Des Lagrenée pas trésors nationaux

11/12/15 - Trésors nationaux (ou plutôt pas) - Paris - Le Portrait d’Oopjen Coppit par Rembrandt est devenu une « œuvre d’intérêt patrimonial majeur » (voir notre précédente brève) alors que celui de son époux n’en en est pas un (puisqu’il va être acquis par les Pays-Bas). Aucun des deux n’avait d’ailleurs été jugé digne d’un « trésor national » qui est défini pourtant comme un « bien culturel présentant un intérêt majeur pour le patrimoine français ». Nous souhaitons bonne chance à l’historien du futur qui se penchera dans un siècle sur les lois patrimoniales en France et sur leur application par le ministère de la Culture et le Louvre. Tout cela est évidemment totalement incohérent.


1. Louis-Jean-François Lagrenée (1724-1805)
La terre : Cérès enseigne l’agriculture
à Céléus
, 1774
Huile sur toile - 254 x 139 cm
Photo : Christie’s
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2. Louis-Jean-François Lagrenée (1724-1805)
L’air : Junon prie Éole de déchaîner les
vents pour faire périr la flotte d’Enée
, 1774
Huile sur toile - 254 x 139 cm
Photo : Christie’s
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Mais l’affaire des Rembrandt ne constitue qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. Nous reviendrons plus tard sur d’autres œuvres ayant obtenu leur certificat d’exportation sans même avoir été présentées à la Commission consultative des trésors nationaux. Nous nous contenterons ici de relater le cas le plus récent dont nous avons eu connaissance. Il s’agit de quatre tableaux de Louis-Jean-François Lagrenée. S’il n’est pas au panthéon des peintres français du XVIIIe siècle, cet artiste n’est pas n’importe qui : élève de Carle van Loo, il fut successivement prix de Rome en 1749, académicien en 1755 et directeur de l’Académie de France à Rome en 1781. Et ces tableaux ne sont pas non plus n’importe quelles œuvres.


3. Louis-Jean-François Lagrenée (1724-1805)
Le feu : Vénus demande à Vulcain
des armes pour Enée
, 1774
Huile sur toile - 254 x 139 cm
Photo : Christie’s
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4. Louis-Jean-François Lagrenée (1724-1805)
L’eau : Neptune et Amphitrite, 1774
Huile sur toile - 254 x 139 cm
Photo : Christie’s
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Il s’agit, tout simplement, de sa plus prestigieuse commande, passée par Jean-Joseph de Laborde pour son château de La Ferté-Vidame pour 14 400 livres, le plus haut prix jamais payé à l’artiste. Celui-ci a donné le meilleur de son art, et ces quatre toiles, qui représentent les Éléments et étaient probablement destinées au décor d’un salon, sont d’une dimension et d’une qualité exceptionnelle. En 1785, elles sont vendues à l’un des plus grands collectionneurs du XIXe siècle, le comte de La Béraudière, avant d’être acquises en 1913 par les propriétaires actuels.
Elles sont aujourd’hui proposées à la vente par Christie’s Paris qui les décrit ainsi : « Par l’importance du commanditaire, par leur nombre et leurs dimensions, par l’ambition des compositions, ces quatre tableaux constituent sans aucun doute les œuvres de Lagrenée les plus importantes jamais proposées en vente et un témoignage fondamental pour comprendre l’évolution de la peinture française vers le néoclassicisme naissant ». Nous partageons entièrement cet avis. Il s’agit indiscutablement de « trésors nationaux » au sens de la loi.

Et pourtant. Pourtant, le certificat d’exportation a été demandé au grand département en charge des peintures, c’est-à-dire au Louvre, qui n’a pas répondu dans le délai de quatre mois qui lui était imparti. Absence de réponse, dans ce cas, vaut réponse positive : les tableaux bénéficient donc d’un certificat d’exportation, ils pourront être vendus à l’étranger. Sans doute était-ce « trop difficile » d’essayer, en trente mois, de trouver le mécénat pour les acquérir. On se demande vraiment à quoi sert la législation sur les trésors nationaux quand on décide de ne pas l’appliquer.

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