Dispersion du mobilier du château de la Rochepot

L’histoire est rocambolesque et la fin s’annonce mal. Le château de La Rochepot, en Bourgogne, fut vendu par Sylvie Carnot en 2015 à l’Ukrainien Dmitri Malinovsky, qui le laissa ouvert au public. Toute la région profitait de cette attraction touristique. Petit hic : Dmitri Malinovsky s’est avéré être un fugitif qui se faisait passer pour mort dans son pays. Arrêté en 2018, il fut accusé de blanchiment, abus de bien sociaux, banqueroute, travail dissimulé, et quelques autres joyeusetés. Quant au château, il a fait l’objet d’une saisie pénale. Sa vente est donc bloquée tant que le procès n’est pas terminé, et tant que son réel propriétaire n’est pas identifié. Car une ancienne compagne de Dmitri Malinovsky multiplie les recours auprès de la justice afin de récupérer La Rochepot, se déclarant en être la véritable détentrice. Les rebondissements de toute cette histoire ont été fidèlement suivis par Manuel Desbois, auteur de nombreux articles publiés dans le Bien Public. Mais les années passent et le château, inoccupé et fermé au public, se dégrade, tout comme les œuvres qu’il conserve.


1. La vente du mobilier du château de La Rochepot suscite l’émoi des habitants de la région
Photo : bbsg
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Une vente a finalement été organisée pour mettre aux enchères le mobilier, dans le cadre d’une liquidation judiciaire destinée à payer les dettes de Malinovsky, du moins une partie. Elle est prévue demain, 10 octobre, au grand dam des habitants de la région (ill. 1) mobilisés derrière l’ancien gardien des lieux, Romuald Pouleau, qui a lancé une pétition pour sauver les meubles : «  Il s’agit d’un ensemble cohérent qui appartient à l’histoire du lieu et témoigne du goût d’une famille, les Carnot, qui ont restauré, aménagé et habité ce monument pendant des décennies. Et puis que deviendra le château lorsqu’il sera une coquille vide ? »
Dans l’idéal, il aurait fallu vendre le monument avec son mobilier, plutôt que de disperser son contenu. Mais dans cette affaire, mobilier et château appartiennent à deux procédures juridiques différentes, et l’identité du propriétaire des lieux est loin d’être déterminée. La vente judiciaire prévue demain et dirigée par Maître Grégoire Muon, réunit des objets dont les estimations tournent autour de quelques centaines d’euros : de toute évidence leur valeur n’est pas marchande. Voila le nœud du problème : ce qui fait leur préciosité, c’est bien leur lien avec le château et avec la famille qui fit renaître ce patrimoine de ses cendres, avant Malinovsky.


2. Vue du château de La Rochepot
Côte d’or, Bourgogne
Photo : bbsg
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3. Carte postale du château de La Rochepot avant restauration
Photo : bbsg
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L’histoire de La Rochepot remonte au XIIe siècle, il s’appelait alors la Roche-Nolay, avant de prendre au XVe siècle le nom de Régnier Pot (vers 1362-1432), conseiller du roi de France et des ducs de Bourgogne, qui l’acquit et entreprit de le remanier. Les travaux furent poursuivis par son fils et surtout par son petit-fils Philippe Pot (vers 1428-1493), dont le tombeau se trouve au Louvre. Il possédait aussi, non loin de là, une forteresse que lui avait offerte par Philippe le Bon : Châteauneuf-en-Auxois, encore debout.
La Rochepot passa de main en main au fil des siècles - des mains prestigieuses comme celles d’Anne de Montmorency et du cardinal de Retz… - et fut bien évidemment modifié par ses habitants successifs, notamment au XVIIIe siècle. Puis survint la Révolution, il tomba en ruines. Des ruines qui suscitèrent l’intérêt des romantiques au XIXe siècle.
Finalement, Madame Sadi Carnot acheta les vestiges en 1893 et les offrit à son fils Lazare-Hippolyte-Sadi Carnot, futur colonel, passionné d’histoire. Il entreprit de le restaurer et fit, pour ce faire, appel en 1897 à Charles Suisse, architecte en chef des monuments historiques qu’il chargea de rendre à l’édifice son état du XVe siècle (ill. 2 et 3). Toute cette histoire est plus précisément racontée par Anne Doridou-Heim dans un article de La Gazette Drouot.
Charles Suisse suivit les prescriptions de Viollet-le-Duc en matière de restauration : reconstruction, interprétation, reconstitution. Autant que faire se put, il remploya les fragments d’origine retrouvés dans les déblais. Il dessina lui-même les éléments manquants, s’inspirant de l’architecture de la fin du Moyen Âge et des monuments bourguignons. Il regarda plus particulièrement Châteauneuf-en-Auxois, mieux conservé que La Rochepot, dont il reprit les lucarnes et divers décors sculptés.
Le château fut finalement ouvert au public en 1961.


4. L’un des cache-radiateur conçus lors de la restauration du château
par Charles Suisse et classés au titre des monuments historiques
Photo : bbsg
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On peut se réjouir que plusieurs éléments sagement considérés comme immeubles par destination n’aient pas été inclus dans la vente. C’est le cas par exemple des cache-radiateurs (ill. 4). Parmi les objets classés qui affronteront le feu des enchères, il y a les plâtres de Xavier Schanosky qui collabora avec Charles Suisse à la restauration du château. Ces plâtres sont directement liés au décor sculpté du monument et perdront donc tout leur intérêt en quittant le site (ill. 5 et 6). De même, il est fort regrettable que les suspensions à pétrole soient séparées de La Rochepot pour lequel elles furent créées à la même époque, faisant allusion à son histoire. En forme de couronne, chacune d’elles est percée de lettres qui citent la devise des Pot, dédiée à la Vierge « A la belle tant elle vaut » (ill. 7 et 8). Il faut espérer que Chateauneuf-en-Auxois les achète, dans la mesure où ce château appartint lui aussi à Philippe Pot et inspira Charles Suisse pour la restauration de La Rochepot. Peut-être la Ville de Dijon sera-t-elle quant à elle intéressée par le portrait du président Sadi Carnot en pied, plâtre d’après la sculpture de Mathrurin Moreau et de Paul Gasq qui se trouve actuellement place de la République.


