Reconstruction de la flèche de Saint-Denis : une opération basée sur le mensonge

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Rappelons-nous, c’était il y a trois ans. La mairie de Saint-Denis et beaucoup d’autres, dont l’architecte en chef des monuments historiques Jacques Moulin, ont tout fait pour forcer le ministère de la Culture à autoriser la reconstruction de la flèche de Saint-Denis, un élément disparu il y a plus d’un siècle et demi. Et cette reconstruction, c’était promis, juré, craché, ne coûterait pas un centime à la collectivité, tout serait financé par le mécénat. Une fable bien sûr, que nous avions dénoncée dans cet article : « l’argument du financement « entièrement privé » n’est pas crédible une seconde. Non seulement le mécénat donnera lieu à des déductions fiscales, mais l’argent public sera bien sollicité si les fonds venaient à manquer, comme c’est probable. D’une façon ou d’une autre, ce sont bien les contribuables qui paieront cette absurdité. »

Avouons-le, nous sommes d’une naïveté confondante. Car ce projet, finalement chiffré à 15 millions d’euros, ne sera pas financé uniquement par les visites et par le mécénat comme l’affirmaient ses promoteurs. Il ne sera même pas financé en partie par des fonds publics comme nous le pensions. Il sera intégralement payé par les contribuables, et même au-delà de ce qui est nécessaire. Car aux 2 millions d’euros que va donner la région Île-de-France, s’ajouteront 20 millions par le « Fonds de Solidarité Interdépartemental et d’Investissement », un machin créé par les sept départements franciliens, dont la fonction est de « mettre en commun une partie de leurs ressources, afin de pratiquer une politique d’investissement visant à renforcer la solidarité entre les territoires tout en réalisant des économies d’argent public » (voir ici). On appréciera l’ironie de : « tout en réalisant des économies d’argent public ».

Mais ce n’est pas tout : comme si ces 22 millions ne suffisaient pas, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, dans une surenchère touchante, a promis à son tour, après sa visite à Saint-Denis, le 4 décembre dernier que le ministère de la Culture participerait également à cette reconstruction ! Sur des crédits hors patrimoine, mais sur des crédits publics tout de même.

Peu à peu donc, ce chantier inutile se construit sur une série de mensonges plus gros les uns que les autres, sans que cela ne semble émouvoir personne. Outre cette fable de la reconstruction sans argent public, alors qu’il n’y aura en définitive que de l’argent public, il y a eu l’affirmation par Audrey Azoulay que le ministère avait décidé de suivre les recommandations de la Commission nationale des monuments historiques et de lancer les études. Or celle-ci s’y était opposé, sans ambiguïté, comme nous l’avions révélé (voir l’article). C’est ainsi que ce projet a pu se poursuivre contre l’avis de cette commission.
Le troisième gros mensonge de cette affaire, c’était la soi-disante réutilisation des pierres d’origine encore conservées. Un mensonge dont nous avons déjà parlé dans cet article : en réalité, toutes les pierres utilisées seront neuves.

Voici quelques-unes des affirmations des promoteurs du projet, ou de ceux qui ont laissé faire :

16 février 2017 : Article du Monde, « La flèche de Saint-Denis reconstruite sous conditions ». Parmi ces conditions données par la ministre, Audrey Azoulay, la troisième, « exigée » par elle, est : « que l’opération soit autofinancée par les recettes des visites du chantier et par le mécénat ».

9 octobre 2017 : « Ce n’est pas un schéma usuel où l’argent public sert à restaurer un monument, c’est l’argent des visiteurs qui va servir à restaurer ce monument », Jacques Moulin, interview publié sur le site tourisme93.

16 mars 2018 : Article du Parisien, « Saint-Denis : feu vert définitif pour le remontage de la flèche de la basilique !->https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/saint-denis-feu-vert-definitif-pour-le-remontage-de-la-fleche-16-03-2018-7612221.php » qui explique la convention cadre signée en présence de la ministre de la Culture Françoise Nyssen. « Dans ce document de cinq pages, l’association Suivez la flèche s’engage à assumer le financement et la maîtrise d’ouvrage de la phase de reconstruction, sous l’égide de l’État. « Le projet ne coûtera pas un euro au contribuable, puisque le chantier va s’autofinancer avec les visites payantes », assure son vice président Luc Fauchois. »

Mais quelle est donc la morale de cette histoire ? La morale, c’est que les responsables de cet enfumage n’en ont aucune. Mais pourquoi se gêneraient-ils puisque ces mensonges successifs ne posent décidément de problème à personne, et sûrement pas à la ministre de la Culture actuelle, qui « fait confiance à ses équipes », et sans doute aussi à ses prédécesseurs... Il est vrai que le patrimoine, le patrimoine authentique, celui qui existe encore, n’a nul besoin de ces millions d’euros qui vont être dépensés en pure perte...

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