Église des Carmes au Puy-en-Velay : un curieux référendum

Façade de l’église des Carmes
État 2014
Le-Puy-en-Velay
Photo : Didier Rykner
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Faut-il y voir un nouveau témoignage de l’effacement du ministère de la Culture ? La mairie du Puy-en-Velay a organisé il y a quelques jours un vote ou un référendum ou une consultation, on ne sait pas trop comment qualifier cette opération, pour choisir entre deux projets pour la façade de l’église des Carmes (ill. 1), en mauvais état, et dont des pierres menacent de se détacher (celle-ci est sécurisée actuellement par des filets).
Rappelons cependant quelques faits : cette église romane possède une façade du XIXe siècle, d’un style que l’on peut qualifier davantage d’éclectique que de réellement néo-gothique comme nous avons pu le lire. La nef elle-même, qui date du XIVe siècle, est gothique (et elle conserve par ailleurs de très beaux tableaux anciens dont plusieurs par Guy François).
L’ensemble est inscrit aux monuments historiques.

Lorsqu’une municipalité veut restaurer une façade d’église protégée monument historique (et on rendra grâce à celle du Puy-en-Velay de vouloir le faire), il n’y a qu’une procédure : se rapprocher de la Direction Régionale des Affaires Culturelles pour examiner avec celle-ci dans quelle condition la restauration peut avoir lieu. On ne demande pas aux électeurs de décider entre tel ou tel projet de restauration. D’autant que les choix étonnent quelque peu. C’est ainsi que l’opposition municipale, si l’on en croit le maire actuel, Laurent Wauquiez, proposait la suppression du porche du XIXe siècle pour « recomposer une façade orientée sur du contemporain ». Nous avons pu joindre Didier Allibert, conseiller municipal socialiste et lui-même architecte, qui nous a dit trouver la façade actuelle [1] « assez malheureuse » et nous a expliqué que l’opposition souhaitait qu’on mène une « réflexion pour aller vers autre chose qu’une rénovation à l’identique, et pourquoi pas recomposer pour cette église une architecture du XXIe siècle, en lançant un concours d’architecture contemporaine de bonne qualité » [2]

2. Façade de l’église des Carmes
dans son état ancien
d’après une carte postale
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Bref, il s’agirait bien de détruire la façade pour la remplacer par une façade « contemporaine ». Nous sommes évidemment hostile à cette idée, qui revient à nier l’inscription monument historique dont l’objectif inscrit dans le code du patrimoine est bien de préserver le monument.
Le projet de la mairie semble moins discutable, encore que. Qu’il s’agisse de revenir à la façade de 1862 que l’on peut voir sur certaines cartes postales anciennes (ill. 2) semble raisonnable : il s’agit seulement de restituer les pinacles qui ont disparu de la façade, et de restaurer le couronnement des tours. Mais on parle là encore de destruction (ou plus précisément de « déconstruction », un mot à la mode) de la façade pour la reconstruire selon le dessin du XIXe siècle… Nous avons interrogé la mairie qui nous a assuré qu’il ne s’agissait « que » de « déconstruire les deux tours » et de les reconstruire en remplaçant seulement les pierres dégradées. On peut tout de même craindre une « restauration » drastique où l’authenticité serait perdue pour reconstruire un pastiche, sans compter que dans le projet (fort sommaire) qui a été présenté au public, on prévoit de recouvrir le monument (à l’exception des parties saillantes) d’un enduit blanc. D’où viennent ces parti-pris, de quelles études menées sérieusement par des architectes spécialistes des monuments historiques ? Personne ne le sait.

Résumons donc. On fait voter les Ponots (habitants du Puy-en-Velay) entre deux projets pour la façade de l’église : l’un consiste à la démolir en partie pour la reconstruire dans un style contemporain, l’autre à la démolir en partie pour la reconstruire comme elle était en 1861.
Si la première est inadmissible, la seconde pose aussi beaucoup de questions. Et on n’a certainement pas à demander leur avis aux habitants sur un sujet aussi technique, qui ne souffre pas l’à peu près et qui doit légalement respecter le code du patrimoine.

Félicitons, encore une fois, la mairie du Puy-en-Velaiy de décider la restauration de cette façade [3]. Mais la restauration d’un monument historique ne s’improvise pas. Un projet sérieux, par un architecte du patrimoine sérieux, avec une maîtrise d’ouvrage sérieuse (on rappelle que le maître d’ouvrage est le propriétaire, donc la ville…) et un contrôle scientifique et technique sérieux (c’est le rôle de la DRAC) s’imposent ici. Le mot « démocratie » ne rime pas forcément avec « démagogie ».

Didier Rykner

Notes

[1Dont il nous a dit que l’architecte était Antoine Martin, architecte très actif au Puy-en-Velay dans la seconde moitié du XIXe siècle.

[2Laurent Jouhanny, également conseiller municipal socialiste s’interroge sur son blog : « pourquoi la collectivité ne choisirait-elle pas de revenir à une façade type XVIIe de l’église au lieu de cette façade gothique “grandiloquente” du XIXe qui cache les qualités de l’église des Carmes du XVIIe ? Ainsi, nous proposions de lancer un concours d’architecte pour revaloriser ce patrimoine, redonner à l’église une façade plus en rapport avec elle, apporter une vision contemporaine et ainsi projeter notre ville vers l’avenir tout en respectant son passé. » Sauf que l’église n’a jamais été du XVIIe siècle, mais du XVe.

[3Ce n’est que son devoir même si par les temps qui courent une telle volonté est appréciable. Le projet de la mairie a remporté le « référendum » avec 89,07% des votants.

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