier de presse de la création d’une nouvelle fondation abritée par la Fondation du Patrimoine et qui a pour objectif - tout en bénéficiant des avantages fiscaux inhérents à une telle institution - d’« accompagner la politique patrimoniale mise en place par la Ville ».

Nous admirons beaucoup les actions menées par la Fondation du Patrimoine qui a pris, dans le paysage culturel français, une place fondamentale pour la protection et la sauvegarde des monuments historiques, et nous lui consacrerons bientôt un article. Mais il nous semble difficile de ne pas s’étonner de cette nouvelle fondation qui prétend célébrer ainsi la « politique culturelle » de la Ville d’Abbeville. Rappelons que Nicolas Dumont est le maire qui a fait détruire sciemment l’église Saint-Jacques (voir les articles), superbe édifice néogothique (ill. 1), sous prétexte qu’il n’avait pas d’argent pour la restaurer, et qui a dépensé pourtant une grande partie de cette somme dans la démolition puis le réaménagement de la place sur laquelle s’élevait le monument. Rappelons-nous ces images que l’on peut seulement comparer à celles (ill. 2) des destructions des deux guerres mondiales (qui ont en grande partie rasé la ville).

2. Église de Bourguébus, Calvados
détruite pendant la Seconde guerre mondiale
Photo : D. R.
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Nous avons pu parler avec François-Xavier Bieuville, directeur général de la Fondation du Patrimoine. Celui-ci ne semblait pas connaître les détails de l’affaire de l’église Saint-Jacques, pensant que la décision avait été prise par la précédente municipalité, et que l’édifice n’était pas restaurable [1]. Il nous a expliqué que l’initiative de les contacter est venue de la Ville d’Abbeville, qui affirmait vouloir préserver son patrimoine et avait besoin de conseils pour le faire. Un axe stratégique de développement de la Fondation du Patrimoine est de mettre en place des partenariats avec les collectivité locales (communes et communautés de commune) qui disposent souvent d’un patrimoine important. Le directeur général ajoute que la Fondation n’est pas comptable de telle ou telle erreur du passé, et qu’elle essaye de mettre en œuvre des outils pour la préservation du patrimoine.
Nous ne remettons évidemment pas en cause la bonne foi de cette Fondation. Quant à Nicolas Dumont, peut-être a-t-il trouvé son chemin de Damas... Mais saint Paul, après s’être converti, avait reconnu publiquement ses errements passés. Rien de tel avec ce maire qui n’a jamais exprimé le commencement d’un regret, le dossier de presse allant jusqu’à célébrer sa politique patrimoniale récente et la création en 2011 d’un Service Patrimoine, en passant évidemment sous silence la destruction du monument.

Faire maintenant appel à la charité publique pour aider la ville à restaurer ses monuments nous semble contribuer, comme le ministère de la Culture en avait donné l’exemple en signant son « pacte » (voir l’article), à légitimer un vandalisme que celui-ci prend pourtant soin de dénoncer, surtout quand il ne peut rien faire pour s’y opposer. On apprend également par le dossier de presse que la ville d’Abbeville a demandé le label « Pays d’Art et d’Histoire » !
Notre premier réflexe était d’encourager les lecteurs à boycotter cet appel à mécénat, mais cela nous semble finalement contre-productif. Peut-être le contrat passé avec la Fondation obligera-t-il Nicolas Dumont à réfléchir à deux fois avant de vouloir s’attaquer à nouveau à son patrimoine. Il prétend vouloir désormais le protéger ? Prenons-le au mot. Mais toute nouvelle atteinte aux monuments historiques de sa ville serait encore plus inadmissible. On voit mal désormais comment il pourrait à la fois s’associer avec la Fondation du Patrimoine et construire l’extension du Musée Boucher-de-Perthes au pied du beffroi, classé au patrimoine mondial de l’humanité. On imagine mal qu’il puisse s’attaquer à nouveau à une autre église de la commune dont plusieurs, non protégées, sont actuellement dans un état préoccupant. Il n’y a pas d’amour du patrimoine, il n’y a que des preuves d’amour...

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