Drouot peut-il être sauvé ?

Depuis des années, on sentait que la situation se dégradait, mais ce début d’année est tellement catastrophique que même s’il s’agit d’un sujet un peu hors de notre champ, il nous paraît nécessaire d’en parler. La bonne santé de l’hôtel Drouot nous paraît essentielle pour le marché de l’art parisien, donc également pour les musées français. Son déclin, qui paraît inéluctable alors qu’il pourrait être freiné, voire stoppé, ne peut laisser personne indifférent.


1. L’hôtel Drouot tel qu’on n’aime pas le voir
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Que constate-t-on, alors que nous sommes déjà à la mi-mars 2019 ? Que la saison à Drouot n’a pas encore vraiment commencé. Un hôtel des ventes fermé tous les samedis de janvier à mi-mars, des étages régulièrement fermés faute de ventes, une répartition erratique des vacations… Drouot se meurt sous nos yeux sans que rien ne soit fait, bien au contraire.
J’ai été, dans une vie antérieure, consultant en organisation. Je fréquente par ailleurs l’hôtel des ventes depuis plus de trente ans. Je me permets donc de proposer ici quelques mesures à prendre de nature à redresser la situation, en espérant qu’il ne soit pas trop tard.

On nous dit qu’il y a moins de marchandise qu’avant, ce qui est certainement vrai. Mais pourquoi alors fait-on tout pour décourager les ventes à Drouot ?

Drouot Nord, longtemps, fut réservé aux réfrigérateurs d’occasion. Désormais, on y trouve des œuvres qui pourraient parfaitement être cédées dans des conditions normales, plutôt qu’avec une exposition d’une heure suivie immédiatement de la vente. Certes, des marchands ou des amateurs peuvent bénéficier de belles affaires à Drouot Nord. Mais cela se fait au détriment des vendeurs et, à terme, de l’hôtel Drouot. On nous dit maintenant que Drouot Nord va fermer et que ses ventes seraient envoyées en banlieue, ce qui aggravera encore la situation.

Mesure 1 : rapatrier à l’hôtel Drouot certaines ventes organisées à Drouot Nord.

Certains nous disent que la location des salles à Drouot est trop chère. Mais quel est l’objectif de l’hôtel des ventes ? Gagner de l’argent sur les locations de salles ou permettre aux commissaires-priseurs de vendre ?

Mesure 2 : revoir les conditions de location des salles ; pourquoi, par exemple, ne pas envisager de les louer en fonction du chiffre d’affaire généré par la vente (avec, bien entendu, des limites hautes et basses) ?

Sous prétexte qu’elles n’avaient pas de parts de l’hôtel Drouot, certaines SVV ne peuvent plus y vendre alors qu’il s’agit parfois de maisons parmi les plus dynamiques. Il semble que cette question des parts soit en train d’être revue, notamment pour permettre aux sociétés elles-mêmes d’être actionnaires (actuellement ce sont les propriétaires des maisons de vente, personnes physiques uniquement, qui peuvent l’être). Il reste que les ventes devraient être possibles à Drouot pour des SVV extérieures, quitte à ce que le prix de la location des salles soit modulé.

Mesure 3 : Permettre aux maisons de vente parisiennes non actionnaires de louer des salles à Drouot.

Mesure 4 : Faciliter la location des salles par les maisons de vente de province qui souhaitent y organiser des vacations de prestige.

Auparavant, je m’efforçais de prendre des rendez-vous hors de Paris les lundi, mercredi et vendredi, sachant que les expositions avaient lieu les mardi, jeudi et samedi. Désormais, il est impossible de planifier quoi que ce soit. Les ventes, comme les expositions, sont organisées n’importe quel jour. Il arrive même qu’elles soient en nombre comparable à ce qu’elles étaient naguère, mais on les répartit sur toute la semaine. Parfois aussi, lorsqu’il n’y a que quatre ou cinq ventes de prévues, on les installe sur un seul niveau. Résultat : certains jours, même en saison autrefois riche en ventes, le premier étage ou le sous-sol est fermé (ill. 2). L’impression que cela donne au visiteur est désastreuse : un hôtel des ventes à moitié fermé, déserté par les visiteurs, accentuant encore le sentiment d’une fin prochaine.

