- Emmanuel Grégoire au micro de Sud Radio
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Dans un extrait largement partagé sur les réseaux sociaux, on entend Emmanuel Grégoire, au micro de Sud Radio, parler de la tour Eiffel à propos de la demande de classement du monument émanant de la ministre de la Culture Rachida Dati (s’exprimant elle-même via Twitter). Celui-ci, à son habitude, raconte n’importe quoi, même si pour une fois on peut penser qu’il ne le fait pas sciemment. Il est plus probable qu’il n’a aucune idée des notions dont il parle, ce qui est peut-être tout aussi grave, car il est premier adjoint de la maire de Paris, et en charge de l’urbanisme. Qu’il semble à ce point ignorant du code du patrimoine et de l’environnement est donc inexcusable.
Il commence par une erreur certes mineure et qui est faite couramment, mais qui n’en est pas moins une erreur : « Ce monument, il est inscrit à l’inventaire des monuments historiques depuis 1964 ». Or il n’y a plus d’ « inventaire supplémentaire » depuis 2005. On parle depuis près de vingt ans d’« inscription » monument historique.
Plus grave, il dit ensuite - nous le transcrivons intégralement avant d’étudier sa déclaration point par point - que ce monument est « sur un site classé, c’est-à-dire sur le plan juridique il bénéficie des protections patrimoniales les plus élevées : c’est l’avis conforme des ABF, c’est la question du secteur protégé UNESCO et c’est évidemment tout ce qui entoure ces protections patrimoniales et le fait que à chaque fois nous avons recours à un conseil »
La tour Eiffel est effectivement sur un site classé. Cela ne relève pas du code du patrimoine, mais de l’environnement. Il ne s’agit donc pas, sauf à la marge, d’une protection patrimoniale au sens des monuments historiques. Certes, les architectes des bâtiments de France peuvent être consultés pour un bâtiment qui ne serait pas protégé, et qui se trouverait en site inscrit ou classé. Sur un site inscrit, les ABF ne donnent un avis conforme que pour les projets de démolition (voir cette page sur le site de la DRAC Val-de-Loire). Sur les sites classés, tous les travaux « susceptibles de modifier l’état des lieux ou l’aspect des sites » (voir la même référence) sont présentés à la Commission départementale des Sites, puis l’autorisation vient directement du ministre de l’Environnement.
Il est donc complètement faux de prétendre qu’un site classé, qui ne dépend pas du ministère de la Culture, bénéficierait « des protections patrimoniales les plus élevées ». L’inscription monument historique est une protection supérieure - c’est le cas de la tour Eiffel - mais elle reste très inférieure au classement.
Quant à l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, elle n’apporte aucune protection supplémentaire par rapport à la loi française. Elle implique seulement que l’État français la prenne en compte pour donner au monument ou au site les protections qu’il mérite. En dehors de pressions morales, la seule action concrète que l’UNESCO peut avoir pour un site menacé est de le retirer de cette liste.
Quant au recours à « un conseil » dont parle Emmanuel Grégoire, il faut sans doute le comprendre comme celui à un architecte en chef des monuments historiques, en l’occurrence Pierre-Antoine Gatier. Il est exact en effet que l’inscription seule n’oblige à rien en terme de qualification du maître d’œuvre. Celui-ci peut être un architecte lambda sans aucune compétence pour intervenir sur un monument historique. C’est d’ailleurs une des nombreuses anomalies que présente le code du patrimoine.
Tout cela montre l’ignorance ahurissante d’Emmanuel Grégoire quant à la législation des monuments historiques, une ignorance hélas très largement partagée. En particulier, la simple différence entre un monument inscrit et un monument classé n’est souvent pas comprise, parfois même de certains hauts fonctionnaires du ministère de la Culture comme nous l’avions déjà écrit à propos du château de Grignon. Nous renvoyons à cet article où nous avions énuméré les principales divergences entre le classement et l’inscription monument historique.
Notons, car cela concerne la tour Eiffel, que la différence entre monument classé et monument inscrit pour le « contrôle scientifique et technique » (point 5 de cet article) est encore plus marqué que ce que nous disions. Celui-ci est en effet beaucoup plus fort pour un monument classé qu’il ne l’est pour un inscrit. Car des « études scientifiques et techniques » peuvent être imposées par le préfet de région, « en fonction de la nature, de l’importance et de la complexité des travaux envisagés » et celles-ci doivent être « réalisées préalablement à la détermination du programme d’opération ». Rien de tel n’est prévu pour les monuments inscrits. D’autre part, le contrôle scientifique concerne, si le monument est classé, toute l’opération, dès le début des études, et « tout au long des travaux réalisés jusqu’à leur achèvement ». Pour un monument inscrit, pour lequel il peut ne pas y avoir eu d’études préalables, le contrôle ne s’effectue - s’il s’effectue car le manque de moyens des DRAC empêche souvent un suivi sérieux de tous les chantiers, et les premiers sacrifiés sont bien sûr les monuments inscrits - que pendant les travaux eux-mêmes.
Rien que pour cela, il est évident que la tour Eiffel bénéficierait d’un classement plutôt que d’une simple inscription.
Emmanuel Grégoire a néanmoins raison sur un point. Il dit en effet à propos de la ministre : « la mairie doit me le demander. Non, sur le plan juridique, elle peut aussi le demander, elle en a le droit ». C’est exact. Le classement peut être demandé par en réalité tout le monde, y compris bien sûr par la ministre de la Culture, qui peut même l’imposer en cas de péril pour le monument.
On comprendrait mal en réalité que la municipalité parisienne refuse le classement de la tour Eiffel comme monument historique. En effet, selon le code du patrimoine, un monument est classé si sa « conservation présente, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public ». Qui en douterait encore, pour la tour Eiffel ?