Comment le Louvre traite les mécènes individuels

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1. Musée du Louvre
Photo : Benh Lieu Song (CC BY-SA 3.0)
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Alors que le président-directeur du Louvre est désormais en intérim, mais néanmoins toujours candidat à sa succession, il n’est sans doute pas inutile de parler d’un autre de ses multiples exploits : la manière dont il a dégoûté de nombreux mécènes individuels du Louvre, au moins tant qu’il sera encore à la tête de ce musée. Une attitude qui n’est pas nouvelle : à peine arrivé en 2013, il faisait savoir que les réunions avec les généreux donateurs du Louvre, qui étaient organisées le mardi soir, devraient se passer de lui ; il ne pouvait pas, car le mardi soir, il participait à un groupe de prière. Cette anecdote que nous n’avons jamais racontée mais qui est bien connue au sein du musée n’est pas qu’anecdotique depuis que Mediapart et Le Monde ont révélé les accointances de Jean-Luc Martinez avec un groupuscule catholique rigoriste, le chemin néocatéchuménal. Sa religion et sa manière de la pratiquer ne nous regardent pas, sauf lorsque cela a des implications sur la gestion du musée.

Il est, à vrai dire, très difficile de mesurer l’impact de la politique du Louvre sur le mécénat, pour plusieurs raisons. D’une part car les intitulés des recettes de mécénat sont différents en fonction des années dans les rapports d’activité du Louvre. Parfois, on parle de « mécénat et parrainage », d’autres fois, de « mécénat et partenariat média ». Faute de pouvoir identifier clairement ce que ces postes comprennent exactement, il est difficile de comparer différents exercices. On constate donc qu’il est impossible de se faire une idée précise de l’évolution de ce poste, d’autant qu’il suffit du don d’une œuvre particulièrement importante pour faire exploser ce montant sans que cela soit lié directement à la politique du Louvre.
Nous nous intéresserons donc ici non pas à des chiffres globaux, mais aux mécènes qui donnent quelques milliers ou quelques dizaines de milliers d’euros. Des mécènes sans doute pas assez importants pour que Jean-Luc Martinez consente à bien les traiter. Trois d’entre eux nous ont fait part de leurs expériences qui vont toutes dans le même sens.

Des mécènes mal traités

Une donatrice, qui était très liée au Louvre et qui avait de très bonnes relations avec les présidents successifs et les personnes en charge du mécénat, nous a expliqué ce qui l’avait décidée à se tourner vers d’autres musées : « Nous avions l’habitude d’être grands donateurs du Louvre et d’être invités aux avant-premières des expositions. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est l’exposition des œuvres d’Abu Dhabi. Avant, le mécénat donnait la possibilité de rencontrer des gens du Louvre : les conservateurs, mais aussi le président. Or, non seulement celui-ci ne s’était pas donné le mal d’accueillir les gens, mais rien n’était prévu pour nous. Ils n’y avait pas de conservateurs, pas de responsables du mécénat, ils s’étaient contentés de faire appel à des hôtesses d’accueil, des jeunes femmes charmantes mais qui ne connaissaient pas l’exposition, qui n’étaient même pas capables de parler des œuvres, par exemple des manuscrits enluminés qui m’intéressaient tout particulièrement et sur lesquels j’avais une certaine compétence. On ne nous a pas donné de catalogue, même pas un jus d’orange, pas un verre d’eau, alors que c’était l’heure du déjeuner et que nous sommes sortis à 13 h 30.

