Destructions d’églises : des victoires et de nouvelles menaces

1. Alfred Tessier
Chœur néogothique de l’église de Gesté
Gesté (Maine et Loire)
Photo : D. Rykner
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Les craintes que l’on peut avoir pour plusieurs églises que des maires souhaitent détruire et dont nous avions parlé à de nombreuses reprises sont toujours d’actualité, mais les choses ont évolué favorablement pour certaines d’entre elles. Il est temps de faire le point en soulignant les victoires remportées, mais également en dénonçant d’autres menaces qui se font jour. Les premières montrent que le pire n’est pas inéluctable et que des solutions existent toujours, contrairement à ce que veulent faire croire les élus vandales.

L’église de Gesté sauvée ?

Cet article qui nous permet de faire le point sur la situation – au moins sur les édifices dont nous avions parlé, car il nous est impossible hélas d’être exhaustif – a été déclenché par une excellente nouvelle : l’association constituée pour la défense de l’église de Gesté (ill. 1) en Maine-et-Loire (voir l’article) (Association Mémoire Vivante du Patrimoine Gestois) a remporté une victoire importante puisque ayant été déboutée en première instance devant le tribunal administratif, elle a gagné l’appel. Le permis de démolir délivré par la mairie est annulé, et celle-ci a été condamnée à régler les frais d’expertise (16 661,21 €) et à rembourser 2000 € à l’association. Les contribuables gestois apprécieront de payer ces sommes qui auraient pu tout aussi bien être affectées à la restauration de l’édifice.
Mais les raisons données par le tribunal pour refuser le permis de construire sont l’aspect le plus satisfaisant de cette décision judiciaire. Il a en effet considéré que, même si l’église n’est pas protégée au titre des Monuments Historiques (ce qui, à notre sens, est anormal), celle-ci présentait pourtant un « intérêt architectural, en particulier pour sa remarquable reconstruction néogothique », ce qui ressortait à la fois d’un courrier adressé le 2 juillet 2007 par la directrice régionale des affaires culturelles au maire de Gesté, de l’avis défavorable à la démolition de l’édifice émis par le service départemental de l’architecture et du patrimoine (SDAP) de Maine-et-Loire « au motif qu’il présentait "un intérêt certain justifiant sa conservation et sa restauration, tranche à tranche par des travaux d’entretien", eu égard à son originalité au sein de la production de l’architecte diocésain Alfred Teissier en raison de son "organisation sur deux niveaux" ».
C’est donc bien pour son intérêt architectural que le permis de démolir de cette église a été annulé par le Tribunal administratif, un intérêt conforté par l’expertise judiciaire qui a considéré non seulement que « par sa disposition, son volume, ses décrochés, l’église constitue l’élément dominant et architecturalement attractif de la ville » mais aussi qu’elle ne pouvait être considérée comme « menaçant ruine ». La conclusion du Tribunal est cinglante pour l’élu : celui-ci « n’a pu délivrer le permis de démolir cet édifice, sans entacher sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation ». On espère qu’elle fera jurisprudence.

Si la DRAC et le SDAP ont donc joué d’une certaine manière un rôle positif dans cette affaire en affirmant la qualité de l’édifice et la possibilité de le restaurer tranche par tranche, des appréciations qui ont compté dans la décision du tribunal, il reste qu’à notre avis, leur décision de ne pas inscrire l’église comme monument historique est également « entachée d’une erreur manifeste d’appréciation ».
Leur rôle a été important, mais une fois de plus sans la mobilisation de citoyens via une association qui ont pris le risque de s’opposer à la mairie, cette église aurait été détruite. La Tribune de l’Art a d’ailleurs joué également sa part dans cette décision. Alain Durand, le président de l’association, nous a en effet affirmé que c’est notre premier article qui les avait décidés à se battre pour la sauvegarde de l’église, leur faisant réaliser qu’ils n’étaient pas seuls dans ce combat. L’association a d’ailleurs été créée le 30 juillet 2007, soit peu après notre article et sa reprise par les médias.
Rien n’est cependant définitivement encore gagné puisqu’il y a toujours un risque que la mairie se pourvoie en cassation. Il serait souhaitable que la DRAC puisse revenir sur une décision désormais ancienne et profiter de cette occasion pour sortir de cette histoire par le haut. Comme nous l’avons fait pour les deux églises de Lyon (voir l’article) et comme nous le ferons désormais systématiquement lorsque nous écrirons sur des monuments non protégés qui mériteraient de l’être, nous allons envoyer à la DRAC une demande de protection de l’église de Gesté.

