Bibliothèque de l’INHA : un déconfinement dans la douleur...

La salle Labrouste de la bibliothèque de l’INHA
Vendredi 3 juillet 2020
Photo : Didier Rykner
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Privés depuis plus de trois mois de bibliothèques publiques, les étudiants en histoire de l’art [1] ne sont pas près de pouvoir recommencer à travailler dans des conditions normales. Ils ne sont pas les seuls à pâtir de cette situation : les historiens de l’art, les conservateurs, les universitaires, les marchands, les simples amateurs sont tout autant concernés par une situation qui perdure alors que dans bien d’autres domaines celle-ci tend à se normaliser.

Nous commencerons par le Louvre pour remarquer qu’une fois de plus cet établissement se distingue, mais a le mérite de la clarté : une fermeture au moins jusqu’au 1er septembre de toutes ses documentations. Celles-ci, pourtant, ne sont pas submergées par la foule. Elle permettent de travailler dans un véritable confort et rendent un service différent des bibliothèques et complémentaire, en donnant accès à un très grand nombre d’informations introuvables ailleurs, ou beaucoup plus difficilement. Absolument rien n’empêcherait le retour des lecteurs, même en réservant une place sur deux ou trois. Mais non. Elles resteront fermées « jusqu’à ce que les conditions sanitaires le permettent », ce qu’on doit plutôt traduire par « au bon vouloir de la direction du musée ». Inutile d’ajouter que la salle de consultation du département des Arts Graphiques est elle aussi fermée sans aucune date de réouverture prévue !

Une bibliothèque peu accessible

Il y a ensuite l’Institut National d’Histoire de l’Art, qui formera le cœur de notre article. Cette bibliothèque, dont nous avons dit à plusieurs reprises les inestimables services qu’elle rendait, notamment grâce au libre accès, a rouvert dès le 12 juin. Pour 25 personnes exactement. Soit 15 doctorants ou étudiants en master, 5 autres lecteurs et 5 lecteurs pour les ouvrages patrimoniaux. Éric de Chassey est très fier d’avoir ouvert avant les autres. Il faut néanmoins rappeler les conditions : un lecteur pouvait venir une seule fois par mois ! Et qui plus est avec des horaires extrêmement réduits, de 10 h à 16 h. Un conservateur du patrimoine, qui n’a donc pu venir qu’une journée, a obtenu son premier ouvrage 1 h 15’ après s’être assis. Et a dû quitter les lieux à 16 h précises. Rappelons que la bibliothèque (hors ouvrages patrimoniaux) dispose normalement de 400 places.

À partir d’aujourd’hui 6 juillet, cette offre s’accroit (mais pas beaucoup), puisque ce seront seulement 48 places par jour qui pourront être réservées, uniquement dans la salle Labrouste (dont la capacité normale est de 320 personnes), a priori sans limites de jours. Le magasin central, qui permet d’avoir un accès libre aux ouvrages et qui peut accueillir 80 lecteurs supplémentaires, est fermé. Les livres devront donc être commandés, avec un maximum de quatre documents par jour (et de six au total dans la journée), ce qui représente une dégradation évidente des conditions de consultation. Les horaires d’ouverture vont s’étendre jusqu’à 18 h. Quant à l’espace Doucet, pour les collections patrimoniales, il n’accueillera toujours que 5 personnes. Les conditions sanitaires sont par ailleurs extrêmement sévères puisque tous les documents consultés sur demande devront ensuite subir une quarantaine de trois jours complets avant de pouvoir être consultés à nouveau (ce délai était de 9 jours jusqu’au 6 juillet…). Dans des conditions pareilles, beaucoup de lecteurs ne pourront pas profiter de la bibliothèque, soit que celle-ci sera pleine, soit qu’ils n’essaieront même pas de venir devant de telles contraintes.

