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- 1. Église de la Nativité-de-la-Vierge à Massat dans l’Ariège
Photo : Didier Selles - Voir l´image dans sa page
L’idée lancée par Rachida Dati de faire payer pour entrer dans Notre-Dame, qui déboucherait si elle était mise en œuvre sur son extension à de nombreux édifices religieux en France, déclenche les passions. Elle oppose même les défenseurs du patrimoine entre eux, certains - comme Stéphane Bern - se déclarant séduits par une telle mesure, d’autres - comme nous - s’y opposant (voir l’article). Nos contradicteurs présentent de nombreux arguments, tant sur les réseaux sociaux que dans les commentaires des articles publiés dans la presse, dont celui que nous avons écrit dans Le Figaro pour défendre d’autres pistes de financement, qui nous promouvons depuis déjà plusieurs années (voir cet article) : une augmentation de 1 euro de la taxe de séjour, et une taxe de 1,8 % sur les mises de la Française des Jeux récupérée sur les sommes considérables (68 % des mises) reversées aux gagnants.
Ils ont raison sur certains points, mais en supposant une espèce de monde idéal où la France serait bien gérée, qui n’existe malheureusement pas.
D’autres arguments sont au mieux discutables, et nous y répondons ici.
Voyons donc toutes les objections faites par nos contradicteurs. Les deux premières entrent dans la catégorie qui nous paraissent relever de l’utopie.
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- 2. Chœur de l’église Notre-Dame-de-la-Nativité
Massat (Ariège)
Photo : Didier Selles - Voir l´image dans sa page
1) Première objection : le budget de l’État est suffisant pour consacrer les moyens nécessaires à l’entretien et à la restauration du patrimoine. C’est évidemment exact quand on songe que le budget consacré à cette mission par le ministère de la Culture est inférieur à 4 % de son budget global, et moins de 9 % si l’on exclut celui de l’audiovisuel. Or l’entretien du patrimoine historique est, à notre avis, une mission régalienne de l’État, qui devrait être prioritaire sur beaucoup d’autres. Cet argument est valable, bien sûr, mais il serait recevable si la logique et le bon sens prévalaient, ce qui est loin d’être le cas. Car prendre l’argent nécessaire ailleurs impliquerait forcément des résistances très fortes de ceux qui se verraient ainsi privés de ressources, et l’on sait parfaitement que rien de tout ça, au fond, n’est possible.
2) Deuxième objection : elle est proche de la première. Alors que l’on prétend (ce qui n’est pas faux) que l’État est impécunieux, il n’est pas rare que d’un coup de baguette magique on trouve tout d’un coup des centaines de millions, voire des milliards, pour certaines causes, qu’elles soient ou non légitimes. Il faut organiser les Jeux Olympiques ? L’État trouve plusieurs milliards. Il faut aider le Liban ? Trouver 100 millions n’est plus un problème. Le Président de la République impose un pass culture (dont l’intérêt pour la culture reste à prouver) ? Ce sont 267 millions d’euros [1] que l’on mobilise sans aucun problème ; imaginons ce que l’on pourrait faire pour le patrimoine avec 267 millions d’euros supplémentaires par an, quand la ministre de la Culture affirme avec optimiste que faire payer 5 euros l’entrée à Notre-Dame en rapporterait 75 par an.
Cet argument est tout aussi valable, peut-être encore davantage. L’État pourrait, s’il le décidait, économiser sur certaines dépenses inutiles ce qui lui permettrait d’augmenter fortement la dotation des monuments historiques. Mais qui pense sérieusement qu’il le fera ? L’État n’est pas vertueux, il faut se faire une raison.
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- 3. Nef de l’église Notre-Dame-de-la-Nativité
Massat (Ariège)
Photo : Didier Selles - Voir l´image dans sa page
3) Troisième argument : nous voudrions encore ajouter des taxes alors que la France croule déjà sous les prélèvements obligatoires. Ce n’est pas nous qui contesterions ce constat. Mais de quelles taxes parlons-nous ? De centaines ou de milliers d’euros supplémentaires comme c’est le cas trop souvent, comme par exemple quand la mairie de Paris augmente la taxe d’habitation de 63 %, ou quand l’État crée de nouvelles tranches d’impôts ? Non.
La taxe de séjour augmentée de 1 euro par nuitée, c’est quatorze euros pour deux semaines de vacances en France, si l’on fréquente un hôtel ou un Airbnb. Soit une somme vraiment dérisoire par rapport au coût ne serait-ce que d’une nuit d’hôtel.
Quant à la taxe sur les mises de la Française des Jeux, qui pénaliserait-elle ? Le gagnant du loto qui, au lieu de se voir attribuer 100 millions d’euros n’en recevrait plus que 95 millions ? La taxe sur le sport de 1,8 % existe déjà et n’a provoqué aucun mouvement d’opinion. Et pourquoi le loto anglais rapporterait-il 360 millions d’euros par an quand le loto du patrimoine en France plafonne aujourd’hui à quelques dizaines de millions ?
4) Quatrième argument : la taxe de séjour supplémentaire pénaliserait les monuments historiques qui font chambre d’hôte pour se financer, et les moins riches, qui par exemple dorment dans des campings, ne peuvent pas se permettre un tel effort.
Les modalités de cette taxe de séjour pourraient être aménagées. Si un euro par nuitée aurait l’avantage de la simplicité, il n’est pas impensable que la taxe soit par exemple fonction (comme l’est déjà la taxe de séjour) du prix du logement. Quant aux monuments historiques classés et inscrits qui vendent de l’hébergement, le but étant de leur rapporter davantage d’argent, on pourrait parfaitement imaginer de les en exempter.
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- 4. Mérule dans l’église Notre-Dame-de-la-Nativité
Massat (Ariège)
Photo : Didier Selles - Voir l´image dans sa page
5) Cinquième argument : la taxe de séjour est locale, il est très complexe de faire reverser l’argent collecté par les communes à l’État… Quand on voit l’imagination dont l’État peut faire preuve en matière fiscale (aller jusqu’à faire payer des impôts sur les impôts…) nul doute qu’ils trouveront une solution pour résoudre cette question.
6) Sixième argument : les taxes affectées sont plafonnées (c’est le cas de la taxe pour le sport sur les mises de la Française des Jeux) et donc une partie de cet argent serait reversée au budget de l’État. Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. Si l’on cherche un financement pour le patrimoine, il faut affecter la totalité de cette taxe, sans la plafonner, au patrimoine. Un ministère de la Culture politiquement fort pourrait sans aucun doute imposer ce principe.
7) Septième argument : de toute façon, les sommes récoltées seront détournées par l’État qui ne le versera pas au patrimoine. Certes, c’est un risque. Mais quelle que soit la solution trouvée, même le paiement de l’entrée des églises, ce risque existe.
Aucun de ces arguments contre nos propositions ne nous semble donc recevable, d’autant que celles-ci peuvent être débattues et améliorées. Il serait évidemment beaucoup plus simple de ne rien faire. Mais il ne faudrait pas s’étonner alors de voir notre patrimoine disparaître ou tomber en ruine, comme par exemple l’église Notre-Dame-de-la-Nativité à Massat, dans l’Ariège (ill. 1 à 4).