Un cas d’école : les travaux non autorisés au château d’Aubiry

1. Viggo Dorph-Petersen (1851-1937)
Château d’Aubiry
Céret
Photo : Fabricio Cardenas (CC BY-SA 4.0)
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Le château d’Aubiry [1] (ill. 1), dans les Pyrénées-Orientales sur la commune de Céret, a été construit vers 1900 par l’architecte danois Viggo Dorph Petersen pour l’industriel Jean Bardou. L’intégralité du château, qui conserve des décors Art nouveau, est inscrit monument historique, comme presque l’ensemble du domaine, parc et enceinte compris (ce dernier point est précisé dans l’arrêté d’inscription publié par la base Mérimée du ministère de la Culture). L’édifice appartient à la famille De Pra depuis 1973. Celle-ci a cherché depuis plusieurs années à le mettre en vente, sans succès.


2. Mur d’enceinte détruit au château d’Aubiry
Photo : Blaps75 (CC BY-SA 4.0)
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3. Brèche percée dans le mur de l’esplanade du château d’Aubiry
Photo : Blaps75 (CC BY-SA 4.0)
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Malgré la protection monument historique, des travaux sont en cours depuis quelque semaines, des travaux très lourds qui ont consisté notamment à détruire près de 40 mètres de l’enceinte inscrite (ill. 2), et à percer une grande brèche dans le mur de l’esplanade du château (ill. 3). Une personne nous a prévenu dès le 29 mars, mais nous n’avons pas eu le temps de nous occuper de cette affaire, une parmi les innombrables dont nous sommes informés presque tous les jours… Ces travaux vont d’ailleurs bien au-delà de ces destructions, puisque l’on peut voir notamment l’érection de ce qui ressemble à un mur en ciment ou béton qui vient se coller contre les constructions anciennes (ill. 4 et 5). Selon un témoin sur place, qui nous indique que les travaux sont toujours en cours, il s’agit de la construction d’une scène pour le festival. Le trou dans le mur de l’esplanade aurait pour fonction de permettre l’accès des artistes !


3. Travaux sur le domaine du château d’Aubiry (construction d’un mur ?)
Photo : Blaps75 (CC BY-SA 4.0)
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4. Travaux sur le domaine du château d’Aubiry (construction d’un mur ?)
Photo : Blaps75 (CC BY-SA 4.0)
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Le 25 avril 2022, l’ASPAHR, la très active association de protection du patrimoine roussillonnais publiait sur son site un article indiquant qu’elle avait écrit au maire et au sous-préfet pour dénoncer des travaux faits sans autorisation : destruction du mur de clôture, installation d’un transformateur électrique et d’autres aménagements. La raison de ces travaux destructeurs d’un patrimoine protégé ? L’organisation du 7 au 10 juillet 2022, sur le parc du château du festival Les Déferlantes, consacré à la variété, avec de multiples concerts parmi lesquels Vianney, Orelsan, Angèle ou Cali. La lettre au maire et celle au sous-préfet, qui datent du 12 avril, sont restées à la date d’aujourd’hui (2 juin) sans réponse, ce qui donne une idée de la considération qu’ils ont pour le patrimoine. Il est vrai que la mairie de Céret participe pleinement de cette affaire puisqu’elle a désormais la gestion du parc en bail emphytéotique pour 18 ans. Par ailleurs, le festival Les Déferlantes appartient au groupe Bolloré, ce qui peut expliquer en partie certaines réticences à s’opposer à ces travaux.

