La rue des Carmes à Orléans toujours gravement menacée

1. Entrée de la rue des Carmes à Orléans
A droite, maisons devant être détruites
Photo : Didier Rykner
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Que faire quand une enquête publique ne va pas dans le sens de ce que souhaite un maire proche du gouvernement ? On recommence l’enquête publique, afin qu’une fois pour toute l’élu puisse avoir gain de cause.
C’est ce qui vient de se passer à Orléans où, malgré les résultats de la précédente enquête qui refusait l’utilité publique de la destruction d’une partie (ill. 1) de la rue des Carmes (voir la brève du 22/11/10), une seconde vient de l’accorder [1].

Nous aurions dû dénoncer plus tôt le scandale de cette procédure. Nous n’avons pu le faire, débordé par le nombre de sujets patrimoniaux à traiter. Nous n’avions pas non plus parlé, pour les mêmes raisons, de la visite d’Orléans que nous avions faite l’année dernière, sur proposition du maire Serge Grouard, et en sa compagnie. Nous avions vu la rue des Carmes, mais aussi les quartiers réhabilités dans le cadre de la ZPPAUP.
Il est indéniable qu’une partie non négligeable de la ville d’Orléans a été restaurée de manière tout à fait satisfaisante, en retrouvant sous les crépis les façades des XVIe et XVIIe siècle. Et alors ? Un directeur de musée qui passerait au ripolin une partie de sa collection de tableaux et en ferait restaurer soigneusement le reste serait-il un bon conservateur ?
En quoi les restaurations passées excuseraient-elles la mairie de son projet de démolition ? Un élu est là pour prendre soin de sa ville, pas pour la démolir. Le maire avait été très fâché du paragraphe d’introduction de notre premier article. Nous persistons et nous signons. Et l’on s’interroge sur cette volonté de détruire ces maisons anciennes pour élargir une rue qui sera finalement piétonne, puisque le tramway y passera seul et qu’il n’est plus question de l’ouvrir aux voitures.

2. Benoit Lebrun (1754-1819)
Immeuble du 45, rue des Carmes
Proposé à l’inscription par la CRPS
Photo : Didier Rykner
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On ne reviendra pas sur l’intérêt de ces maisons – de toutes ces maisons – et de leurs caves. Nous renvoyons le lecteur à ce premier article où nous donnons tous les arguments démontrant le grand intérêt historique et la qualité de ces maisons anciennes qu’une ville martyre en temps de guerre veut mettre à bas en temps de paix, pour des intérêts qui nous échappent. On signalera cependant qu’en octobre dernier la Commission régionale du patrimoine et des sites a demandé l’inscription de deux de ces édifices, intégralement (ill. 2), ce que feignent d’ignorer les commissaires-enquêteurs qui se satisfont – comme le maire le faisait avant la première enquête publique - d’une conservation et d’un déplacement de leurs seules façades.
Il suffit de lire à la fois le rapport d’enquête et ses conclusions pour conclure qu’il s’agit d’une farce tragique.

Voici quelques perles que l’on peut trouver dans les conclusions des commissaires enquêteurs, il y en a bien d’autres :

« S’agissant du patrimoine, l’aménagement de la rue des Carmes est présenté comme une opportunité de mettre en valeur et de révéler un bâti aujourd’hui méconnu de la période de la Renaissance » (p. 14). Moralité, pour mettre en valeur un bâti Renaissance se trouvant en cœur d’ilot, détruisons le bâti Renaissance qui l’enserre. Cet argument n’est autre que celui du maire d’Orléans, que nous avions cité dans notre premier article, avant même la première enquête publique.


3. Projet de la ville pour la reconstruction après
la démolition des maisons de la rue des Carmes
© Cabinet AAUPC/Patrick Chavannes
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4. Projet de restauration patrimoniale de la rue des Carmes
© Architectes du patrimoine J. Didelon @ E. Barriol
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Non seulement il « révèle des bâtiments de la Renaissance jusqu’ici invisibles de la voie publique » (p. 15) en détruisant des bâtiments de la Renaissance visible de la voie publique (c’est nous qui commentons), mais, « il compense les démolitions rendues nécessaires […] par de nouvelles constructions contemporaines de qualité, qui enrichiront le patrimoine de demain » (p 19). Il est étonnant que le commissaire-enquêteur ne propose pas déjà, d’office, le classement de ces constructions à venir (ill. 3), qui vont « enrichir le patrimoine de demain ».

Le préfet et le ministère de la Culture vont-ils suivre les conclusions de cette deuxième enquête d’utilité publique qui vont entièrement dans le sens de la mairie (on pourrait croire que c’est celle-ci qui l’a écrite). Le contraire serait étonnant puisque l’on se rappelle que Frédéric Mitterrand se rangeait à l’avis du maire avant même que la première enquête ait eu lieu. La balle est dans son camp, et l’on peut tout craindre.
La question que nous posions dans notre émission sur le patrimoine trouve ici un élément de réponse supplémentaire. Il est difficile de dire que la France protège encore son patrimoine lorsqu’une mairie arrive à faire déclarer d’utilité publique la destruction d’une portion entière d’une rue ancienne, construite entre le XVe et le XVIIIe siècle dans une ZPPAUP, alors que rien ne l’impose et qu’une restauration est possible (ill. 4).
Une fois de plus, ce sont les associations qui, en portant cette affaire devant le tribunal, tenteront de sauver ce patrimoine que des collectivités locales veulent détruire, avec la complicité de l’Etat. La Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France a annoncé son intention de mener le combat, en cas de défaillance de l’Etat.

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