Mesure 5 : revenir autant que possible aux expositions le mardi, le jeudi et le samedi, pour des ventes le mercredi, le vendredi et le lundi.


2. Fermeture du premier étage de l’hôtel Drouot
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Mesure 6 : éviter au maximum de fermer un étage, en répartissant si possible les ventes entre le sous-sol et le premier étage, même lorsque le nombre de ventes est insuffisant.

À propos de la fermeture du samedi, de plus en plus fréquente (ill. 3), il serait sans doute envisageable de permettre aux SVV qui souhaitent exposer plus d’une journée d’ouvrir le samedi, en permettant à ceux qui le souhaitent d’exposer samedi, lundi et mardi, pour une vente le mercredi, voire même seulement le samedi et le lundi, pour une vente le mardi, du moment que les ventes du mardi restent rares (sinon on retomberait dans le problème vu plus haut de l’irrégularité des jours de vente).


3. L’ouverture le samedi est devenue si rare
qu’on nous explique que l’hôtel des ventes
est « exceptionnellement ouvert » et qu’on nous
« remercie de [n]otre compréhension » !
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Mesure 7 : ouvrir les samedis, soit pour des ventes le lundi lorsque cela est possible, soit pour des ventes le mardi (sans que cela soit très fréquent), soit pour des ventes le mercredi, ce qui permettrait aux SVV qui souhaitent exposer plus longtemps de le faire sans que l’hôtel des ventes ferme.

En septembre dernier, l’hôtel des ventes a organisé plusieurs jours consacrés au « street art », en louant ses salles à des galeries et en faisant payer l’entrée. Cela a envoyé un signal très négatif à tous les amateurs. Pas uniquement parce que le street art n’est pas la spécialité la plus évidemment associée à l’hôtel Drouot. Nous ferions la même remarque pour d’autres spécialités : Drouot n’est pas une galerie, et encore moins une galerie payante. Cela donnait réellement l’impression, qui plus est à une période où il y aurait dû y avoir des ventes aux enchères (on était peu après la Biennale), que même les commissaires-priseurs ne croient plus en l’hôtel Drouot. On ne pouvait pas donner un signal plus négatif.

Mesure 8 : Utiliser les salles de l’hôtel Drouot en fonction de leur vocation : servir de salles de ventes aux enchères, pas de lieu d’exposition pour des galeries.

Drouot n’est pas une galerie marchande, ce n’est pas non plus un lieu de vente dématérialisé. Pourtant, l’hôtel des ventes a plutôt bien géré sa présence sur le net en permettant de visiter les salles de manière virtuelle et en filmant les ventes sur internet tout en laissant les acheteurs participer aux enchères à partir de leur ordinateur.
Mais il est absurde de vouloir également organiser, comme le font déjà beaucoup de sites, des ventes uniquement sur le web, à moins de vouloir se tirer volontairement une balle dans le pied. Toutes les ventes sur le web devraient obligatoirement passer aussi par une exposition à Drouot. Là encore le message passé est très dangereux : après tout, rien ne sert de voir les objets, on peut se contenter de photos, et les acheter sans les voir. Le plus de Drouot, c’est bien la proximité immédiate avec l’objet. Il faut la valoriser, pas la nier.

Mesure 9 : tout en développant les ventes sur internet, les associer systématiquement à une vente réelle, avec exposition à Drouot avec participation d’un commissaire-priseur et d’enchérisseurs dans la salle.

Nous avons rédigé cet article dans un moment d’agacement et de crainte que l’hôtel des ventes ne finisse par disparaître. Il a surtout vocation à entamer un débat qui n’a que trop été différé. Il se base sur des constats que nous avons pu faire depuis quelques années, et notamment ces derniers mois. Il ne se penche pas sur la raison d’une organisation aussi erratique. Certains en viennent à penser qu’il s’agirait d’une politique délibérée qui permettrait, à terme, de vider l’hôtel des ventes de sa substance afin de le vendre. Nous ne pouvons croire que cela soit exact. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’il est urgent d’agir pour que ce scénario catastrophe ne devienne pas réalité.

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.