Louvre : infos contre infox (2)

Cela pourrait devenir un emploi à plein temps (mais à contrat à durée très déterminée, on l’espère) : examiner chaque déclaration de Jean-Luc Martinez dans les médias afin d’y répondre point par point quand celles-ci sont fausses ou témoignent d’un fonctionnement anormal du Louvre, c’est-à-dire souvent.

C’est dans Le Journal des Arts que s’exprime aujourd’hui son président-directeur, dans une interview dont malheureusement les réponses ne sont jamais mises en doute ou approfondies, alors qu’il y aurait vraiment matière à cela. Nous allons donc le faire sur deux points, d’autant que, dans cette compétition étrange où aucun appel à candidature n’a été officiellement lancé (en tout cas pas à notre connaissance), les candidats à sa succession ne peuvent s’exprimer en tant que tels [1].


1. Rembrandt van Rijn (1606-1669)
Portrait de Oopjen Coppit, épouse de Marten Soolmans, 1634
Huile sur toile - 210 x 134 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : WGA (domaine public)
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Dans cette interview, Jean-Luc Martinez parle d’un sujet qui nous tient à cœur et sur lequel nous sommes revenus très souvent : les trésors nationaux. Il y affirme : « Je veille par ailleurs à ce que l’on classe une œuvre "trésor national" uniquement si on a des chances sérieuses de pouvoir l’acquérir. Une œuvre classée et non acquise perd de la valeur sur le marché. »

Qu’il assume cette manière de faire est une chose, mais cela ne la rend pas légitime pour autant. On peut même ici parler d’abus de pouvoir. Car le code du patrimoine ne donne aucun rôle au président du Louvre dans la politique des trésors nationaux. Celle-ci relève du ministère, qui est conseillé dans ce domaine directement par les directeurs des « grand départements patrimoniaux ». Nous avons à plusieurs reprises expliqué de quoi il s’agissait : les directeurs des grands départements, compétents dans leur domaine, sont pour plusieurs d’entre eux (peintures ; sculptures ; dessins ; objets d’art ; arts de l’Islam ; antiquités grecques, étrusques et romaines ; antiquités égyptiennes ; antiquités orientales) les directeurs de départements du Louvre, mais ils ne répondent pas pour cette fonction au président du Louvre. Pour les autres grands départements leurs directeurs sont les directeurs de ces établissements quand eux-mêmes sont des scientifiques (par exemple à Orsay ou à Guimet) ou les adjoints conservateurs au président quand ce dernier n’est pas un scientifique (par exemple à Versailles ou à Beaubourg).

Au Louvre, les directeurs de département devraient donc être, selon la loi, totalement indépendants du président-directeur. Jean-Luc Martinez n’a aucune légitimité à s’ingérer dans ce processus. Il en a encore moins à décider des critères de refus de certificat d’exportation, surtout quand ceux-ci ne correspondent pas non plus à ce que dit la loi. Là encore, nous avons plusieurs fois signalé qu’en aucun cas le critère « chance sérieuse de l’acquérir » n’en est un. Le classement trésor national porte uniquement sur l’importance de l’œuvre, pas sur son prix. Et si la procédure prévoit deux ans et demi pour réunir les fonds, c’est bien pour donner du temps et trouver des financements dont on ne dispose pas immédiatement. L’affaire des Rembrandt Rothschild (ill. 1) en est bien la démonstration. Plus grave encore : à quel moment une œuvre classée mais non acquise perdrait-elle de la valeur ? C’est faux : bien au contraire, cela lui en rajoute. Et on s’interroge sur la raison qui pousse le président du Louvre à inciter à ne pas respecter le code du patrimoine parce que cela pourrait faire baisser la valeur d’une œuvre sur le marché.

À propos du Tiepolo, et à la question « Est-il vrai que vous ayez acquis un plafond de Tiepolo contre l’avis du directeur des Peintures ? », il répond : « C’est complètement faux et ce qui est sorti dans la presse à cet égard me choque au plus haut point ». Nous sommes vraiment navré de devoir à nouveau choquer Jean-Luc Martinez, mais nous maintenons nos affirmations, qui sont d’ailleurs également celles de Mediapart, du Canard Enchaîné et de Vincent Noce dans la Gazette Drouot : la décision a été prise par Jean-Luc Martinez, avec le soutien (ce qui permet de lui donner un semblant de légitimité) de l’adjoint au directeur du département des peintures, mais contre l’avis de ce dernier et d’une grande partie de ce département. Il est d’ailleurs savoureux à ce propos de relire ce que Jean-Luc Martinez nous déclarait dans l’interview qu’il nous avait accordé au début de son premier mandat. À cette question : « Comment voyez-vous votre rôle dans les procédures d’acquisitions ? Interviendrez-vous beaucoup ? », il répondait en effet : « Je ne souhaite pas intervenir dans les choix des conservateurs. Je suis surtout là pour aider. J’interviendrai essentiellement comme un facilitateur, et en m’attachant surtout au deuxième critère : où doit être l’œuvre ? Je veillerai à ce qu’un dialogue constructif s’engage entre tous les intervenants. » Nous ne commenterons pas davantage.

