Lettre ouverte à François Baroin, maire de Troyes, à propos de la Bourse du Travail

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Monsieur le Maire,

1. Une exposition d’affiches dans le canal du
Trévois, devant l’Hôtel-Dieu-Le-Conte
Photo : Didier Rykner
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Vous avez beaucoup de chance. Être le premier magistrat d’une ville comme Troyes, sans doute l’une des plus belles de France, doit être quelque chose d’extraordinaire. Mais une telle fonction implique également de grandes responsabilités. Comme le disait Victor Hugo, l’usage d’un monument appartient à son propriétaire mais sa beauté appartient à tous. Ce constat est encore plus vrai pour un maire : l’usage comme la beauté de la ville dont il est élu ne lui appartiennent pas, mais appartiennent à tous.

Pour m’être promené dans Troyes pendant toute une journée, j’ai pu voir une ville propre et qui, en quelques années (je n’étais pas venu depuis environ dix ans) a été largement restaurée et réhabilitée. Certes, on voit ici ou là quelques fautes de goût (cette exposition photo dans le canal, par exemple - ill. 1) mais rien de catastrophique. Les églises, si riches, sont ouvertes au public presque tous les jours grâce à des employés municipaux qui les surveillent, ce qui est rare, sinon unique, et fort appréciable pour un amateur d’art. Certaines sont en restauration (l’église Saint-Rémy actuellement) et si d’autres ont besoin de travaux (l’église Saint-Jean-au-Marché est en partie étayée), on peut espérer qu’ils auront lieu bientôt. Enfin, les musées, que vous délaissiez, vont bénéficier dans les prochaines années d’un programme de modernisation. Bref, votre politique patrimoniale semble aller dans le bon sens et vous n’êtes pas considéré comme un maire vandale. Du moins jusqu’à aujourd’hui.

2. Au fonds la Bourse du Travail
À droite l’église Saint-Nicolas
Photo : Didier Rykner
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Car un projet dont votre municipalité sera tenue comptable risque, si par malheur il était mené jusqu’au bout, de ternir pour toujours cette image et votre politique. Il s’agit bien sûr, vous l’avez lu dans le titre de cette lettre ouverte, de la Bourse du Travail. Laissez-moi rappeler, pour nos lecteurs, ce qu’est ce monument qui se trouve au centre de la ville et, ironie du sort, dans un quartier qui va être ajouté au secteur sauvegardé.
Derrière des façades très simples (ill. 2), cet édifice, à l’origine une halle aux Tissus construite en 1837 par l’architecte Portret, conserve au rez-de-chaussée une salle que je n’hésite pas à qualifier d’exceptionnelle en raison de la présence de 16 colonnes en pierre [1] qui scandent son volume (ill. 3 et 4). L’effet de perspective de cette architecture est superbe. Comparaison n’est pas raison, mais on ne peut s’empêcher d’évoquer à sa vue la forêt de colonnes de la mosquée-cathédrale de Cordoue. Les photos que nous publions ici suffisent à montrer la splendeur de ce lieu qui n’a d’égale que sa simplicité. Si cette salle constitue le principal intérêt de la Bourse du Travail, notons aussi le bel escalier (ill. 5) et la grande pièce du premier étage qui n’est pas privée non plus de qualités architecturales (ill. 6).


3. La salle des colonnes au rez-de-chaussée de la
Bourse du Travail de Troyes, état actuel
Photo : Didier Rykner
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4. La salle des colonnes au rez-de-chaussée de la
Bourse du Travail de Troyes, état actuel
Photo : Didier Rykner
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Ce bâtiment mérite un classement monument historique, qui manifestement n’est pas à l’ordre du jour. Sous prétexte que vous n’avez pas trouvé de destination à ce lieu et que plusieurs projets ont échoué, vous vous apprêtez à le livrer à « quatre investisseurs troyens » qui veulent le transformer en centre commercial dont une illustration a été diffusée (ill. 7). Peut-on faire plus médiocre et plus banal ? Nous citions tout à l’heure Victor Hugo, nous aimerions maintenant rappeler ces mots de Charles-Quint, à propos, justement, de la transformation de la mosquée de Cordoue en cathédrale : « Vous avez détruit ce que l’on ne voyait nulle part pour construire ce que l’on voit partout ». Difficile d’ailleurs de faire le parallèle car ce qu’on voyait partout, pour Charles-Quint, c’était une cathédrale, et on visite toujours les cathédrales. Alors que jamais personne ne visitera ce centre commercial autrement que pour y faire ses courses.


5. L’escalier de la Bourse du Travail de Troyes
Photo : Didier Rykner
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6. Salle à l’étage de la Bourse du Travail de Troyes
Photo : Didier Rykner
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Bertrand Chevalier, votre adjoint en charge du projet, a accepté de répondre à mes questions et a voulu me rassurer, en m’expliquant qu’une concertation avec les promoteurs et l’Architecte des Bâtiments de France était en cours, dans un « processus de co-construction », et avec un souci de conserver davantage d’éléments patrimoniaux. Malheureusement, cela n’est aucunement satisfaisant. Quiconque aime l’architecture et le patrimoine comprendra qu’il ne peut être question de sauver ici ou là une colonne, mais bien de respecter ce monument dans son intégralité, la fonction devant s’adapter à l’édifice, et non l’inverse. L’affectation de la Bourse du Travail doit avoir comme préalable, dans un cahier des charges, la conservation de sa structure et de son caractère architectural. Et vous aurez beau nous expliquer, comme Bertrand Chevalier, que cela n’est pas possible, chacun sait que tout est possible dans ce domaine, à condition d’en avoir la volonté.


7 La Bourse du Travail de Troyes, avant
Photo : Didier Rykner
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8. La Bourse du Travail de Troyes, après
© D. R.
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Cette menace survient, comme nous le disions, au moment de l’extension du secteur sauvegardé au quartier de la Bourse. Et pourtant, d’après votre adjoint, celle-ci ne sera pas incluse dans la protection, ce qui est incompréhensible. La demande de permis de construire a d’ailleurs été déposée quelques jours avant le début de l’enquête publique. Allez-vous signer l’autorisation de détruire ce monument qui devrait être protégé ? N’avez-vous pas vu la grande beauté de cet édifice ? Voulez-vous vraiment, Monsieur le Maire, passer dans l’Histoire comme celui qui l’a laissé disparaître ? Troyes mérite mieux, assurément.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Maire, l’expression de mes sentiments (encore) les meilleurs.

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