À quand un T-shirt Apple ou Samsung pour le Président de la République ?

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1. Façade de Saint-Augustin sous la
bâche publicitaire qui la recouvre
9 octobre 2016
Photo : Didier Rykner
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Ce sont bientôt trois églises parisiennes (Saint-Augustin, la Madeleine et Saint-Eustache) dont les façades vont être recouvertes de bâches publicitaires. Et pas des publicités discrètes, comme celle déjà posée sur Saint-Augustin le démontre (ill. 1). Malgré cette pollution visuelle qui envahit Paris, certains, même parmi ceux qui se préoccupent du patrimoine, estiment parfois que ce n’est pas très grave et que l’important est que cela aide à la restauration des monuments. Analysons, un par un, leurs arguments.

 « De toute façon, une bâche c’est laid, même sans publicité ». La question du beau et du laid peut être débattue, mais prétendre qu’une bâche serait aussi laide qu’une publicité est absurde. Une bâche, pour peu qu’elle soit choisie d’une couleur non agressive (l’inverse donc d’une publicité) est neutre dans le paysage, on passe dessus sans s’y arrêter, sans la voir. On peut donc avoir un paysage urbain avec une bâche sans que celle-ci vienne perturber la vision du reste de la ville. On peut même - c’est ce qui est souhaitable - dessiner sur la bâche la silhouette du monument caché, ce qui diminue encore son impact visuel. C’est ce que font souvent les publicitaires, très hypocritement, sur les retours de façade (là où on ne les voit donc que très peu) comme à Saint-Augustin par exemple (ill. 2). Rien à voir donc avec une affiche publicitaire dont l’objectif est bien de rompre avec son environnement afin d’attirer l’attention au maximum.

2. Bâche sur les côtés de Saint-Augustin
(là où ça ne se voit pas beaucoup)
9 octobre 2016
Photo : Didier Rykner
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- « Ce n’est pas grave, puisque c’est temporaire ». Une bâche publicitaire, sur un monument, est temporaire, effectivement, même si ce temporaire dure longtemps (plusieurs mois au minimum). Mais lorsque les chantiers se succèdent, parfois à peu de distance les uns des autres, les publicités géantes dans l’espace public deviennent permanentes, elles changent juste d’emplacement. Depuis quelques années, elles sont partout dans Paris qui se transforme ainsi en ville-sandwich.
Ajoutons, d’ailleurs, qu’elles incitent les maîtres d’ouvrage à prolonger de manière indue l’affichage sur certains monuments, le coût de l’échafaudage étant inférieur à ce que rapporte la publicité. Dans bien des cas, on installe celle-ci plus tôt, et on la retire plus tard que la fin des travaux. Une fois même, devant un abus manifeste, le ministère de la Culture a jugé nécessaire d’imposer son retrait (voir la brève du 20/1/14), mais combien de fois passe-t-on devant des bâches publicitaires derrière lesquelles, manifestement, il n’y a plus aucun travaux en cours ?

 « Les publicités permettent de restaurer des monuments qui ne le seraient pas ». On est ici au cœur du problème. Prenons la Mairie de Paris puisqu’il est ici question de Saint-Augustin. Nous avons expliqué pourquoi le plan églises n’était qu’une goutte d’eau dans les besoins de restauration de ces édifices [1] (voir l’article). Et nous avons comparé ces budgets avec ceux que dépense la municipalité dans des opérations de pure communication ou simplement « festives ». Elle a l’argent pour restaurer son patrimoine, elle y est d’ailleurs (très théoriquement) obligée par la loi, mais elle préfère désormais le prostituer pour n’en sauver qu’une petite partie, pendant que tout le reste disparaît. Rappelons que l’urgence ne porte pas uniquement sur les façades qu’il faudra de toute façon restaurer, avec ou sans publicité, car la sécurité des personnes est en cause. Elle est sur les peintures murales qui se délitent. Mais cela ne peut être financé par la publicité...

 « Bien sûr, ce n’est pas joli, mais l’objectif est vertueux puisqu’au bout du compte, on restaure ». Il y a là une question bêtement morale : la fin justifie-t-elle les moyens ?
Mais puisque la publicité rapporte de l’argent, mettons-en partout. Pas assez de crèches ? Finançons les avec de la publicité. Puisque la police est pauvre, habillons les policiers d’uniformes avec des visuels de grandes marques. La justice n’a pas de moyens ? Faisons sponsoriser les juges par Apple ou Coca-Cola. Ces exemples paraissent excessifs ? Quelle différence entre un monument historique vantant les mérites d’un téléphone portable et le porte-avion Clemenceau qui ferait de même ? Parions d’ailleurs que le Clemenceau recueillerait beaucoup plus d’argent… Imaginons, enfin, le Président de la République habillé avec un tee-shirt Apple ou Samsung pour aider à résorber le déficit budgétaire. Impensable non ? Et pourquoi serait-ce plus admissible sur un monument historique ?


3. La place Saint-Augustin : en plus de la bâche sur l’église,
on y trouve désormais quatre panneaux publicités supplémentaires...
9 octobre 2016
Photo : Didier Rykner
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L’État, qui laisse faire quand il ne donne pas l’exemple, porte une responsabilité écrasante. Normalement, la publicité est interdite à proximité des monuments historiques. Par quelle aberration peut-on autoriser les plus grandes affiches jamais vues en France sur ces mêmes monuments (en en rajoutant, d’ailleurs, puisque quatre panneaux supplémentaires sont installés sur la place devant l’église - ill. 3). Tout le monde ou presque s’est indigné que Venise soit envahie par des publicités géantes et personne ne se soucie de Paris. Pense-t-on vraiment que c’est ainsi qu’on fera revenir les touristes ?

Didier Rykner

Notes

[1Ce qui n’empêche pas la mairie de mentir effrontément sur le panneau explicatif des travaux de Saint-Augustin. On y lit en effet que les 80 millions consacrés par la ville aux églises entre 2014 et 2020 est un « effort sans précédent ». Mensonge éhonté puisqu’il s’agit seulement d’un budget équivalent à celui qui est donné depuis 2001, très inférieur, et de loin, aux besoins, même si on y rajoute les 20 millions attendus de la publicité et du mécénat, et les 11 millions (seulement...) donnés par l’État.

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