Caserne Gudin : le préfet était bien à la manœuvre

La caserne Gudin dans les années 1950
Photographe inconnu
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Dans un article récent sur les menaces pesant sur la caserne Gudin de Montargis, nous avions interrogé la préfecture du Centre-Val-de-Loire à propos d’un possible conflit d’intérêt du préfet, Régine Engström, ancienne directrice chez Nexity, le promoteur du projet. Celle-ci en effet est celle qui doit décider, ou non, de l’inscription monument historique de la caserne, actuellement placée par le ministère de la Culture sous le régime de l’instance de classement. Le secrétaire général de la préfecture nous avait répondu que : « ce n’est pas la préfète qui décidera car étant effectivement une ancienne directrice chez Nexity, il y aurait un conflit d’intérêt. Elle s’est donc déportée, comme c’est naturel, et c’est moi qui instruit le dossier. »

Bien entendu, nous n’avions pas cru une seconde à cette affirmation. Et nous avions raison comme le démontre aujourd’hui une enquête de Mediapart. L’auteur de ce long article, Antton Rouget, a en effet pris connaissance d’un courriel envoyé par le préfet le 4 octobre 2021 à des membres du cabinet de Roselyne Bachelot. Dans ce mail, selon l’article de Mediapart, elle « conteste les arguments des opposants à la destruction de la caserne », elle « réduit aussi la décision de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture (CRPA) du 29 juin 2021, bien que votée à la quasi-unanimité, en expliquant qu’elle est "issue uniquement de la mobilisation associative [...] que l’opposition municipale a su mobiliser" et, enfin, elle conclut en indiquant que les élus locaux considèrent être « victimes […] d’un État qui se déjuge ». Pour sa défense, la communication de la préfecture affirme que cela n’était qu’une « remontée d’informations » naturelle et qu’« expliquer un contexte local est une obligation et ne peut être assimilé à une prise de position ».

Sauf que la préfecture affirmait bien que le préfet s’était « déporté, comme c’est naturel » de ce dossier, un déport manifestement fictif et dont le ministère de la Culture ne semblait d’ailleurs pas au courant. Le 19 octobre en effet, lors de l’inauguration de la Chancellerie d’Orléans, nous avions rencontré un haut fonctionnaire de la direction générale des Patrimoines qui nous avait affirmé - assez choqué - qu’il avait découvert par le mail que nous avions envoyé au ministère de la Culture alors que nous préparions notre article que Régine Engström était une ancienne de Nexity, le promoteur du projet. Cela prouve donc que dans son propre courriel du 4 octobre, comme l’a relevé Mediapart, le préfet n’avait pas indiqué qu’elle travaillait encore récemment dans cette entreprise. Et que son déport n’était donc pas connu du ministère (il paraît ne jamais avoir été acté). L’article de Mediapart, dont nous conseillons la lecture, révèle également, avec d’autres conflits d’intérêts potentiels, que le choix de Nexity était justifié à l’origine par la conservation du monument.

Cette affaire pitoyable ne peut rester sans conséquences : la préfecture n’a désormais d’autre choix que d’acter l’inscription de la caserne et le ministère de la Culture celui de son classement. Il faut aussi s’interroger à propos de la politique d’Emmanuel Macron sur la nomination des préfets. On sait que le président de la République souhaite casser le corps préfectoral, ce qu’il semble avoir déjà commencé à faire : nommer préfet une directrice chez un promoteur immobilier, quand on connaît le rôle d’un tel haut fonctionnaire dans la protection du patrimoine, voilà qui pose question.

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