La Rochepot dispersé, la Région silencieuse

Vidé. Le château de La Rochepot a vu son mobilier dispersé lors de la vente judiciaire qui s’est déroulée le 10 octobre dernier (voir l’article). C’était pourtant un ensemble cohérent de meubles et d’objets d’art, étroitement lié à l’histoire du lieu, étroitement lié aussi à l’histoire d’une famille, celle de Sadi Carnot. Le château fut restauré par son fils, le colonel Lazare Hippolyte Sadi Carnot, puis habité par ses descendants, jusqu’à Sylvie Carnot qui le vendit en 2015 à un certain Dmitri Malinovsky, aujourd’hui accusé de blanchiment d’argent.


1. Mathurin Moreau (1822-1912)
Le président Sadi Carnot en pied devant une balustrade avec étendard
Plâtre - 145 x 80 x 55 cm.
Plâtre pour le monument à Sadi Carnot, place de la République à Dijon
Dijon, Musée des Beaux-Arts
Photo : bbsg
Voir l´image dans sa page
2. Mathurin Moreau (1822-1912)
Monument en mémoire de Sadi Carnot
Place de la République, Dijon, 1899
Photo : François de Dijon / Wikipedia
Voir l´image dans sa page

Le portrait en pied de Sadi Carnot, classé au titre des monuments historiques, a été acheté par le Musée des Beaux-Arts de Dijon, pour 1000 euros prix marteau (ill. 1). Il s’agit d’un plâtre de Mathurin Moreau, modèle préparatoire à l’une des sculptures du monument conçu par l’architecte Félix Vionnois et par les sculpteurs Mathurin Moreau et Paul Gasq, qui se dresse place de la République à Dijon (ill. 2). Inauguré en 1899, cinq ans après l’assassinat du président de la République, celui-ci se compose de quatre figures disposées autour d’un piédestal : sculpté dans le marbre, Sadi Carnot se tient debout au centre ; au dessus, l’allégorie en bronze de la Renommée vient déposer une couronne de lauriers sur sa tête. De part et d’autre se tiennent les personnifications de l’Histoire et de la Douleur. L’effigie de Carnot rejoint dans les collections d’autres sculptures préparatoires au monument.


3. Xavier Schanosky (1867-1915)
Cul de lampe à décor de feuilles d’acanthe, fin XIXe siècle
Plâtre - 30 x 40 x 25 cm.
Cul de lampe à décor cordiforme portant les initiales "SM" pour "Sadi" et "Madeleine", fin XIXe siècle
Plâtre - 42 x 38 x 24 cm
Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine
Photo : bbsg
Voir l´image dans sa page
4. Chambre de Sadi Carnot
Culot avec les initiales "SM" pour "Sadi" et "Madeleine", enroulées dans des cordes
Château de La Rochepot
Photo : bbsg
Voir l´image dans sa page

5. Xavier Schanosky (1867-1915)
Jeune fille portant une cruche, fin XIXème siècle.
Plâtre - 58 x 28 x 22 cm.
Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine
Photo : bbsg
Voir l´image dans sa page
6. Gargouille située à l’entrée de la salle des gardes de La Rochepot
Photo : d.v
Voir l´image dans sa page

7. Xavier Schanosky (1867-1915)
Ange portant un écusson sur châssis en bois, fin XIXe siècle.
Plâtre - 68 x 60 cm
Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine
Photo : bbsg
Voir l´image dans sa page
8. Xavier Schanosky (1867-1915)
Ange avec phylactère sur châssis en bois, fin du XIXe siècle.
Plâtre - 69 x 55 cm.
Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine
Photo : bbsg
Voir l´image dans sa page