Soyons clairs : ce n’est pas d’avoir à boire ou à grignoter qui nous intéresse, c’est de pouvoir rencontrer les gens du musée, de pouvoir échanger avec eux, notamment avec le président. Le mécénat ce n’est pas simplement de faire un chèque et d’être invité. Je n’avais jamais été traitée comme cela. Nous n’avons rencontré Jean-Luc Martinez qu’une fois, qui nous a juste salués. Pierre Rosenberg était toujours sur les lieux, Henri Loyrette était aussi courtois et amical. Il avait compris qu’on ne pouvait pas demander aux gens de participer sans dire bonjour. Jean-Luc Martinez ne s’intéresse pas à notre catégorie de mécènes. Or, c’est exactement le genre de personnes qui peuvent acheter des tableaux qui intéressent le musée et les leur offrir ensuite. Je donne à d’autres musées, en France et à l’étranger. Daniel Marchesseau était un exemple parfait de quelqu’un qui soigne ses mécènes. Pour moi, actuellement, l’exemple idéal c’est Christophe Leribault au Petit Palais, qui accueille les gens, qui parle avec eux, qui les connaît et qui sait ce qu’ils collectionnent. En l’occurrence, je n’ai fait que prêter à une exposition du Petit Palais, mais si j’avais un objet ou un tableau qui pouvait enrichir cette collection, j’en ferais volontiers don. J’ai surtout grand plaisir à prêter des tableaux aux musées français, avec les directeurs et conservateurs desquels j’entretiens en général d’excellentes relations. J’admire énormément le travail de tant de conservateurs français et ne demande pas mieux que de les aider quand je le peux….

Je donne également aux musées étrangers. J’ai soutenu l’exposition Thomas Cole à la National Gallery de Londres : pendant tout le projet on m’a tenue au courant, et le jour du vernissage, le directeur de la galerie, Gabriele Finaldi m’a remerciée alors que c’était seulement une toute petite partie du budget. Il y avait un dîner ensuite pour les mécènes, et j’étais assise à côté de la veuve d’un des Beatles, une femme fort intéressante par son travail personnel, et j’ai pu rencontrer Ed Rusha, l’artiste si fascinant de Los Angeles, dont les œuvres étaient en même temps exposées à la National Gallery. Je ne suis pas une très grande donatrice, mais je donne ou je promets volontiers des œuvres, celles qui sont ciblées pour eux, mais qu’ils ne peuvent pas acquérir. J’ai financé et je finance encore quelques restaurations d’œuvres françaises à la Wallace Collection. Le directeur, Xavier Bray, est un ami depuis longtemps. Les rapports personnels comptent parce qu’on peut avoir confiance en ces conservateurs pour utiliser les dons pour des projets sérieux. Jean-Luc Martinez ne me reconnaîtrait pas. Il a envoyé en réserves un don que j’ai fait sans même que l’on m’en informe. En plus on ne sait pas comment il va dépenser l’argent qu’on lui donne. J’attends, pour faire à nouveau des donations, la nomination d’un nouveau président directeur du Louvre. »

Le Cercle des Mécènes disparus

2. Logo du Cercle des Mécènes du Louvre
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Nous avons rencontré un autre mécène du Louvre, qui était membre du Cercle des Mécènes. Là encore, son témoignage est édifiant : « J’ai rejoint le Cercle des Jeunes mécènes du Louvre dès sa création il y a environ 13 ans. Henri Loyrette avait décidé de rassembler plusieurs cercles de mécènes directement auprès du Louvre et de se différencier ainsi de la Société des Amis du Louvre avec ses 60 000 membres. C’était une période faste avec des visites organisées avec les grands conservateurs du Louvre, un voyage annuel à l’étranger autour d’une exposition, un gala annuel... Nous avons soutenu des projets précis de mécénat autour de la restauration d’œuvres, par exemple, et nous avions l’impression d’être au cœur du Louvre. Des amitiés fortes se sont nouées entre nous, avec les équipes du mécénat et même avec certains conservateurs. Le Cercle Cressent, par exemple, a donné plusieurs millions d’euros pour la réouverture des salles dédiées aux objets d’art. Les mécènes individuels étaient force de proposition et contribuaient au rayonnement du Louvre. 

J’ai du m’absenter quelques années pour des raisons professionnelles. Quand je suis revenu, l’ambiance avait totalement changé, la quasi totalité de mes amis n’avait pas voulu renouveler leur adhésion, il y avait moins de visites et un manque d’enthousiasme de la part des équipes du Louvre. Nous avons appris à l’arrivée de Jean-Luc Martinez qu’il se désintéressait du mécénat individuel au profit du mécénat commercial et du développement de la marque du Louvre, avec des partenariats. Auparavant, nous recevions par exemple un petit cadeau à Noël, un livre ou un catalogue. Cette année nous avons reçu 12 capsules de café avec la marque Louvre... Le voyage annuel a été annulé ainsi que le gala.

