La Renaissance du Louvre en 2 heures chrono...

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Nous avons déjà parlé à plusieurs reprises du projet « Renaissance du Louvre » lancé par Emmanuel Macron et Laurence des Cars (voir notamment cet article). Projet nuisible pour le Louvre - le palais comme le musée - par ailleurs mené, nous ne dirons pas au pas de charge car cela va encore bien au-delà, d’une manière totalement irréaliste. Non seulement le planning du projet est intenable pour réaliser un travail correct, mais sa gestion est tout simplement grotesque. J’emploierai par exception dans un article la première personne du singulier, pour signaler qu’avant de créer La Tribune de l’Art, et même si je faisais parallèlement de l’histoire de l’art, j’ai passé une quinzaine d’années dans le domaine de l’organisation d’entreprise, dont presque dix ans dans une société conseil. Cette expérience me permet ainsi de parler en connaissance de cause : le projet tel que des documents internes au Louvre nous le révèlent est absurde tant sur les délais que sur la méthode. Cela ne peut signifier qu’une chose : il s’agit d’une façade pour faire croire à une concertation qui en réalité n’existe pas. La direction du Louvre sait déjà ce qu’elle veut imposer. Mais même cela n’est pas suffisant car un tel projet ne peut se concevoir que dans la durée. Compte-tenu de l’ambition, qui est de revoir tout le fonctionnement du Louvre en y ajoutant le réaménagement du musée, la construction de salles d’exposition souterraines et une nouvelle entrée, il est nécessaire de prendre le temps d’élaborer un cahier des charges précis avant même de lancer des travaux concrets quels qu’ils soient. Avec des compétences et des ressources suffisantes, ce qui est loin d’être le cas, cette phase seule ne peut être inférieure à un an, et cela semble encore très optimiste. Or il est question d’un travail de deux mois, avec en tout et pour tout 21 réunions de deux heures réparties sur avril (vacances de Pâques) et mai (trois week-ends de ponts…). Autant dire rien.

140 utilisateurs environ sont « mobilisés » sur ce projet, répartis en huit groupes de travail, dont certains comprennent un très grand nombre de participants (39, 28, 25 et 17 pour les plus denses), et avec l’aide de seulement quatre consultants externes dont le rôle est d’animer et de retranscrire le résultat des réunions. Notons que la société de conseil employée, Setec Organisation, est spécialiste de l’assistance à maîtrise d’ouvrage dans le domaine du bâtiment, afin de contribuer à « un immobilier plus vertueux, plus résilient et toujours plus adapté à ses usagers et à l’environnement ». Voilà qui est bel et bon, mais on comprend mal leur apport sur certaines des thématiques traitées par les groupes de travail comme le numérique au musée ou la gestion des flux des collections.

L’amateurisme dont témoigne cette entreprise est évident rien qu’en considèrant les thématiques choisies. Le 10 février 2025, au Comité de direction du Louvre, où ces groupes étaient présentés, on en comptait neuf. Moins de deux mois plus tard, dans le document de la réunion plénière de lancement, il n’y en avait plus que huit, avec des intitulés et des contenus différents, et avec certains sujets ne s’y retrouvant plus. Bizarrement, les « évolutions muséographiques » (également promises dans le document d’expression des besoins) sont désormais absentes des groupes de travail, sauf celles qui sont des conséquences directes des travaux ; la « communication externe vers les publics et partenaires » a également disparu.
Mais tout cela n’a pas d’importance car quoi qu’il en soit ces groupes de travail ne pourront déboucher sur rien d’exploitable, quel que soit le sujet.

Des réunions de travail de 39 personnes

Examinons dans cet article un des huit thèmes de ce projet, le numéro 2 : « Les espaces culturels du projet Nouveau Louvre ».
Ce thème comprend quatre ateliers, ce qui signifie en réalité quatre réunions de deux heures. Ces quatre réunions aborderont pas moins de huit sujets.

Il est ainsi question de traiter en quatre fois deux heures, avec un groupe de travail de 39 personnes (!), huit sujets, chacun d’entre eux pouvant constituer à lui seul un projet sur plusieurs mois si le Louvre évoluait dans la vraie vie.