Ni la mairie ni le festival n’ont daigné répondre à nos questions, mais le propriétaire du château, Olivier De Pra, nous a répondu très rapidement Pour une totale transparence de notre enquête, nous citons intégralement ce qu’il nous a écrit : « Nous avons l’autorisation de la DRAC de faire ces travaux, et ceux-ci ont été faits en fonction des demandes de la mairie et du festival Les Déferlantes. J’ai essayé de vendre ce château qui coûte très cher à entretenir, sans succès, et les Déferlantes sont arrivées pour nous demander s’ils pouvaient y organiser leur festival. Si nous n’avions pas fait ces travaux, c’était impossible, notamment pour assurer la sécurité du public lors du festival, cela permet aussi de refaire vivre un site fermé au public jusque-là et d’aménager le parc pour le rendre accessible à tous. D’autres événements dont je ne peux pas encore parler vont arriver, qui nécessitent des mises en sécurité, comme on nous l’a demandé, pour accueillir des milliers de personnes. Si j’avais pu en faire moins, j’en aurais fait moins. »

Oui, mais voilà. Nous avons également contacté la DRAC. Et celle-ci nous a répondu de manière très circonstanciée. Là encore nous publions l’intégralité de la réponse : « Ce dossier malheureux est bien connu de services de la DRAC. Nous avons été saisis il y a plusieurs mois d’une demande d’autorisations de travaux, en particulier sur le mur d’enceinte afin d’adapter le site à l’organisation du festival les Déferlantes. Il s’agissait de percer le mur d’enceinte sur 40 mètres, d’installer un transformateur, plus quelques autres travaux. Nous avons refusé cette première demande et organisé plusieurs réunions avec les propriétaires pour leur expliquer ce qu’il était possible ou non de faire. Nous leur avons donné nos préconisations, qui nécessitaient une nouvelle demande d’autorisation. Celle-ci était à peu de choses près identique à la première, et j’ai à nouveau refusé de la signer. Mais nous nous sommes rendus compte qu’ils avaient déjà fait les travaux, sans autorisation donc, et sans tenir aucun compte de ce que nous avions proposé. Nous avons donc constaté un délit : des travaux effectués sur monument inscrit, sans autorisation.
Nous procédons aux vérifications mais évidemment la DRAC assumera ses responsabilités. Je vous rappelle que tout constat d’infraction doit être signalé par un fonctionnaire à la justice (c’est même une obligation), et que cela vaut à Aubiry comme ailleurs.
 »
Ajoutons que l’installation du transformateur, nécessaire pour éclairer le parc pendant les événements qui y seront organisés, a par ailleurs été refusée par l’architecte des bâtiments de France. Notons que le coût du transformateur et des travaux d’installation (45 350,40 € TTC) est pour 60 % financé par la mairie de Céret et le reste par ENEDIS [2]. On constate donc avec surprise que la mairie qui délivre les autorisations finance un aménagement par ailleurs refusé par l’ABF !

Clairement, il apparaît donc que, contrairement à ce que prétend le propriétaire, ces travaux - qui se poursuivent - n’ont pas été autorisés. Ils ont même été refusés par la DRAC à deux reprises. Et c’est heureux, car il est évident que dans cette affaire, la rentabilisation du château et sa location au festival Les Déferlantes (dont on peut craindre que les milliers de personnes attendues abiment un peu plus un parc qui n’est pas semble-t-il en très bon état) ont primé sur la protection du monument, allant jusqu’à occasionner des travaux non autorisés et destructeurs. Rappelons que le code pénal est très clair : « La destruction, la dégradation ou la détérioration est punie de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende lorsqu’elle porte sur […] un immeuble ou objet mobilier classé ou inscrit en application des dispositions du code du patrimoine » La destruction, la dégradation ou la détérioration d’un monument historique n’est donc pas un petit délit.

