C’est pas moi, c’est l’autre

14 14 commentaires Toutes les versions de cet article : English , français
Monseigneur Ulrich/Emmanuel Macron
Photos : Pierre André (CC BY-SA 4.0) et
France Diplomatie - MEAE (CC0 1.0)
Voir l´image dans sa page

Devant le succès de la pétition pour la conservation des vitraux de Viollet-le-Duc, qui est fortement repartie à la hausse depuis quelques jours et qui atteindra certainement d’ici peu les 200 000 signataires, se développe une petite musique en défense du président de la République, qui prétend qu’il ne serait pour rien ou presque dans cette affaire, et que le vrai responsable serait Mgr Ulrich.

Bien entendu, Mgr Ulrich et plus généralement le diocèse de Paris portent une responsabilité. Cette Église de France, responsable dans les années 1960-1970 du plus grand vandalisme religieux depuis la Révolution, à la suite du Concile Vatican II, n’est pas guérie de cette détestation de son patrimoine. On peut même affirmer que celle-ci connaît un renouveau. Mgr Lustiger avait déjà commencé à vandaliser l’œuvre de Viollet-le-Duc en faisant enlever notamment la clôture de chœur et la couronne de lumières (voir l’article). Nous reviendrons très bientôt sur les innombrables attaques qu’a déjà subies la cathédrale avec la complicité de l’État depuis au moins 1960.
Mais en l’occurrence, s’agissant d’un monument classé appartenant à l’État, et de vitraux par nature « immeubles par destination », leur remplacement ne relève en aucun cas de la décision de l’affectataire, c’est-à-dire du diocèse.

Le ministère de la Culture est le seul à pouvoir autoriser ou interdire le remplacement de vitraux d’un édifice religieux classé appartenant à l’État. Il s’était d’ailleurs constamment opposé aux velléités des archevêques, Mgr Aupetit ayant lui aussi tenté, juste après l’incendie, de faire installer des vitraux contemporains à la place de ceux de Viollet-le-Duc, mais le ministère de la Culture s’y était opposé immédiatement et sans ambiguïté (voir la brève du 24/11/20). Inutile de dire que la « continuité de l’État », un principe qui jusqu’à présent voulait dire quelque chose, en a pris un coup puisque Emmanuel Macron ne se l’applique pas à lui-même. C’est le fameux principe du « en même temps ».

Si le diocèse souhaite depuis longtemps ces vitraux contemporains, Emmanuel Macron est bien celui qui a décidé d’y revenir, sans doute frustré de ne pas avoir pu imposer une flèche qui aurait « porté la marque de notre temps », selon le célèbre mot de son Premier Ministre Édouard Philippe (voir l’article).
Nous l’écrivions ici : c’est bien lui qui a relancé cette idée, en transmettant à l’archevêque son souhait que ce dernier lui envoie un courrier (voir l’article) pour lui faire à nouveau une telle demande, afin de ne pas apparaître comme moteur dans l’affaire.
Évidemment, Mgr Ulrich s’est exécuté, trop content de trouver enfin une oreille favorable du côté de l’Élysée. Nous parlons bien de l’Élysée, car le ministère de la Culture, c’est-à-dire les fonctionnaires chargés de la protection du patrimoine, est vent debout contre cette idée, à l’exception de la ministre Rachida Dati, non par conviction, mais par souci de plaire au président.

Les rapports des fonctionnaires devant la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture étaient tous défavorables, et les fonctionnaires faisant partie de cette commission, à qui on avait ordonné de voter oui, ont préféré, grâce à l’autorisation du directeur des patrimoines, ne pas prendre part au vote pour ne pas désobéir ou voter contre leur avis (voir la brève du 11/7/24). L’ordre vient bien de l’Élysée, et de nulle par ailleurs. C’est bien Emmanuel Macron qui est responsable de ce projet et qui a la capacité entière de l’interrompre.

Quant au diocèse, pas plus courageux finalement que le président, il affirme lui aussi qu’il n’y est pour rien. Lors d’une conférence de presse organisée le 25 juin sur l’aménagement intérieur de la cathédrale, à notre question sur les vitraux, par la voix d’Olivier Ribadeau Dumas, recteur de la cathédrale, il a répondu : « C’est une commande de l’État » comme le rapporte Le Monde dans un article avec comme sous-titre : « Les faits ».
Oui, ce sont des faits. Des faits bien malmenés par tous les protagonistes de cette farce. Fait : le diocèse est ravi. Fait : c’est une commande de l’État. Fait : le seul décideur et moteur dans cette affaire est le président de la République.
Bien sûr, l’archevêque de Paris pourrait tout-à-fait s’y opposer. Son avis est consultatif, comme celui de la CNPA, mais il aurait sans doute un poids plus fort. Il ne le fait pas car il souhaite ce vandalisme.

Les défenseurs du président de la République (dont Marlène Schiappa dans ce débat sur BFMTV) prétendent qu’il n’y est pour rien, que c’est le choix du diocèse. Le diocèse affirme au contraire que c’est une commande de l’État. C’est pas moi, c’est l’autre ! En réalité, ils sont tous les deux responsables, mais le vrai coupable est Emmanuel Macron.

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.