Cinq plâtres de Xavier Schanosky, également classés, ont été préemptés par l’État et seront désormais visibles à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine de Charenton-le-Pont. Ils sont préparatoires au décor sculpté qui fut conçu à l’occasion de la restauration du château dirigée par Charles Suisse au tournant du XIXe et du XXe siècle (ill. 3 à 8). Xavier Schanosky collabora avec l’architecte sur plusieurs chantiers de restauration, notamment celui de la cathédrale Saint-Bénigne de Dijon et celui du château de La Rochepot.
Parmi les cinq plâtres préemptés, les deux culs de lampes sont préparatoires aux culots qui se trouvent l’un dans la chapelle haute du château, et l’autre dans la chambre de Sadi Carnot (ill. 3 et 4). La jeune fille portant une cruche est une modèle pour la gargouille qui surveille l’entrée de la salle des gardes (ill. 5 et 6). Enfin, deux anges sont également de Schanosky, l’un porte un écusson, l’autre un phylactère (ill. 7 et 8), le second étant directement lié à une figure de la chapelle haute.
Il est rare de conserver un ensemble de plâtres originaux dans l’édifice pour lequel ils ont été réalisés. L’exposition de ces pièces au sein même du château permettait d’illustrer son histoire et d’évoquer aussi l’évolution des principes de restauration. Charles Suisse en effet, s’était montré fidèle aux préceptes de Viollet-le-Duc pour qui « restaurer un édifice, ce n’est pas l’en­tretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné. ». Ces plâtres complétaient idéalement les dessins de l’architecte et les photographies du colonel Carnot, dont une partie a également été dispersée le 10 octobre (ill. 9). Or ces archives avaient du sens tant qu’elles restaient sur le lieu qu’elles documentaient.


9. Ensemble de "Projets d’architecture du Château de la Rochepot",
Charles Suisse et Forey et Prost Architectes à Dijon.
Fac-similés
Photo : bbsg
Voir l´image dans sa page

Étonnamment, l’État n’a pas préempté toutes les sculptures de Schanosky. Il a laissé partir un sixième plâtre, ornement architectural arborant les armes de la famille Pot, préparatoire à l’écusson qui surplombe la porte d’entrée du château (ill. 10 et 11). Fort heureusement, cette pièce a trouvé un écrin, acheté par Claude Aguttes pour le château de La Prune-au-Pot, à Ceaulmont, dans l’Indre. Maître Aguttes est en effet propriétaire depuis 2000 de ce monument qu’il a entrepris de restaurer.
Au XVe siècle, le chevalier Regnier Pot, conseiller du roi de France et des ducs de Bourgogne, était à la fois seigneur de la Prugne, qu’il hérita de son père, et seigneur de Roche-Nolay, qu’il acheta de retour des croisades, deux domaines qui devinrent donc la Prune-au-Pot et La Rochepot.
On peut se réjouir que ce plâtre soit conservé dans un lieu cohérent avec son iconographie. Néanmoins, il est un peu surprenant, voire inquiétant, que l’État n’aie pas eu les moyens de le préempter pour 4500 euros. Si son prix d’adjudication a largement dépassé son estimation (200/300 euros), la somme restait malgré tout raisonnable. Comme l’ensemble de la vente en fin de compte. Certes, les prix ont flambé, et les quelque 527 lots ont rapporté près de 450 000 euros, soit le triple de l’estimation globale. Était-ce inabordable ? L’État aurait pu sauvegarder ce patrimoine s’il l’avait voulu. Encore une fois, la véritable valeur de ces objets n’était pas marchande, mais historique, étroitement associée au lieu auquel ils appartenaient ; les voilà disséminés.