Il s’agit donc pour ce groupe 2 des « ateliers suivants » :

Atelier 1, premier sujet : « Définition générale des espaces culturels et liens fonctionnels entre eux et avec les autres fonctions du projet ».
 « Espace Joconde et son parcours de médiation/interprétation »,

 « Espace d’exposition-temporaire »,

 « Salles modulables »,
 « "Louvre des savoirs" »,
 « Accueil Colonnade (présentation de collections) ».

Second sujet : « Accès et parcours billetterie » :
 « Espaces en accès direct (en dehors des horaires d’ouverture du parcours permanent) »
 « Liaisons avec les espaces du parcours permanent »
 « Liaisons avec les offres commerciales (boutique, restaurants, etc.) »

Tout cela doit donc être étudié en deux heures par 39 personnes réunies dans une salle. Imaginons - en comptant des absents - que seule une trentaine puisse assister à cette première réunion. Cela donne donc exactement en tout et pour tout 4 minutes en moyenne par participant… Il va falloir qu’ils soient efficaces. Compte-tenu du caractère elliptique de la formulation des questions (« "Louvre des savoirs" », « liaisons avec les offres commerciales »…) il est douteux qu’il suffise de deux heures pour seulement comprendre ce qu’on leur demande.

La Joconde dans l’espace

Le reste est à l’avenant. Lors de la réunion suivante (atelier 2), le premier sujet concernera « l’espace de la Joconde » et le groupe devra définir la jauge que celui-ci devra contenir (on pourrait tout aussi bien le jouer aux dés), quels seront les accès à cette salle, quel sera le « parcours de médiation », quels « équipements/mobiliers intégrés et comptoir de vente » cet « espace de la Joconde » devra proposer, quels « équipements techniques (sols, réseaux, grilles techniques, etc.) » il devra inclure, quels « services connexes (sanitaires, vestiaires, etc.) » et quels « locaux connexes (stockage, PC, etc.) » devront s’y trouver.
On rajoutera, toujours pendant ces deux heures : l’« identité des lieux, écriture esthétique (sic) » de l’ « espace d’accueil Colonnades » (second sujet de l’atelier 2), la « présentation des collections » dans cet « espace » (à savoir probablement quelles œuvres devront y être montrées comme cela est prévu dans le document d’expression des besoins, et comment), ainsi que la « signalétique culturelle » à y mettre en place.
Comme il restera probablement du temps car tout cela est trop simple, on passera le reste des deux heures à étudier les « impacts muséographiques sur le parcours permanent » (troisième sujet) en examinant les conséquences « sur la présentation des collections du parcours permanent (Cryptes Levant, Osiris, Sphinx, sur les différents niveaux du quadrilatère, etc.) ». S’il s’agit de redéfinir la « présentation des collections » dans les trois cryptes citées, ce sera assez rapide puisqu’elles seront vidées de toutes leurs œuvres comme nous l’avons vu. S’il s’agit de définir où celles-ci devront être réinstallées (et donc à la place de quelles œuvres, dans quelles salles, en conservant un parcours cohérent), le temps restant (une minute par participant ?) sera peut-être un peu court, d’autant que parmi les 39 personnes présentes seules trois (un conservateur des antiquités égyptiennes et deux des antiquités orientales) sauront de quoi on parle.

Le troisième atelier de deux heures s’attachera à des questions très techniques. On se penchera en effet sur les « espaces d’expositions temporaires » (premier sujet) et sur les « salles modulables » (deuxième sujet). Le document d’expression des besoins parlait d’une « salle modulable » dont la finalité n’est pas très claire [1]. On passe donc ici d’une « salle modulable », à « des salles modulables », mais il est vrai qu’on n’en est plus à ce détail près. Comme pour la salle de la Joconde, on attend des participants du groupe dans leur minute imposée qu’ils définissent pour ces deux sujets des caractéristiques architecturales très précises telles que la jauge, les hauteurs et largeurs, la nature des équipements techniques, celle des locaux connexes, ou encore la nature des éléments modulables. On se pince pour y croire.

