Paris : un manifeste manifestement mystérieux

1. Vue de Paris
Photo : François Grunberg / Ville de Paris
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C’est un manifeste bien mystérieux qu’a présenté la Mairie de Paris le 20 novembre dernier. Un « manifeste pour une nouvelle esthétique parisienne ». L’adjoint au maire, Emmanuel Grégoire, a pris soin de ne pas déflorer le sujet, préférant garder les détails pour plus tard. Il s’est donc lancé dans un discours historique et philosophique à décorner les bœufs, poétique aussi, ponctué de phrases sibyllines qu’il nous a fallu interpréter tant bien que mal. Des « objets totémiques » seront ainsi installés dans l’espace public. On palpite, on s’interroge : qu’est-ce qu’un objet totémique ? Mystère. Une liste précise sera communiquée ultérieurement. Tout est possible avec la Mairie de Paris, les boites Zzz sur les berges de la Seine le prouvent bien. Qui sait ? Ces totems seront peut-être des piliers - des « Pilib’ » ? - autour desquels les Parisiens (et les Parisiennes) pourront tourner à la queu-leu-leu en lançant des « ugh » exutoires pour s’approprier leur quartier et entretenir une convivialité de voisinage. On attend également avec impatience les propositions du groupe de travail qui doit se pencher sur la problématique de « l’urbanisme genré ». Quant aux projets destinés à adapter l’espace public aux « mobilités actives », ils permettront sans doute de réduire les mobilités passives et les immobilités trop affairées.

Un manifeste donc pour une nouvelle esthétique. Mais nouvelle par rapport à quoi ? Une lueur d’espoir soudain scintille : et si la Mairie de Paris avait ouvert les yeux sur les verrues qu’elle a disséminées au fil des ans ? Il est d’autant plus tentant d’y croire qu’en guise de préambule, Emmanuel Grégoire a reconnu tout de go : « Nombreux sont ceux à nous faire le reproche que Paris s’enlaidit ». Alléluia. S’ils sont nombreux, c’est donc que le reproche est justifié ? Pas du tout. La foule a tort, du moins elle exagère et « la véhémence des critiques peut prêter à sourire ». La mairie sourit donc, pendant que les Parisiens (et les Parisiennes) pleurent devant la place du Panthéon devenue cour de récréation, la Place de la République défigurée en chantier permanent, les berges transformées en espaces ludiques et bariolés...
C’est que les pleureurs n’ont rien compris. Un argument-choc permet de faire passer les détracteurs d’une construction moderne pour des benêts aveugles : la tour Eiffel, que tout le monde critiqua en son temps. « Elle inquiétait une société qui refusait d’avoir la nouveauté comme symbole ». C’est imparable [1] . En fin de compte, « la beauté d’aujourd’hui est l’audace d’hier » Et celle de demain...?

2. Les Trilib’
Poubelles de tris
Photo : F.T.
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Rappelant donc qu’ils furent nombreux à fustiger cette tour que Maupassant lui-même considérait comme un « cauchemar inévitable et torturant  » et qui est aujourd’hui l’un des monuments parisiens les plus célèbres, Emmanuel Grégoire constate avec regret que pour une majorité de personnes les créations du passé sont plus belles que celles d’aujourd’hui. « Cette vision du "c’était mieux avant" irrigue la pensée contemporaine et occidentale […] c’est la pensée décliniste qui se mue en pensée conservatrice. » Heureusement, la Mairie rejette tout conservatisme, son manifeste se veut visionnaire.
Il est un peu curieux d’opposer le « Paris carte postale » et le « Paris de la vie réelle », celui des touristes et celui des Parisiens (et des Parisiennes). Il y aurait en effet « une dissonance cognitive des ressentis entre la ville musée et la ville-monde. » Pourtant le Parisien, écoutant sans doute son ressenti dissonant du vécu, aimerait que le patrimoine de sa ville ne soit pas considéré comme une contrainte ni comme un frein à la modernité, mais comme une richesse qui mérite d’être préservée et mise en valeur. Il aimerait, le Parisien, marcher dans une carte postale, au lieu de déambuler parmi les affreux Trilibs (ill. 2) ou les abris à vélos tout aussi moches (ill. 3).