10. Xavier Schanosky (1867-1915)
Ornement architectural à décor héraldique aux armes de la famille Pot, fin du XIXe siècle.
Plâtre - 57 x 57 cm
Château de La Prune-au-Pot
Photo : bbsg
Voir l´image dans sa page
11. La Porterie de La Rochepot
Le même écusson orne la grande porte d’entrée du château
Photo bbsg
Voir l´image dans sa page

L’État n’a pas non plus préempté les suspensions à pétrole, elles aussi classées au titre des monuments historiques, elles aussi spécifiquement conçues pour le château au moment de sa restauration par Charles Suisse (ill. 12). En forme de couronne, elles arborent la devise des seigneurs de Pot, dédiée à la Vierge : « À la belle tant elle vaut  ».
Certes, le destin du château reste incertain, car il faut encore que la justice détermine qui est son propriétaire, et l’on ne sait s’il rouvrira un jour ses portes au public. Malgré tout, le devoir de l’État était de sauvegarder son mobilier en attendant qu’une décision soit prise pour l’édifice. Le devoir de l’État et de la Région. Or celle-ci s’est fait oublier dans cette histoire, et son silence est aujourd’hui encore assourdissant. Quelles initiatives a-t-elle prises pour sauver son patrimoine ? Ces suspensions auraient pu, par exemple, rejoindre le château de Châteauneuf-en-Auxois, qui appartient au conseil régional de Bourgogne. Ce monument appartint à Philippe Pot, petit-fils de Regnier Pot, et inspira Charles Suisse pour la restauration de La Rochepot. Il offrait un cadre idéal pour recueillir les vestiges de son voisin.


12. Chapelle haute de La Rochepot
Suspension à pétrole en forme de couronne laquée vert à décor de bandeau en tôle percée de la devise des Pot et des Carnot « A la belle » en lettres gothiques, fin du XIXème siècle
Fer forgé, tôle et laiton - H. 160 cm - D. 90 cm
Photo : bbsg
Voir l´image dans sa page

Nous avons contacté le ministère de la Culture pour lui demander pourquoi certains objets avaient été préemptés et pas d’autres. Voici la réponse qui nous a été faite :

« La Commune de La Rochepot n’avait pas de moyens financiers suffisants pour acheter.
Le ministère de la Culture avait engagé des discussions pour un partenariat État/Région afin de préempter un maximum d’objets classés, mais la Région s’est finalement désistée.
Au final, le ministère de la Culture a préempté 6 plâtres pour la matériauthèque de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine. Les enchères se sont envolées sur le dernier plâtre qui a finalement été acquis par la société volontaire de ventes Aguttes. L’acquisition a donc porté finalement sur cinq plâtres.
3 lustres classés MH ont été acquis par l’ancienne propriétaire de La Rochepot.
Un buste en pied a été acheté par le musée des Beaux-arts de Dijon.
 »
Il est étonnant qu’un partenariat État/Région soit nécessaire pour des sommes relativement modestes. Il n’empêche que la Région avait elle aussi le devoir de défendre son patrimoine.

Nous avons également contacté la DRAC et le Conseil régional de Bourgogne. Monsieur Arnaud Alexandre, conservateur des monuments historiques en charge des départements de la Côte d’Or et de la Nièvre nous a affirmé que lui et son équipe avaient entrepris les démarches nécessaires : « Dès que nous avons eu connaissance de la vente publique d’objets mobiliers classés du château de La Rochepot, nous avons informé et sollicité toutes les institutions publiques pour lesquelles ces objets mobiliers nous semblaient pouvoir présenter un intérêt par rapport à leurs collections ou leur champ patrimonial. Parmi ces institutions, le Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté a effectivement été sollicité et l’État a proposé de l’accompagner dans une préemption. Pour connaître les raisons de leur choix de ne pas acquérir de mobilier, je vous invite à interroger directement sur ce point les services du Conseil régional, plus à même de vous répondre que nous. »
Tous les regards se tournent donc vers le Conseil régional, qui n’a pas répondu à nos questions. Pourquoi avoir refusé un partenariat avec l’État ? Pourquoi ne pas avoir acheté d’objets lors de cette vente ? Si l’intérêt patrimonial du château ne lui sautait pas aux yeux, au moins aurait-il pu se montrer sensible à son intérêt économique. Car les touristes qu’il attirait lorsqu’il était ouvert s’arrêtaient dans les restaurants alentour, les caves, les hôtels ou les chambres d’hôtes.


