Le ministère de la Culture bloque la procédure de classement du Conservatoire

3 3 commentaires

Nous avions parlé il y a quelque temps du Conservatoire national d’art dramatique (voir les articles), dont seul le théâtre était classé, les autres éléments patrimoniaux n’étant pas du tout protégés. À la suite de l’action de l’association de ses élèves et anciens élèves et de la publication de nos articles, la protection de ce lieu patrimonial avait tout de même été mise à l’ordre du jour de la Commission Régionale du Patrimoine et de l’Architecture de l’Île-de-France. Et comme nous l’avions révélé (voir la brève du 4/7/19), non seulement l’inscription a été demandée, mais la commission a émis le souhait à l’unanimité (moins la voix du représentant de la DRAC !) que le monument soit classé, ce qu’il mérite largement.


1. Ancien vestibule du Conservatoire, dit salle des Colonnes
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Si l’inscription est bien désormais effective, publiée par le Journal Officiel du 26 juin 2020 [1], il n’est à ce jour toujours pas question de passer ce dossier devant la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, qui devrait se prononcer et proposer le classement à la ministre de la Culture.

Si le ministère, que nous avons interrogé à ce sujet, ne nous a évidemment jamais répondu, nous avons pu avoir confirmation de cette situation par l’ancien sénateur Jean-Pierre Leleux qui était encore récemment président de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture. Celui-ci, qui n’a pas souhaité se représenter au Sénat, a donc perdu cette présidence. Mais en attendant que son remplaçant soit nommé, il a pu nous répondre à ce sujet. Il connaît bien le dossier et pense à titre personnel que l’intégralité du Conservatoire devrait être classée. Il fait néanmoins la même analyse que nous de la situation : l’inscription constituerait un compromis au sein du ministère, entre la direction générale des Patrimoines qui ne serait pas opposée au classement, et la direction générale de la création artistique (DGCA) qui a pour objectif la vente du bâtiment pour transférer le conservatoire dans la Cité du théâtre en cours de construction aux Batignolles, et qui n’est donc pas favorable à une protection forte qui obérerait la valeur des bâtiments.

Nous avons demandé à la directrice de la DGCA si celle-ci s’opposait bien à au classement. Sa réponse, en éludant la question, est très éclairante. Affirmant ne pas avoir connaissance d’un vœu de la CRPA d’un classement, elle nous a écrit que l’extension de protection (c’est-à-dire l’inscription complétant le classement du théâtre) « s’est voulue adaptée à la protection du patrimoine comme à la problématique de fonctionnement du CNSAD ». Nous avouons ne pas comprendre en quoi une simple inscription serait « adaptée à la protection » du Conservatoire, ni « à la problématique de [son] fonctionnement » puisque celui-ci doit bientôt être transféré aux Batignolles. Elle confirme donc nos informations d’un non-classement volontaire du ministère de la Culture.


2. Ancien bureau de Berlioz qui correspond au foyer du théâtre du Conservatoire
Paris, Conservatoire national d’art dramatique
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Cela s’explique : plus les contraintes pesant sur les bâtiments seront hautes, moins le prix auquel il pourra être cédé sera important. Nous sommes donc en face d’un cas qui, hélas, n’est pas unique : le ministère de la Culture, en charge de la protection du patrimoine, refuse de protéger celui qui lui est affecté pour de basses raisons pécuniaires, se comportant ainsi comme le pire des promoteurs privés.
Un classement d’un tel monument est non seulement logique compte tenu de son importance majeure, mais il est nécessaire pour éviter qu’il ne soit gravement abimé, voire détruit, après une éventuelle cession par l’État. On peut en effet tout craindre d’une simple inscription, protection bien trop légère qui on le sait permet parfois hélas la démolition pure et simple du monument en question, ou sa forte dénaturation. Rappelons-nous, par exemple, de la piscine Molitor, théoriquement toujours inscrite, et qui a pourtant été entièrement démolie avant d’être reconstruire (voir nos articles). Le refus de classer ce monument, qui devrait s’imposer comme l’a exprimé la commission régionale du patrimoine et de l’architecture, est donc soumis à des intérêts financiers sans rapport avec la Culture.

Comme nous l’a confirmé également Jean-Pierre Leleux, les dossiers sont instruits par la direction générale des Patrimoines et ensuite soumis, avec l’accord du président de la CNPA, au vote de ses membres. La direction générale des Patrimoines n’ayant jamais répondu à nos questions à ce sujet, nous ne pouvons qu’en conclure que, même s’il est favorable à ce classement, le directeur général des Patrimoines Philippe Barbat se refuse à saisir la CNPA et à laisser le processus de classement de ce monument suivre son cours. Certes, en cas de cession d’un monument protégé propriété de l’État, un passage devant la Commission nationale du patrimoine est nécessaire, ce qui constituerait un possible garde-fou, mais pourquoi repousser ainsi une protection qui s’impose ?

De compromis en compromis, la direction générale des Patrimoines perd de vue sa principale mission : protéger un patrimoine fragile, attaqué de toute part, et pour lequel elle devrait se battre sans relâche. Y compris au sein de son propre ministère.

Didier Rykner

P.-S.

Nous avons reçu lundi 9 novembre matin, donc après la publication de cet article, un nouveau message de Sylviane Tarsot-Gillery à un mail lui redemandant si elle s’opposait ou non au classement. Cette réponse est édifiante, et nécessitera sans doute un nouvel article : « Je vous confirme, après vérification, que la DGP n’envisage pas d’extension de la protection. La position du ministère est claire et sans équivoque. » Elle se défausse donc sur la Direction générale des Patrimoines (DGP), et confirme encore davantage ce que nous avons déjà écrit sur celui qui est à sa tête, Philippe Barbat.

Notes

[1Ont été inscrits : « le vestibule à colonnes, dit hall d’honneur (rez-de-chaussée), l’escalier d’honneur, sa cage et ses paliers, l’ancienne salle des exercices, dite bureau de Berlioz ou salon d’honneur (entresol), l’ancienne bibliothèque, dite salle Louis Jouvet, y compris sa charpente (premier étage) ». On remarquera donc que les parties Art déco n’ont pas été protégées, alors qu’elles le mériteraient également.

Mots-clés

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.