- Édouard Philippe, Premier ministre
Photo : Jacques Paquier (CC BY-2.0) - Voir l´image dans sa page
En 2007, Nicolas Sarkozy avait demandé à sa ministre de la Culture, d’« engag[er] une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d’aliéner des œuvres de leurs collections » (voir la brève du 1/8/07) ; dans la foulée, un député déposait une proposition de loi demandant la fin de l’inaliénabilité des collections françaises (voir la brève du 15/10/17). Un rapport était finalement demandé à Jacques Rigaud qui aboutissait à la sage conclusion qu’il ne fallait pas y toucher (voir cet article).
En 2008, une autre proposition de loi était déposée, cette fois par le sénateur Richert (voir cet article), tandis qu’en 2016, une nouvelle attaque contre l’inaliénabilité était menée à l’Assemblée nationale (voir cet article). Toutes ces tentatives avaient heureusement échoué.
Ce court résumé, d’ailleurs bien incomplet, démontre que les attaques contre l’inaliénabilité des œuvres des collections publiques (un principe, rappelons-le, qui vaut depuis l’édit de Moulins en 1566 et qui a été toujours confirmé) sont régulières. Celle qui s’annonce, menée par Emmanuel Macron et Édouard Philippe sur plusieurs plans, sera sans doute l’une des plus violentes. Car pour mener à bien les « restitutions » d’œuvres africaines, le président de la République est prêt à mettre à bas tous les gardes fous qui protègent les collections publiques. La prochaine étape, après le « dépôt pendant cinq ans » du sabre d’El Hadj Omar, est en effet de poursuivre le détricotage du code du patrimoine qu’il a déjà entamé sur d’autres sujets, en éliminant une commission. Une simple commission, mais une commission dont l’avis est « conforme », ce qui signifie qu’il prime sur tous les autres et s’impose au pouvoir politique.
Officiellement, l’un des objectifs de la « transformation publique », consiste à rendre l’organisation administrative « plus simple et plus réactive », en supprimant notamment des « commissions et entités rattachées aux administrations centrales ». Et parmi ces commissions, cela tombe bien pour les projets présidentiels, se trouve la « Commission scientifique des collections » comme on peut le lire en page 20 du dossier de presse du « 4ème Comité interministériel de la transformation publique » qui a eu lieu le 15 novembre dernier. La manœuvre est discrète, et si nous n’en avions pas été informé, aurait pu être votée sans coup férir avec le « projet de loi "simplification"-2020 » (nous n’avons pas trouvé ailleurs d’informations sur ce projet de loi) comme cela est précisé dans ce dossier. En tout état de cause, les 63 commissions concernées doivent disparaitre « avant fin 2019 » !
La mission de cette commission est de « conseiller les personnes publiques ou les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d’art contemporain, dans l’exercice de leurs compétences en matière de déclassement ou de cession de biens culturels appartenant à leurs collections ». Elle est chargée notamment (mais pas uniquement) de « donner son avis conforme sur les décisions de déclassement de biens appartenant aux collections des musées de France ». Car si « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables » comme le dit l’article L451-5 du code du patrimoine, leur déclassement est possible et cette décision ne peut être prise qu’après avis conforme de la commission scientifique nationale des collections. Supprimer cette commission revient à rendre immédiatement effective la décision de déclassement d’un objet des collections publiques quelque soit celui-ci.
Nul besoin donc de remanier profondément le code du patrimoine : la seule suppression de cette commission autorise toute « personne publique » à déclasser, et donc pouvoir vendre, donner, « restituer » tout objet d’une collection publique dont elle a la propriété. Après cela, seul l’article L451-7 constituera encore un frein à l’aliénation de certaines biens, ceux « incorporés dans les collections publiques par dons et legs ou, pour les collections ne relevant pas de l’État, ceux qui ont été acquis avec l’aide de l’État ne peuvent être déclassés. » Supprimez cet article, et tout pourra disparaître.
On est donc bien au delà de la simple « restitution » de quelques objets africains, mais bien dans un processus consistant à rendre les collections publiques totalement aliénables. Demain, n’importe quel élu pourrait décider de vendre tel ou tel objet de son musée, voire des ensembles entiers qu’il estimerait inutile, trop coûteux à conserver, voire intéressant à vendre pour construire une piscine.
Informée, notamment par nous, de cette menace, la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat va organiser une mission d’information sur cette question. Il y a urgence : fin 2019, c’est demain, d’autant que si le Sénat veille, le dernier mot revient toujours à l’Assemblée nationale, dont la majorité LREM vote, au moins dans le domaine du patrimoine et des musées, comme un seul homme et sans nuance pour les projets gouvernementaux. Quant au ministre de la Culture, on aimerait qu’il s’exprime pour défendre haut et fort le principe de l’inaliénabilité. Ses seules interventions publiques récentes dans ce domaine ont constitué à retweeter fièrement les messages du Premier ministre se félicitant de la « restitution » du sabre !
Terminons sur une remarque de fond : l’inaliénabilité des collections publiques s’appliquait aux rois de France qui ne pouvaient pas, tout absolutistes qu’ils fussent, disposer à leur guise des biens de la Couronne. Elle a été respectée par tous les régimes depuis la Révolution française. Si elle n’est, malheureusement, pas inscrite dans la Constitution, quelle est la légitimité d’un homme politique élu, sans gloire, président de la République pendant cinq ans, pour rayer d’un trait de plume ce qui forme une part essentielle de notre pays ?