Éric de Chassey et la direction de la bibliothèque, tout en reconnaissant que ces règles ne sont pas satisfaisantes, se targuent de plusieurs points positifs. Ce serait sur l’intervention du directeur de l’INHA que le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie, aurait permis la réouverture des bibliothèques universitaires (une permission qui n’est d’ailleurs pas une obligation). Il souligne qu’il a rouvert dès le 12 juin (on a vu dans quelles conditions !), et qu’il a permis dès cette date aux étudiants en master et aux doctorants qui le souhaitaient, de demander un scan des ouvrages de la bibliothèque.

Cette dernière possibilité était néanmoins d’un intérêt assez réduit pour les étudiants puisqu’elle ne concernait que les ouvrages dans le domaine public, antérieurs à 1920, ce qui excluait une très grande partie de la bibliothèque, notamment la plupart des livres habituellement en accès libre et ceux utilisés le plus fréquemment. Par ailleurs, beaucoup sont déjà numérisés et en accès libre sur Gallica. Enfin, les conditions là encore étaient très contraignantes. Un étudiant a obtenu son PDF au bout d’un mois. Quant à ces fichiers, ils étaient tellement sécurisés qu’il était impossible de faire des captures d’écran : une étudiante qui voulait inclure des copies dans sa thèse a dû prendre des photographies de l’écran. Bref, beaucoup ont vu cela davantage comme un effet d’affichage que comme un service utile.
Si cette restriction de date a été levée en partie à partir du 12 juin grâce à une discussion avec les ayants-droit, cela ne peut évidemment en aucun cas remplacer un accès direct et non limité aux ressources de la bibliothèque.

Des explications peu convaincantes

On se demande ce qui interdit une réouverture plus large le 6 juillet de la bibliothèque de l’INHA. Les recommandations sanitaires de déconfinement des bibliothèques territoriales données par le ministère de la Culture [2] sont pourtant sans ambiguïté, et rien dans la législation ne vient imposer le contraire. Outre les mesures sanitaires habituelles de nettoyage et de désinfection auxquelles la bibliothèque de l’INHA se conformera par ailleurs, les consignes sont claires. D’une part, la jauge doit être adaptée comme celle de tous les autres lieux publics, soit avec une préconisation d’un mètre entre chaque personne, et de 4 m2 par personne assise. Comme le précise le document, ces références sont données à titre purement indicatif. Cela devrait donc permettre a minima d’occuper une place sur deux dans la salle Labrouste, soit d’obtenir une jauge de 160, plus de trois fois celle retenue.

Par ailleurs, si la quarantaine des livres est recommandée, il est préconisé qu’elle soit d’une journée seulement pour les « documents papier ou cartonnés, sans éléments de plastique », et de trois jours pour les « documents papier avec couverture plastifiée » (ou une désinfection des couvertures suivie d’une quarantaine d’un jour). Non seulement les ouvrages de la bibliothèque sont essentiellement des documents sans éléments de plastique mais, surtout, la plupart sont consultés sur place. Or cette recommandation de quarantaine ne s’applique qu’aux documents qui sont emportés chez eux par les lecteurs, au moment de leur retour à la bibliothèque. Ce n’est bien sûr pas le cas de la bibliothèque de l’INHA où les seuls prêts possibles sont très limités, tant sur le plan de ceux qui peuvent en bénéficier, que sur les collections concernées.
En réalité, rien n’interdit le libre accès aux livres, le grand avantage de cette bibliothèque, qui permettrait donc de se faire sans aucune quarantaine, à condition de respecter les consignes sanitaires, gel hydro-alcoolique pour les mains et port de masque.

Selon Éric de Chassey, à propos du libre-accès : « nous avons fait un choix de prudence et d’équilibre pour l’été (et on l’a aussi fait parce que des nouvelles recommandations qui sortent la semaine du 22 juin sont difficiles à retranscrire dans des procédures lorsqu’on a une instance de dialogue social le 25 juin et lorsqu’on a arrêté des budgets de recrutements de Moniteurs étudiants pour l’été dans des délais très brefs) ».