L’église de Sainte-Gemmes-d’Andigné menacée

2. Alfred Tessier
Eglise de Sainte-Gemmes-d’Andigné, 1865
Doit être détruite par la commune
Photo : D. R.
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En même temps que nous apprenions la bonne nouvelle de cette annulation du permis de démolir, une autre association nous informait que, toujours en Maine-et-Loire, l’église néogothique de Sainte-Gemmes-d’Andigné, due à Alfred Tessier, le même architecte que Gesté (ill. 2), était à son tour menacée de destruction par la commune. L’affaire est à peu près identique et les arguments toujours les mêmes : l’église coûterait trop cher à restaurer – alors qu’elle n’est pas en état de péril - et la destruction-reconstruction (avec conservation du seul clocher - ill. 3) serait trop onéreuse. Bref, il n’y aurait pas d’autre solution que celle-ci.
Nous avons pu joindre le maire par téléphone qui tout en soulignant que cette décision « ne fait plaisir à personne », s’étonne que cette nouvelle « fasse le buzz » alors qu’il s’agit d’une décision prise en Conseil Municipal en septembre 2010, soit il y a un an et demi. Le coût avancé pour la restauration (3 millions d’euros) serait prouvé par les études faites… bref il n’y aurait pas d’autre solution et celle-ci serait « la bonne au moment où nous l’avons prise » (sic). Nous lui avons alors demandé s’il pensait que c’était aujourd’hui toujours la « bonne » solution, et il nous a répondu qu’il n’en savait rien, que « le bien et le mal était une notion philosophique », et qu’il n’était pas là pour faire de la philosophie.


3. Projet de reconstruction de
l’église de Sainte-Gemmes-d’Andigné
Atelier B. Penneron
© Atelier B. Penneron
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4. Alfred Tissier
Vue intérieure de l’église de Sainte-Gemmes-d’Andigné
Photo : Benoît Patier
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Ceci est dommage. On peut effectivement se poser la question « philosophique » suivante : faut-il accepter de détruire l’église d’un village sous prétexte qu’elle serait trop chère à restaurer ? Il est bon de prendre parfois de la hauteur, mais les faits n’y obligent même pas. Car l’association a, de son côté, travaillé à des solutions alternatives. Et elle conteste, études à l’appui, le chiffrage de la mairie.
Celle-ci prétendait que la démolition suivie d’une reconstruction coûterait 2 100 000 € contre 3 100 000 € pour la restauration. Nous n’avons aucune raison de remettre en cause le premier chiffre, que la mairie n’a pas d’intérêt à surestimer. Quant au second, en admettant qu’il soit juste, la différence entre les deux justifie-t-elle la destruction ? C’est une question philosophique (auquel nous répondrions volontiers « non »). Mais ce chiffre de 3 100 000 € est il exact ? On peut en douter légitimement, concernant une église qui n’est pas en mauvais état.
L’association a donc fait chiffrer un projet par un architecte en chef des monuments historiques, également Inspecteur des monuments historiques, François Jeanneau, qui connaît par ailleurs bien cette église pour y avoir travaillé sur des travaux de mise en sécurité. Son projet, qui nous a été communiqué par l’association (et dont le montant global nous a été confirmé par son cabinet), chiffre les travaux à un total de 1 500 000 €, soit deux fois moins que le coût affiché par la mairie, et 600 000 € de moins que le projet de destruction-reconstruction.
Cinq phases de travaux étant prévues, ceux-ci pourraient aisément se dérouler sur cinq ans, voire davantage, étalant ainsi les charges contrairement à une destruction-reconstruction qui ne peut être aussi longue. De plus, une rénovation par tranches ouvrirait la voie à une subvention du Conseil Général qui se monterait au total à 200 000 €. Soit 800 000 € de moins que la destruction-reconstruction.
On se perd donc en conjecture sur les motivations du maire, à qui pourtant cela « ne fait pas plaisir », qui nous a dit aimer les vieilles pierres et qui, lors de la campagne des élections municipales, avait pour projet de « préserv[er] [le] patrimoine communal (église, foyer communal…) ». Il est sûr qu’un projet de destruction de l’église n’aurait pas constitué le meilleur argument pour être élu. Peut-être l’édile devrait-il s’inquiéter pour les prochaines échéances...