5. Xavier Schanosky (1867-1915)
Ornement architectural à décor héraldique aux armes de la famille Pot, fin du XIXe siècle.
Plâtre - 57 x 57 cm
Photo : bbsg
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6. La Porterie
Le même écusson orne la grande porte d’entrée du château
Photo bbsg
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7. Chapelle haute
Suspension à pétrole en forme de couronne laquée vert à décor de bandeau en tôle percée de la devise des Pot et des Carnot « A la belle » en lettres gothiques, fin du XIXème siècle
Fer forgé, tôle et laiton - H. 160 cm - D. 90 cm
Photo : bbsg
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8. Vue de la chapelle haute
avec au fond l’une des deux suspensions à pétrole. Elles devaient être au nombre de trois.
Photo : bbsg
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Les œuvres dont les estimations sont les plus hautes ne sont pas celles qui sont classées. Certaines d’entre elles auraient d’ailleurs mérité de l’être, notamment le Bouddha en bois estimé entre 5 000 et 10 000 euros (ill. 9). Que fait donc un Bouddha dans un château néogothique ? Il appartient à l’histoire de la famille, offert à Sadi Carnot lorsqu’il était ministre des Travaux publics, par la dernière impératrice de Chine, Tseu-Hi. Il trônait depuis toujours dans la chambre chinoise agrémentée d’un lit en bois laqué rouge, noir et or, et de panneaux de soie brodés à décor de dragons. Cet objet n’étant pas classé, il est fort probable qu’il quitte la France.


9. La chambre chinoise
Bouddha en bois sculpté, laqué et doré assis en padmassana sur une base lotiforme. 100 x 60 x 43 cm
Photo : bbsg
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10. Canapé en bois sculpté et doré
Probable travail italien du XVIe siècle.
162 x 94x 67 cm
Photo : bbsg
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Parmi les autres lots importants de cette vente, un canapé en bois sculpté de sirènes, de putti, de mascarons et d’animaux dans des fleurs. Il s’agit probablement d’une création italienne du XVIe siècle (ill. 10). Une tapisserie flamande de la fin du XVIIe ou du début du XVIIIe siècle met en scène unchien attaquant des faisans. Enfin une Vierge à l’Enfant du XVe-XVIe siècle semble cristalliser l’émotion des habitants qui envisageaient hier d’ouvrir une cagnotte pour l’acheter et la déposer dans l’église du village (ill. 11). Cette statue montre bien que la valeur des œuvres est aussi sentimentale : elle est certes ancienne, mais fut acquise et déposée au château probablement par la famille Carnot. Incluse dans le parcours de visite, elle permettait de rappeler l’histoire du chevalier de Pot qui fut fait prisonnier lors des croisades et qui, en songe, vit la Vierge apparaître. Elle lui donna ce conseil à la veille d’un combat : « Frappe bas » et le lendemain, il coupa les pattes du lion qu’il dut affronter.


11. France, XVe-XVIe siècle
Vierge à l’Enfant
Pierre sculptée polychrome - H. 165 cm
Photo : bbsg
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Si Sylvie Carnot, petite-fille du colonel Sadi Carnot, mit en vente une partie de la bibliothèque, certains livres furent rachetés par le propriétaire ukrainien et se trouvent encore au château. Parmi eux, il faut distinguer les « Notes généalogiques  » du Comte d’Avenus estimées entre 3 000 et 4 000 euros. Un ensemble de projets d’architecture du château de la Rochepot dessinés par Charles Suisse et par ceux qui lui succédèrent, Forey et Prost, est constitué de facsimilés ; estimé 150-200 euros, sa place là encore est au château.


12. Cour intérieure
Les tuiles vernissées du toit s’abiment
Photo : bbsg
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13. Les manteaux des cheminées, ornés de peintures et de tuiles vernissées, se dégradent.
Photo : bbsg
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Nous avons contacté le ministère de la Culture et la Drac pour leur demander quelles étaient les actions entreprises pour La Rochepot et son mobilier. Une réponse assez succincte nous a été faite : « Des contacts ont été pris avec des institutions publiques susceptibles d’accueillir tout ou partie des 11 objets mobiliers classés MH ». Voilà une nouvelle preuve que les responsables de la conservation du patrimoine en France n’ont encore rien compris à ces questions. Car le plus urgent n’est pas que des musées achètent les objets classés monuments historiques qui de toute façon ne peuvent pas quitter le sol national. Il s’agit bien de s’intéresser surtout aux œuvres mineures, à faible valeur vénale mais dont l’importance patrimoniale est réelle, et qu’il est important de conserver pour laisser espérer un jour leur retour dans le château.

Et pendant ce temps, le château se dégrade. Les tuiles vernissées de ses toits (ill. 12), les peintures murales, les cheminées et leurs décors de carreaux vernissés , les toiles marouflées de Charles Lameire dans la chapelle haute, autant d’éléments classés eux aussi, et dont personne ne semble se préoccuper (ill. 13).

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