Le Louvre en péril ? Si oui, à qui la faute ?

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Musée du Louvre
Photo : Benh (CC BY-SA 3.0)
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En septembre 2024, nous avions rencontré Laurence des Cars pour l’interroger sur les travaux pharaoniques qui se préparaient au Louvre, notamment sur le projet d’entrée du côté de la colonnade de Perrault dont on nous disait qu’ils allaient coûter 500 millions d’euros (sans que ce chiffre soit jamais détaillé). Celle-ci nous avait répondu, mais en nous indiquant que ses propos étaient off. Ceux-ci se trouvant désormais un peu partout dans la presse, il est évident que ce off ne tient plus.
Ce qu’elle nous avait dit correspond exactement aux informations qui ont « filtré » : un Louvre dans un état désastreux, qui présenterait une menace pour les œuvres, et qui nécessiterait des grands travaux. La nouvelle entrée ne serait donc qu’une partie de ce chantier, qui comprendrait aussi une nouvelle salle pour la Joconde, sous la cour Carrée.

Le Parisien a publié mercredi dernier un article sur un rapport « confidentiel » envoyé par la présidente du Louvre à la ministre de la Culture. Nous n’en avons pas la preuve formelle mais tous les connaisseurs de ce dossier pensent, comme nous, qu’il s’agit d’une opération de communication montée par le Louvre avec l’Élysée. Dès le vendredi, en effet, Emmanuel Macron annonçait qu’il allait s’exprimer à ce sujet sur place au Musée du Louvre.
Le timing parle de lui-même : la note confidentielle - à la ministre - est datée du 13 janvier tandis que neuf jours plus tard seulement, le 22 janvier, le document fuite dans la presse et le 24 janvier le président de la République annonce qu’il parlera le 28 janvier ! Personne ne peut penser que tout cela n’est pas le fruit d’une longue réflexion, d’autant que ces projets de travaux sont évoqués depuis au moins deux ans (nous en parlions dans cet article du 23 mai 2023).

Admettons donc que le musée soit vraiment dans l’état désastreux dénoncé par Laurence des Cars. Cela voudrait dire que lors de sa présidence Jean-Luc Martinez (et peut-être même son prédécesseur, Henri Loyrette) aurait négligé l’entretien du bâtiment. Cela ne nous étonnerait pas outre mesure quand on voit les travaux inutiles et coûteux qu’il a en revanche multipliés. Mais qu’a fait Laurence des Cars depuis les trois ans et demi [1] qu’elle est à la tête du Louvre ? Nous avons signalé qu’elle est revenue sur plusieurs décisions de Jean-Luc Martinez, refaisant complètement la salle étrusque (naguère salle des bronzes) et rendant sa vocation au pavillon de l’Horloge (voir l’article) qui avait été dénaturé par Jean-Luc Martinez, parmi d’autres projets. Mais était-ce prioritaire si le Louvre est dans un tel état ? Et pourquoi n’avoir rien fait, en plus de trois ans, pour ce chantier de réfection dont elle prétend qu’il est tellement urgent ?

Selon le syndicat Sud, qui a diffusé deux communiqués de presse, depuis son arrivée le plan de travaux de maintenance décennal n’aurait pas été suivi, ce que nous n’avons pas pu documenter. En revanche, il est possible de s’interroger sur deux point, l’un concernant les dépenses, l’autre les recettes. Et sur ces deux points, nous n’avons pas reçu de réponses satisfaisantes du musée.

Premier point : les dépenses (parmi lesquelles il faut donc inclure celles de retour en arrière sur les travaux de Jean-Luc Martinez). Si la situation est si tendue que cela, pourquoi multiplier les événements comme celui qui a été organisé pour la fin de l’exposition consacrée à la figure du Fou ? Quel rapport entre cette « nocturne exceptionnelle » où de multiples événements étaient organisées, dont un concert de Zaho de Sagazan (qui ne s’est certainement pas déplacée gratuitement), et les missions du Louvre ? Surtout si l’heure est aux économies. Le Louvre d’ailleurs revendique fièrement ces événements qui « permettent de faire venir d’autres publics au musée (beaucoup de jeunes, de Parisiens et de Franciliens) ». C’est ainsi qu’il y a eu récemment « une "nuit" pour clore l’exposition "Les Choses" puis l’exposition "Naples à Paris » ».
Par ailleurs, était-il vraiment nécessaire de lancer le nouveau département byzantin (utile certes, mais ne fallait-il pas le repousser à des jours plus fastes ?) ou de rénover le département des Arts de l’Islam qui date de seulement 2013 ?
Est-il réellement indispensable d’avoir un « grand espaces d’exposition temporaire » comme l’a réclamé Laurence des Cars devant la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale en avril dernier [2] ? Que les salles sous la pyramide soient insuffisantes pour de grandes rétrospectives est exact. Mais pourquoi se priver des Galeries nationales du Grand Palais dont les salles étaient naguère consacrées à ces expositions ? Là encore, cette dépense n’est pas prioritaire.

Deuxième point : les recettes. Sauf erreur ou omission de notre part, Laurence des Cars a ou va bénéficier depuis son arrivée au Louvre des sommes considérables suivantes [3] :

 165 millions d’euros négociés par Jean-Luc Martinez avec Abu Dhabi pour l’utilisation pendant dix années supplémentaires de la « marque » Louvre ; cet argent était dans son esprit destinée à acquérir le Porte Drapeau de Rembrandt, mais Laurence des Cars y a renoncé. L’argent est donc disponible.
 85 millions ont été reçus en 2022 par le Louvre au titre du premier traité avec Abu Dhabi,
 85 autres millions vont être reçus en 2027, toujours au même titre,
 Le fonds de dotation rapporte environ 12 à 15 millions d’euros au Louvre qu’il peut affecter à des travaux ; cela lui permet a minima d’emprunter 150 millions sur dix ans pour les mener à bien.

On arrive donc à un total de 485 millions, auxquels il faut ajouter les dotations de l’État (presque 100 millions par an). Or, depuis son arrivée en 2022, quels travaux de maintenance ont été menés par le Louvre ? Selon les syndicats, presque aucun. Pourtant, certains aménagements ne sont pas réellement coûteux. On lit par exemple dans la note « confidentielle » que « le visiteur ne dispose d’aucun espace ne lui permettant de faire une pause ». Les assises du Louvre sont trop rares et souvent très inconfortables. Pourquoi ne pas multiplier les sièges et les canapés qui permettraient aux visiteurs de s’installer confortablement dans une salle, devant les œuvres ? La National Gallery de Londres ou le Metropolitan Museum de New York, pour ne parler que d’eux, n’ont pas « d’espaces permettant de faire une pause » mais leur visite est infiniment plus agréable que celle du Louvre.

Que va donc annoncer Emmanuel Macron mardi prochain ? Et avec quel argent ? Tout cela n’augure rien de bon.

Didier Rykner

Notes

[1Correction après publication de l’article : Nous avions écrit presque trois ans, mais elle a pris ses fonctions le 1er septembre 2021.

[2Lors de cette même audience a été évoquée la possibilité de la création d’un « Louvre mobile » (sic). Idée absurde, nuisible à la conservation des œuvres, et qui avait été déjà envisagée, mais heureusement jamais réalisée, à l’époque où François Léotard était ministre de la Culture.

[3Elle ne fait d’ailleurs pas mystère de ces ressources lors de son audition devant la Commission culturelle des affaires culturelles de l’Assemblée nationale.

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