5. Vitraux, fin du XIXe siècle
Sainte-Gemmes-d’Andigné, église
Photo : D. R.
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6. Paul Andfray (1893-1953)
Monument aux morts, 1927-1928
Huile sur toile marouflée sur le mur
Pietà : 405 x 350 cm
Anges et cimetière : 53O x 185 cm chaque toile
Sainte-Gemmes-d’Andigné, église
Photo : Benoît Patier
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Sans doute la décision du tribunal administratif à propos de l’église de Gesté, incontestablement en moins bon état que celle de Sainte-Gemmes-d’Andigné, va lui causer des sueurs froides. De même que le « buzz » qui est en train de s’installer. Cette église mériterait, elle aussi, au moins une inscription au monuments historiques. Car outre son élégante silhouette et sa belle architecture intérieure (ill. 4), elle contient d’intéressants vitraux (ill. 5 ; restaurés en 1986-1987), trois grandes toiles peintes marouflées, peintes par Paul Audfray entre 1923 et 1928 (ill. 6) qui forment un monument aux morts de 1914-1918, un grand maître-autel (ill. 7) et tout un ensemble de mobilier [1]. Est-ce la ferveur religieuse qui pousse le prêtre de la paroisse à soutenir la destruction de cette église pour lui substituer le bâtiment très laid projeté par la mairie ?


7. Chœur de l’église de Sainte-Gemmes-d’Andigné
Maître-autel
Photo : Benoît Patier
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Les autres églises

Nous avons, sur ce site, plusieurs fois évoqué des églises menacées. A notre connaissance, aucune de celles-ci n’ont encore été détruites, et l’une d’entre elles est même sauvée définitivement :

 Eglise d’Arc-sur-Tille : située en Bourgogne, ce bel édifice néoclassique était grandement menacé ; fort heureusement, comme nous avions eu l’occasion de le dire ici (voir nos articles), la mobilisation d’une association a payé et a même coûté sa place au maire. Depuis, ce qui était impossible est devenu possible : l’église est sauvée, et elle sera restaurée.

8. Victor Delefortie
Eglise Saint-Jacques
Abbeville
Photo : Didier Rykner
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- Eglise Saint-Jacques d’Abbeville (ill. 8) : nous avons contacté la municipalité et la personne en charge de ce dossier nous a affirmé que « le maire n’a jamais eu l’intention de détruire cette église ». Si la décision définitive n’avait effectivement pas encore été prise, notre enquête sur place (voir l’article) montrait que celle-ci était imminente. La mobilisation a donc payé, et il faut en tout cas rendre hommage au maire de la ville, Nicolas Dumont, qui a pris la décision courageuse que nous appelions de nos vœux : privilégier la sauvegarde, et refuser la démolition. La toiture, qui était percée, est désormais protégée par des bâches et les chenaux ont été nettoyés. La situation est donc pour l’instant stabilisée même si rien n’est encore fait. La mairie nous a dit attendre une étude de la DRAC [L’église a finalement été détruite, le maire n’ayant en réalité rien fait.].

 Eglise de Valanjou : si le bâtiment (voir l’article) est toujours debout, la mairie a réussi à décapiter la flèche, ce qui est extrêmement dommageable, d’autant qu’elle ne fait rien pour entretenir ce qui est toujours debout, espérant ainsi que cela s’écroule tout seul. En revanche, l’association de défense de l’église a réussi à faire rouvrir l’église lors d’offices ponctuels ce qui démontre qu’il n’y a pas de péril. Bien qu’un peu en sommeil ces derniers temps, elle compte reprendre son action, stimulée par la réussite de l’association de Gesté.

Les maires de Maine-et-Loire sont-ils différents de ceux des autres régions de France ? Nulle part en effet on ne trouve une telle concentration d’élus souhaitant, purement et simplement, raser l’église qui domine leur village, certains étant d’ailleurs passés à l’acte. Le Fief-Sauvin (détruit en 1997), Saint-Georges-des-Gardes (détruite en 2006), Gesté (menacée de destruction), Valanjou (menacée de destruction, déjà entamée pour le clocher), Sainte-Gemmes-d’Andigné (menacée de destruction)... notre liste n’est même pas exhaustive, puisque par exemple l’église de Saint-Aubin-du-Pavoil, sur la commune de Segré, est également gravement menacée (voir ici). Les maires de Maine-et-Loire savent-ils que dans de nombreuses villes et villages de France, qui n’ont pas de moyens plus importants qu’eux, des élus municipaux se battent pour leur patrimoine et réussissent à le faire restaurer ? Il y a toujours des solutions. Surtout quand les problèmes sont mal posés.

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