Des « restaurations » décapantes à Poitiers

1. Jules Coutan (1848-1939)
Monument aux morts de la guerre de 1870, détail
Bronze
Etat avant le décapage
Poitiers, square de la République
Photo : V. Dujardin
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Stupéfaits par le traitement infligé le 21 février au monument aux morts en bronze du square de la République (appelé aussi square Magenta) à Poitiers (ill. 1), plusieurs lecteurs nous ont immédiatement informé des dégâts [1]. Les photos en témoignent [2] : une grande partie de la patine de la sculpture de Jules Coutan, lauréat du Prix de Rome de 1872, une œuvre par ailleurs de grande qualité, a été totalement abrasée (ill. 2 à 5). Une opération dramatique pour cette œuvre : la patine est issue d’un traitement voulu par l’artiste, nécessaire à la protection du métal, et qui donne aux fontes le bel aspect qu’on leur connaît. Désormais soumis aux intempéries, le monument est gravement endommagé et totalement dénaturé.

La municipalité de Poitiers, que nous avons interrogée, a répondu par un communiqué de presse où elle reconnaît son erreur – ce qui est déjà une chose, mais en donnant une explication absolument irrecevable que nous reproduisons ici en intégralité : « Dans le cadre du nettoiement de la statue du Monument aux Morts de la guerre de 1870 -1871 située au Square de la République, la Ville de Poitiers a réalisé ces dernières semaines plusieurs tests avec différentes méthodes et produits qui se sont avérés trop agressifs et pas assez écologiques.
Après ces tests non-concluants, la Ville de Poitiers a choisi la méthode d’hydrogommage basse pression qui paraissait la plus adéquate. De plus cette méthode s’avérait plus écologique.
Cette erreur d’appréciation a entrainé l’endommagement de la patine du Monument, la Ville de Poitiers met actuellement tout en œuvre pour la restaurer au plus vite.
»


2. Jules Coutan (1848-1939)
Monument aux morts de la guerre de 1870, détail
Bronze
En cours de décapage, février 2012
Poitiers, square de la République
Photo : V. Dujardin
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3. Jules Coutan (1848-1939)
Monument aux morts de la guerre de 1870
Etat après le décapage
Février 2012
Poitiers, square de la République
Photo : V. Dujardin
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4. Jules Coutan (1848-1939)
Monument aux morts de la guerre de 1870
Etat avant le décapage
Poitiers, square de la République
Photo : V. Dujardin
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5. Jules Coutan (1848-1939)
Monument aux morts de la guerre de 1870
Etat après le décapage
Février 2012
Poitiers, square de la République
Photo : V. Dujardin
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Cette affaire est surréaliste : si l’œuvre avait réellement besoin d’être restaurée (ce qui reste à démontrer), le traitement des bronzes est une opération parfaitement connue, qui doit être réalisée par des entreprises spécialisées dans ce domaine, ce qui n’a manifestement pas été le cas. Ensuite parce que si des tests avaient été réalisés, ils auraient permis de constater que le résultat de cet « hydrogommage » était tout simplement désastreux. Manifestement, personne en charge ne savait ce qu’est un bronze.
Enfin, et surtout, parce que cette affaire n’est pas la première qui touche un bronze de Poitiers, ni la seule à témoigner d’une étrange conception patrimoniale de la ville.


6. Maxime Real del Sarte (1888_1954)
Monument à Jeanne d’Arc, 1929
Etat avant le décapage
Poitiers
Photo : V. Dujardin
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7. Maxime Real del Sarte (1888-1954)
Monument à Jeanne d’Arc, 1929
Etat après le décapage du relief
Poitiers
Photo : V. Dujardin
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Arnaud Clairand nous a en effet informé qu’il y a moins de deux mois, un bas-relief du socle de la statue de Jeanne d’Arc du square des Cordeliers (ill. 6 à 9), œuvre d’un des grands sculpteurs des années 30, Maxime Real del Sarte, avait subi exactement le même sort. Personne ne s’en étant ému, la mairie n’a publié aucun communiqué. Depuis, le bronze privé de sa patine a commencé à s’oxyder gravement (ill. 9).


8. Maxime Real del Sarte (1888-1954)
Monument à Jeanne d’Arc, 1929 (détail)
Etat avant le décapage du relief
Poitiers
Photo : V. Dujardin
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9. Maxime Real del Sarte (1888-1954)
Monument à Jeanne d’Arc, 1929 (détail)
Etat après le décapage du relief
Poitiers
Photo : V. Dujardin
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Mais les dégâts subis – involontairement selon la mairie – n’est que la suite de ceux, délibérés cette fois, qu’a subi le square de la République (décidément, la République est en danger, à Poitiers comme à Paris - voir notre article) : la destruction sauvage des grilles du XIXe siècle qui entouraient le square (ill. 10 à 12), et dont la conception était due à Edouard André, le célèbre paysagiste auteur notamment du parc du casino de Monte Carlo [3].


10. Destruction des grille du
square de la République
Novembre 2011
Photo : B. D.
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11. Le square de la République dévasté
Le monument aux morts ne va pas
tarder à subir le même sort
Janvier 2012
Photo : V. Dujardin
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12. Vue ancienne du square de la République
Photo : D. R.
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Cette affaire pose de nombreuses questions dont une qui revient régulièrement dans nos colonnes : celle de la sous protection des monuments historiques. Si le classement ou l’inscription n’évitent pas toujours les catastrophes de ce genre, une protection de ces deux sculptures – qui la méritent sans l’ombre d’un doute - aurait certainement évité pareilles bévues.
La mairie explique dans son communiqué que tout sera mis en œuvre pour corriger « l’erreur d’appréciation » et restaurer la sculpture. Ce qu’elle ne dit pas, c’est que la perte de la patine d’origine est irréversible et que même si une nouvelle patine pourra sans doute être refaite, ces opérations [4] coûteront très cher. Un argent qui aurait certainement mieux été utilisé à restaurer des œuvres qui en avaient vraiment besoin.

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