3. Abri à vélo sécurisé
Paris
Photo : F.T.
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S’il est nécessaire de répondre aux évolutions et aux nouveaux usages d’une société, la laideur est-elle une fatalité ? Qu’on se rassure, la fonctionnalité et la facilité d’entretien ne seront plus les seuls critères pour choisir le mobilier urbain, son esthétique et son harmonie dans le milieu où il doit s’insérer pèseront désormais dans la décision.
Mais avant de commander du mobilier, il est prévu de désencombrer l’espace urbain. C’est en théorie une bonne nouvelle. Néanmoins, que va-t-on supprimer ? Là encore le flou est inquiétant, et les exemples sont nombreux de mobilier ancien disparu ou laissé à l’abandon pour justifier sa destruction. La Place de la République en est un bon exemple. D’ailleurs « le premier critère pour qu’un mobilier ne s’abime pas, c’est qu’il ne soit pas là » déclarait Emmanuel Grégoire. Il y a de quoi frémir.

Ce manifeste prévoit une grande consultation publique entre janvier et mars, ainsi que les contributions de professionnels, agents de la Ville, architectes, designers, paysagistes, urbanistes, universitaires, qui donneront lieu à une exposition au Pavillon de l’Arsenal. Il est aussi envisagé de demander l’avis des enfants de 6-11 ans. Mais les enfants, évidemment, sont ravis de vivre dans ce Paris-là, véritable ville Playmobil avec ses plots jaune fluo qui saccagent toutes les perspectives, toutes les grandes avenues, y compris celle de l’Opéra, depuis le confinement (ill. 4). Et les enfants bien sûr, seront impatients de voir la concrétisation des projets pour le mobilier urbain de demain, un mobilier multifonctionnel, digne des meilleurs jeux de Lego : « On peut imaginer des poubelles végétalisées, des bancs-chargeurs, des mobiliers protecteurs. Ils pourraient aussi être temporaires, modulaires, saisonniers et capable de se déplacer de façon autonome ». Se déplacer avec leurs petites papattes ?

4. Avenue de l’Opéra
Photo : bbsg
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Ils seront émerveillés, les enfants, par cette « forêt urbaine » annoncée dans le manifeste, plus magique encore qu’une forêt enchantée, avec sa communauté d’arbres solidaires qui se serreront les coudes et s’entrelaceront les racines. Car on plantera en pleine terre, afin de « favoriser la communication entre les arbres en leur permettant de nouer un réseau racinaire entre eux, un réseau qui leur permet également de s’entraider et participe à leur résilience face aux chocs climatiques ou aux agressions de prédateurs ». Peut-on savoir de quels prédateurs il s’agit ? Seront-ils la conséquence de cette volonté de « remettre la nature en ville et accepter collectivement qu’elle reprenne ses droit sur l’espace public. » Est-il envisagé d’implanter des loups à Paris ?
Peut-être pas, puisque le nouveau mandat d’Anne Hidalgo, qu’on se le dise, sera avant tout celui de la végétalisation. Il s’agit de« passer d’une logique d’espaces verts à une logique de milieux naturels vivants », Emmanuel Gregoire l’affirme : cela va bien au-delà de la vision hygiéniste d’Haussmann et d’Alphand qui aménagèrent les parcs et les jardins parisiens. C’est dommage que l’hygiénisme soit considéré comme dépassé, on aurait aimé être débarrassé des « uritrottoirs », ces urinoirs écologiques ou pissotières destinées à fabriquer du compost pour les plantes.
« Bienvenue aux nouvelles couleurs des matériaux bisourcés et géosourcés et à l’esthétique de la végétalisation des façades. » Après avoir rasé une partie du jardin des Serres d’Auteuil, saccagé les squares de la place de la République, voila qu’on envisage de planter partout et en dépit du bon sens, comme le suggéraient déjà les projets ahurissants pour la place de la Bourse (voir l’article) ou pour la place de la Concorde (voir l’article). «  C’est tout notre imaginaire de la ville qui va être bouleversé ». Tout est dit. La mairie vit dans un monde imaginaire, déconnectée de la réalité historique, artistique, patrimoniale de celle qui fut l’une des plus belles ville du monde.

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