Il faut, pour terminer cet article, revenir à la question du droit moral de Cy Twombly (voir l’article). Non pour nous interroger à nouveau sur le bien fondé de la Fondation à attaquer le Louvre, mais simplement pour noter une autre contre-vérité assénée par le Louvre dans le New York Times qui a dû, ensuite, publier un démenti devant l’évidence.

C’est l’avocat de la Fondation Twombly, David R. Baum, qui nous a directement contacté pour nous en faire part. Dans l’article du NY Times en effet, on pouvait lire que le Louvre « n’avait eu aucun contact avec la Fondation avant ou après que la peinture murale de Twombly fut complétée il y a plus de dix ans [2]. »


2. Rectificatif publié dans le New York Times.
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Or, c’est faux, et le New York Times l’a reconnu en publiant ce rectificatif [3] (ill. 2) : « Un article mardi sur le procès de la Cy Twombly’s Foundation contre le Louvre à propos des murs repeints de la salle où Twombly a créé sa peinture murale incluait des remarques du président du Louvre, Jean-Luc Martinez, qui déformait les interactions du musée avec la Fondation. Il n’est pas vrai que le musée n’a pas eu de contacts avec la Fondation avant ou après que la peinture murale de Twombly fut complétée en 2010. »


3. Invitation à une projection au Louvre d’un documentaire sur Cy Twombly, avec la galerie Gagosian et le logo de la Cy Twombly Foundation
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À l’occasion de ce qui aurait été le 90e anniversaire de Cy Twombly, un documentaire sur l’artiste a été réalisé avec la collaboration de la Fondation, dont une grande partie parlait de la conception et de l’exécution du tableau du Louvre. L’invitation était faite (ill. 3) par le Louvre et la galerie Gagosian, et portait le logo de la fondation. Le président de cette fondation, Nicola Del Roscio, et un autre membre de celle-ci sont venus au Louvre pour y assister. Comme nous l’a confirmé David R. Baum, ceux-ci ont été remerciés dans le discours qui a précédé la présentation du film. Le président de la fondation a par ailleurs été invité pour le lancement des travaux de construction du Louvre Abu Dhabi (où il s’est rendu), et à l’inauguration du musée où des œuvres de Cy Twombly sont exposées (il n’a cette fois pas pu s’y rendre).

Voici donc une nouvelle preuve que chaque déclaration du Louvre doit être vérifiée. C’est ce que nous continuerons à faire. Et aux (rares) personnes qui pensent que nous parlons ces dernières semaines trop de cette question du Louvre, nous répondrons que c’est Jean-Luc Martinez lui-même qui affirme au Journal des Arts qu’il est « sain […] que lors du renouvellement [d’un mandat], on rende des comptes ». Nous faisons du journalisme engagé au service du patrimoine, et il nous semble normal que le bilan qui nous paraît désastreux de la présidence de Jean-Luc Martinez soit largement commenté. Contrairement à ce que disent certains, il ne s’agit pas de « boules puantes », mais d’articles documentés auxquels répondre par un revers de main dédaigneux ou méprisant n’est pas suffisant. Nous ne sommes pas responsables des innombrables anomalies qui émaillent ce mandat, ni des contre-vérités qui sont assénées presque quotidiennement dans les médias, sans qu’aucun des successeurs potentiels (et il y en a des bons) puissent jamais faire valoir leurs projets.

Didier Rykner

Notes

[1Vincent Noce, dans son éditorial du jour de la Gazette Drouot a raison sur ce point : « Régi par le fait du prince, le processus lui-même est complètement vicié, puisque les candidats qui s’agitent dans l’ombre ne sont pas à même de faire valoir leurs propositions programmatiques ». En revanche, qu’il s’abaisse à reprendre l’expression « pluie de boules puantes » ou à parler d’attaques « ad hominem », sans une seule seconde s’interroger sur la réalité ou non des critiques visant le président-directeur du Louvre, est très dommage. D’autant qu’à cette aune, ses propres informations sur l’achat du Tiepolo sont sans doute aussi une « boule puante »…

[2The Louvre « did not have any contact with the foundation before or after Twombly’s ceiling mural was completed more than 10 years ago ».

[3En bas de l’article publié sur Internet, le rectificatif est le suivant : « Une version antérieure de cet article incluait une citation avec une erreur, du président du Louvre Jean-Luc Martinez, qui disait que le musée n’avait pas été en contact avec la fondation depuis plus de dix ans. Cette citation a été enlevée » (la version originale peut être vue directement sur l’article du New York Times).

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