Le quatrième atelier se penche sur « le "Louvre des Savoirs" » » (seul sujet traité, si l’on ose dire, dans l’atelier), jargon déjà évoqué un peu plus haut. Le « "Louvre des Savoirs" » est expliqué (c’est un bien grand mot il est vrai) dans le document d’expression des besoins. On y comprend (ou pas) que le « "Louvre des Savoirs" » correspond en gros à ce qu’on appelerait dans un langage moins châtié « espace pédagogique » à destination notamment des enfants. Il s’agit en effet de « développer l’apprentissage par la pratique avec de nouvelles salles d’ateliers près de « l’espace Joconde » et de l’espace d’exposition temporaire, sous la Cour carrée » (devenez Léonard de Vinci à proximité de la Joconde et sous son influence, probablement), de « développer "l’école au musée" avec l’aménagement d’espaces modulaires, équipés numériquement, [qui] pourraient être mis à disposition des enseignants et des classes dans le cadre de projets éducatifs au musée », et d’« assurer le confort de visite des groupes scolaires » avec des vestiaires dédiés, des « espaces adaptés pour le déjeuner » ou des « salles de repos ».
Il s’agit de définir (comme pour tout le reste des groupes de travail), le cahier des charges pour le concours d’architecte. Et donc de préciser, comme pour les espaces précédents, toutes les caractéristiques architecturales et techniques, sans oublier les équipements nécessaires, les personnels nécessaires, et même s’il le faut la présence de collections (?) [2].

Trois maîtrises d’œuvre

Nous parlons ici du concours d’architecture qui doit être lancé en juin 2025, pour une désignation du lauréat fin avril 2026 et le début des travaux à l’automne 2026. Mais on apprend du document de la réunion plénière de lancement qu’un autre appel d’offre sera lancé pour « les réaménagements dans les salles du quadrilatère Sully rendus nécessaires par la réorganisation des espaces », selon un calendrier qui reste à préciser.
Il y aura donc pas moins de trois maîtrises d’œuvres : celle du lauréat du concours international pour : « les espaces du « nouveau Louvre », comme les locaux muséographiques (espace dédié à la Joconde) et les nouvelles salles d’expositions temporaires » ; celle de la « muséographie des salles du quadrilatère Sully » ; et enfin celle de l’architecte en chef des monuments historiques François Chatillon.
Ce dernier est la seule bonne nouvelle : car François Chatillon est à notre sens l’un des meilleurs architectes des monuments historiques en activité, respectueux, en général, des monuments. À ce propos faisons notre mea culpa. Dans le premier article consacré à ce projet, nous écrivions que les sols des escaliers Fontaine au nord et au sud de l’aile est du quadrilatère Sully (celle de la Colonnade) étaient menacés par leur prolongation en sous-sol. Il semble, d’après des sources internes au Louvre, que les sondages effectués le soient sur le côté, et que ces sols seraient utilisés comme paliers, sans les creuser, ce qui pourrait épargner un vandalisme trop important sur ce point.

Nous épargnerons aujourd’hui à nos lecteurs l’analyse des autres thématiques dont la 5 (« gestion et flux des collections au sein du projet Nouveau Louvre » et la 7 (« numérique au Louvre »), tout aussi absurde, mais nous y reviendrons certainement ultérieurement comme nous reviendrons sur le déroulement du projet. Le prochain article sera consacré à un sujet très actuel : la fermeture des salles au Louvre qui n’a jamais été aussi peu accessible qu’aujourd’hui depuis le projet du Grand Louvre il y a quarante ans.

Didier Rykner

Notes

[1On nous explique dans l’expression des besoins que la salle modulable devrait permettre « une utilisation variée pour accueillir des formes originales pour la programmation scientifique et culturelle ou dans le domaine numérique » et que le Louvre disposerait ainsi « d’une offre diversifiée permettant de mieux répondre à ses besoins et à ses missions de diffusion culturelle et scientifique ». Un abonnement gratuit d’un an à La Tribune de l’Art sera offert à celui qui réussira le premier à nous expliquer avec des mots simples en quoi consiste cette « salle modulable » et à quoi elle servira exactement.

[2Le point d’interrogation est d’origine.

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