3. Annonce du Gala du Cercle des Mécènes du Louvre en 2017
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En 2019, lors de l’événement annuel devant la Pyramide pour remercier tous les mécènes et tous les partenaires du musée, Jean-Luc Martinez a décidé au dernier moment de ne pas faire de discours, car on nous a dit qu’il n’était pas à l’aise avec la communication ! Cela tombait mal car en même temps il n’y avait plus rien à boire ni plus rien à manger. Certains mécènes ont commandé des pizzas pour voir le spectacle de danse en plein air. L’année précédente, lors du même événement mais au jardin des Tuileries dont la date avait été fixée des mois auparavant, la direction du Louvre avait décidé de partir à Tokyo en laissant les mécènes à cette garden party aux Tuileries, également sans aucun discours non plus. On nous a dit que le Président n’aimait pas trop les rencontres avec les mécènes. 

En 2020, avec le Covid, il n’y a presque pas eu d’événements pour les mécènes alors que dans d’autres musées, par exemple au Centre Pompidou, étaient organisées tout de même de très nombreuses visites, en petit comité. Fin 2020, la suppression du Cercle des Mécènes du Louvre et son transfert à la Société des Amis du Louvre, sans avoir auparavant demandé leur avis aux mécènes, a été très mal accueillie et nous avons en plus subi une augmentation du don minimum de plus de 50 % après déduction fiscale. Comme vous pouvez le penser, très peu de membres ont renouvelé leur mécénat. »

Des mécènes découragés

Un troisième mécène donne régulièrement aux musées français et aux maisons d’éditions pour financer des livres d’histoire de l’art et des catalogues d’exposition quand il estime que l’apport scientifique est important et que rien d’autre ne sera fait dans les vingt-cinq prochaines années. Au Louvre, il avait notamment aidé à financer plusieurs catalogues d’exposition. Celui-ci donne comme le faisaient les mécènes du XIXe siècle : sans demander aucune déduction fiscale puisqu’il ne peut pas en bénéficier, étant résident à l’étranger. Il ne veut plus rien donner au Louvre : « L’avènement de Jean-Luc Martinez s’est traduit par la création de super départements transversaux qui chapeautent les départements traditionnels. Des sujets traités efficacement précédemment le sont désormais par de nouvelles personnes totalement déconnectées du monde des musées, qui prennent des décisions et font des recommandations qui n’ont ni queue ni tête. Les mécènes sont découragés par l’instauration de règles qui n’existent pas ailleurs, que ce soit dans d’autres musées nationaux, dans les musées de province ou à l’étranger. Cela ne m’intéresse plus du tout d’aider le Louvre tant que Jean-Luc Martinez sera à sa tête »

Si ce mauvais traitement concerne donc surtout ceux qui donnent quelques milliers d’euros ou dizaines de milliers d’euros par an, les plus gros mécènes ne sont pas toujours épargnés. Rappelons, par exemple, la manière dont Éric de Rothschild, au moment de la vente des portraits de Rembrandt, a été surpris, pour ne pas dire davantage, de ne jamais être approché par le musée pour négocier sérieusement l’achat de ces tableaux avant qu’il ne se décide finalement à les proposer au Rijksmuseum. Même si nous n’avons jamais pu discuter directement avec lui, nous avions eu à l’époque de nombreux témoignages montrant que si Jean-Luc Martinez avait joué le jeu avec celui qui était tout de même le membre d’une des familles qui a le plus offert d’œuvres au musée, il aurait fait un geste très significatif pour que le Louvre puisse acheter non pas une mais bien les deux toiles.

Encourager les mécènes et savoir les remercier est une mission essentielle pour un directeur de musée. En négligeant celle-ci, en humiliant des collectionneurs et des amateurs qui aiment le Louvre et veulent l’aider, et en finissant par les décourager, Jean-Luc Martinez échoue à la remplir. Il est vrai que ce n’est pas la seule...

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