D’autres bibliothèques ouvrent davantage

À notre sens, ces explications ne sont pourtant pas convaincantes, d’autant que d’autres bibliothèques ont réussi à faire le choix inverse. Ainsi, la BPI du centre Pompidou, qui est également en libre-accès, vient de rouvrir avec une jauge de 1000 personnes sur 2000 maximum. La Bibliothèque national également rouvrira le 15 juillet pour le haut de jardin, où la jauge est de 1500 habituellement et qui accueillera 750 lecteurs, là encore en libre-accès maintenu.
Rien ne s’oppose donc à la réouverture du magasin central pour laisser à nouveau le libre accès aux livres, ce qui augmenterait le nombre de places disponibles, d’autant qu’on trouve dans ces magasins un certain nombre de places individuelles. On pourrait ainsi, immédiatement et sans que cette organisation soit complexe à mettre en œuvre, faire rentrer non pas seulement 160 lecteurs, mais bien au moins 200 personnes sur la jauge totale de 400, tout en réinstaurant le libre-accès. On ne comprend pas bien pourquoi ce qui est possible à Beaubourg et à la BnF ne l’est pas à l’INHA. Or, cette dernière bibliothèque n’est pas une bibliothèque de plus. Elle contient souvent des ouvrages qu’on ne trouve nulle part ailleurs et qui sont restés des mois inaccessibles à ceux qui en ont besoin.

Par ailleurs, le retour au libre-accès diminuerait drastiquement le nombre de personnels nécessaire pour faire fonctionner la bibliothèque. Et s’il faut des personnes en plus, n’est-il pas possible d’accélérer et de faciliter le recrutement de « moniteurs étudiants » ? La crise du Covid a entraîné de nombreuses adaptations des procédures, validées par des circulaires, des arrêtés ou des décrets, voire des lois. Ceci serait d’autant plus nécessaire que nombre d’étudiants qui comptaient sur un travail d’été pour gagner un peu d’argent se retrouvent aujourd’hui sans rien. Il faut tout de même rappeler que beaucoup d’étudiants sont dans une situation économique compliquée. L’impossibilité qui leur est faite de travailler dans des conditions correctes, qui s’ajoute à la période du confinement, est venue entraver leurs études, et les thésards sont désormais contraints de demander des dérogations de délais pour mener leur thèse à bien, ce qui augmente encore la précarité de certains.

Nous n’avons parlé ici que de Paris. Remarquons aussi que la bibliothèque Mazarine a rouvert, ainsi que celle des Arts décoratifs et la bibliothèque de la Fondation Custodia. Tout cela est très utile, mais ne remplace pas l’INHA. En province, les choses semblent manifestement assez aléatoires, ce qui est tout aussi incompréhensible. Compte tenu de la situation épidémique en France (et sous réserve bien entendu que celle-ci n’évolue pas vers une aggravation), rien ne s’opposerait à une réouverture complète des bibliothèques, en diminuant par deux les jauges, en laissant là où cela est prévu le libre accès, et en recrutant les étudiants nécessaires pour les faire fonctionner, comme cela est le cas tous les étés. Rappelons qu’une bibliothèque publique relève, comme son nom l’indique, d’un service public. On peut, par ailleurs, s’étonner qu’il soit possible de voyager pendant cinq heures en train à côté d’un inconnu (car la distanciation d’un mètre n’est plus en vigueur à la SNCF) et qu’il soit impossible d’installer un lecteur tous les deux sièges dans une bibliothèque. Tout cela est incohérent, comme beaucoup de choses qui touchent à la gestion de cette crise.


Pour soutenir nos combats patrimoniaux
Didier Rykner

Notes

[1Bien entendu, il n’y a pas que les historiens de l’art qui sont dans cette situation. Mais nous nous penchons ici évidemment sur ce qui est au cœur de notre sujet.

[2La bibliothèque de l’INHA n’est sans doute pas une bibliothèque « territoriale », ce qui ne change rien aux conditions sanitaires applicables à l’une ou à l’autre.

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