Mais qu’en est-il réellement ? Quittons un instant cet exemple précis pour nous interroger sur l’application de la loi [3]. Lorsqu’un voleur s’en prend à un passant, avec violence, mais sans incapacité totale de travail, il est passible de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Moins donc que pour la destruction d’un monument historique. Pourtant, imagine-t-on un policier ou un gendarme appelé pour un vol, ou témoin d’un vol, laisser tranquillement repartir le voleur, à la limite prendre son identité, puis signaler au procureur de la République le vol en attendant que celui-ci poursuive ou classe l’affaire ? A minima, les forces de l’ordre interviennent pour faire cesser le délit, et son auteur se retrouve au moins en garde à vue, avant d’être éventuellement mis en examen.
Pour le patrimoine ? Rien de tout cela. La police n’intervient jamais (en tout cas nous n’avons pas connaissance de son intervention dans un cas semblable) sauf sans doute lorsqu’il s’agit d’une personne extérieure qui s’attaque à un bien public ou à un bien ne lui appartenant pas. Mais la destruction ou la détérioration par un propriétaire d’un bien lui appartenant, pourtant protégé monument historique, ne fait l’objet que d’un signalement par les services en charge de la protection du patrimoine, en attendant le bon vouloir du procureur. C’est d’ailleurs ce que nous avions pu constater au château de La Barben - nous reviendrons bientôt sur cette affaire qui est loin d’être terminée - et c’est ce que nous voyons désormais au château d’Aubiry.

Nous ne savons d’ailleurs pas si la DRAC a porté plainte en se constituant partie civile - celle-ci ne nous répond pas sur ce point, les procédures étant en cours, même si nous pouvons l’espérer compte-tenu de sa réponse (« la DRAC assumera ses responsabilités »). Quoi qu’il en soit, il est clair que si la DRAC n’a pas le pouvoir de police, elle a le pouvoir d’appeler la police ou la gendarmerie lorsqu’elle constate un délit, comme d’ailleurs n’importe quel citoyen. Le maire a lui aussi un pouvoir de police et peut demander l’intervention des forces de l’ordre pour faire cesser le désordre. Et celles-ci doivent agir. Dans le cas contraire, il est possible de considérer qu’il y a une carence de l’État et toute personne ayant « intérêt à agir » peut attaquer l’État après s’être ménagé la preuve, c’est-à-dire dans ce cas précis constater que le monument qui existait a été détruit, sans autorisation.

Il faut que ces travaux soient interrompus, que les structures construites soient supprimées et que les éléments détruits illégalement soient reconstruits à l’identique (ce qui techniquement ne poserait pas de difficulté particulière) afin que ce monument retrouve son intégrité. Bien au-delà, il faut s’inquiéter des prochaines étapes. Dans une interview donnée au journal L’Indépendant le 29 janvier 2021, le propriétaire indiquait en effet qu’il avait pour projet de « créer un restaurant étoilé, un hôtel, un centre de thalasso, valoriser les serres ». La valorisation des serres est une très bonne idée [4], mais tout dépend pour quoi faire. Créer un restaurant étoilé, là encore, ne devrait pas poser de problème si les aménagements sont effectués avec soin. On peut davantage s’inquiéter de l’établissement d’un hôtel s’il s’agit de l’installer dans le château lui-même, ce qui occasionnerait des travaux qui risquent là encore d’être destructeurs pour un patrimoine fragile, comme ce serait le cas pour un centre de thalassothérapie. Remarquons que vouloir utiliser un monument historique pour qu’il dégage les moyens nécessaires à son entretien n’est pas une mauvaise chose, au contraire. Mais cela ne doit jamais être aux dépens du monument lui-même. L’utilisation doit s’adapter au domaine, et pas l’inverse. Avec Les Déferlantes, c’est pourtant ce qui s’est produit.

Didier Rykner

P.-S.

r

Notes

[1Contrairement à ce que nous essayons de faire systématiquement, nous n’avons pas pu, pour écrire cet article, nous rendre sur place.

[2Compte-rendu du Conseil municipal de Céret du 6 avril 2022.

[3Merci à Allan Caroff, avocat, pour les conseils qu’il nous a prodigués dans la rédaction de cet article.

[4À notre demande sur la suite des travaux, Olivier De Pra a répondu : « nous aimerions bien rénover à l’identique la serre qui tombe en ruine mais nous n’avons pas les moyens à ce stade... Nous travaillons avec la DRAC et un architecte en chef des monuments historiques pour reconstruire un mur mobile équivalent à l’origine. » Il n’y a pour l’instant bien sûr aucun travail avec la DRAC qui soit en cours.

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