13. France, XVe-XVIe siècle
Vierge à l’Enfant
Pierre sculptée polychrome - H. 165 cm
Achetée par des habitants et donnée à l’église Saint-Martin de Nolay
Photo : bbsg
Voir l´image dans sa page

Un certain nombre d’objets méritaient par ailleurs d’être sauvegardés bien qu’ils ne fussent pas classés. Ou d’autant plus qu’ils n’étaient pas classés, puisqu’ils pouvaient quitter le territoire. C’était le cas du Bouddha, qui a finalement été acheté par un Bourguignon. Il avait l’estimation la plus haute, 5 000/10 000 euros, il obtint le prix le plus important, 59 425 euros avec les frais. Cette sculpture en bois qui trônait dans la « chambre chinoise » avait été offerte par la dernière impératrice de Chine Tseu-Hi à Sadi Carnot lorsqu’il était ministre des Travaux publics. Le reste du décor de la chambre a été acheté par un particulier, Siegfried Boulard-Gervaise, en charge du domaine et du château d’Ormesson. Monsieur Boulard-Gervaise avait fait une proposition de reprise globale au liquidateur et s’était montré désireux d’acquérir à terme le château. Sa proposition a été refusée. Il s’est malgré tout porté acquéreur de plusieurs pièces au cours de la vente, dans l’espoir de les voir retrouver plus tard La Rochepot. Il a donc acheté les deux lits clos en bois laqué polychrome, les panneaux de soie brodés à décor de dragons ainsi que la paire de chiens de Fô en grès à glaçure polychrome de la fin du XIXe ou du début du XXe siècle. Il a également emporté le canapé italien du XVIe et une tapisserie flamande de la fin du XVIIe ou du début du XVIIIe siècle, qui met en scène un chien attaquant des faisans.


15. Philippe Quantin (1600-1636)
Mise au tombeau (panneau central du triptyque)
Huile sur panneau
Nolay, église Saint-Martin
Photo : Jacques Bonnet
Voir l´image dans sa page

14. Philippe Quantin (1600-1636)
Sainte Marguerite
Huile sur panneau
Nolay, église Saint-Martin
Photo : Jacques Bonnet
Voir l´image dans sa page

Ce sont en fin de compte les initiatives privées qui ont permis de sauver les meubles autant que faire se peut. Une toile d’Édouard Darviot (1859-1924) a été acquise par un amateur qui l’a offerte aux Hospices de Beaune dont elle représente les cuisines où s’affairent les dames hospitalières coiffées du hennin blanc ; un sujet que l’on retrouve dans d’autres peintures de l’artiste, natif de la ville.

Enfin, les habitants de la région, qui s’étaient mobilisés pour empêcher la vente en lançant une pétition, se sont cotisés pour sauver la Vierge à l’Enfant (ill. 13). Une cagnotte a été ouverte afin d’acheter cette statue du XVe-XVIe siècle, qui avait été probablement installée au château au XIXe. Elle permettait en tout cas d’illustrer l’histoire du chevalier de Pot qui vit Marie en songe et put, grâce à elle, gagner un combat contre des lions ; c’est pour cette raison qu’il lui dédia sa devise. Adjugée 5000 euros, cette sculpture sera désormais visible dans l’église de Nolay, classée monument historique.
Non loin de là, à Notre-Dame-de-la-Nativité on peut admirer un triptyque de Philippe Quantin, une Mise au tombeau (ill. 14) encadrée par les saints Jean-Baptiste et Marguerite (ill. 15). Un lecteur de La Tribune de l’Art nous signale que son état est inquiétant : non seulement il est couvert de fientes d’oiseaux, mais les panneaux de bois des différents volets sont en train de se disjoindre comme on le voit sur les photos.

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.