À Beyrouth, il est urgent de restaurer le palais Sursock

28/1/21 - Mécénat - Beyrouth, Palais Sursock - Soufflé. La toiture éventrée, les vitres pulvérisées, les plafonds effondrés, les marbres éclatés, les boiseries morcelées... Il avait survécu pourtant à la guerre civile, résisté aussi aux assauts des promoteurs immobiliers, progressivement cerné de tours dans le quartier historique d’Achrafieh à Beyrouth. Mais l’explosion du 4 août 2020 n’a pas épargné le Palais Sursock, et il est d’autant plus urgent de sauver ce joyau que les demeures libanaises comme celle-ci sont devenues rares, remplacées les unes après les autres par des immeubles. Aujourd’hui, la structure architecturale est consolidée et le toit recouvert, mais il reste beaucoup à faire, il est grand temps d’organiser un vaste chantier de restauration.


1. Palais de Sursock
L’escalier après l’explosion du 4 août 2020
Photo : Bassam Lahoud
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2. Palais Sursock
Le salon après l’explosion du 4 août 2020
Photo : Bassam Lahoud
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3. Palais Sursock
L’escalier avant l’explosion
Photo : Ferrante Ferranti
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4. Palais Sursock
Le salon avant l’explostion
Photo : Ferrante Ferranti
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Six jeunes professionnels de cinq pays différents [1] réunis autour de Joseph El Hayek ont entrepris de sauver les trésors de Beyrouth, et en tout premier lieu le Palais Sursock, mettant en commun leurs expériences respectives dans la recherche de mécénat, la levée de fonds, la communication, la gestion de projet et la conservation des œuvres d’art. C’est par l’intermédiaire d’Anne-Marie Afeiche, directrice du Musée National de Beyrouth qu’ils ont rencontré Roderick et Mary Sursock Cochrane, propriétaires de ce palais que le classement au titre de monument historique ne semble guère protéger. Et c’est ainsi qu’en décembre dernier est né le Fonds RestART Beirut pour la sauvegarde du patrimoine culturel et artistique de la ville, dont la première mission est de lancer une campagne de financement. Puis il faudra définir les priorités du chantier, suivre chacune des étapes, coordonner les équipes, assurer la main d’œuvre.
Les membres du comité insistent : ce fonds est abrité par la Fondation Roi Baudouin, afin d’assurer un contrôle financier rigoureux, garantir une transparence totale, et permettre aussi une réduction fiscale aux mécènes, un détail qui a son importance. L’objectif est de réunir 8 à 10 millions d’euros pour un chantier qui devrait durer 4 à 5 ans. Il est prévu de découper cette restauration en différents projets, financés un par un, afin d’en assurer la concrétisation.


5. Palais Sursock, Beyrouth
Photo : Ferrante Ferranti
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6. Palais Sursock, Beyrouth
Photo : Palais Sursock
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Cet appel aux dons qui s’adresse aux entreprises comme aux particuliers, se double d’un appel au mécénat de compétences : les professionnels de la restauration, de la conservation ou de la muséologie qui voudraient partager leurs savoirs sont les bienvenus, tout comme les entreprises qui accepteraient de fournir des matériaux. Un exemple : le toit était couvert de tuiles de Marseille comme beaucoup de bâtiments libanais, qu’il faut aujourd’hui remplacer. Les menuiseries également, extérieures et intérieures, ont beaucoup souffert, tandis que de nombreux objets d’arts sont en morceaux.
Il s’agit bien d’associer une expertise internationale et un savoir-faire local, afin d’assurer des emplois aux Libanais, de perpétuer et transmettre des techniques traditionnelles. Un atelier de restauration devrait d’ailleurs être installé au sein même du palais de façon permanente, qui servira de modèle aux rénovations futures des autres monuments. Car le comité de RestART Beirut compte bien dans l’avenir étendre son initiative à d’autres trésors patrimoniaux de la ville, monuments ou œuvres d’art.


7. Palais Sursock
Le grand hall avant l’explosion
Photo : Ferrante Ferranti
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8. Palais Sursock
Le grand hall après l’explosion
Photo : Bassam Lahoud
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Si le palais Sursock est une propriété privée, il sera transformé en musée et en un centre culturel une fois ses espaces intérieurs et ses collections restaurés. Les propriétaires conserveront bien sûr une partie des appartements pour y vivre. Car de génération en génération, la famille Sursock a habité cette demeure depuis sa construction dans les années 1850 et 1860 par Moussa Sursock. À l’époque, le plan de l’édifice était audacieux, puisque il ne se déployait pas autour d’un patio, mais s’ouvrait sur un parc. L’architecture comme le décor intérieur mêlent l’Orient et l’Occident. Les façades, rythmées ici d’une loggia, là de tourelles, évoquent un palais vénitien et un château français. À l’intérieur, les tapis de Smyrne et de Perse côtoient des tapisseries de Flandres du XVIIe siècle, ou bien conçues par Dom Robert au XXe siècle. D’une pièce à l’autre, des boiseries de Damas alternent avec des boiseries de Naples. Sur les murs s’égrènent les portraits de famille peints par Daoud Corm, Van Dongen, Matteo Corcos. Les collections comportent un certain nombre de peintures italiennes parmi lesquelles on compte des œuvres attribuées à Artemisia Gentileschi - Hercule et Omphale, La Madeleine pénitente - à Andra Vaccaro - Cléopâtre - ou encore à Luca Giordano - La Visitation. Une toile du cercle du Guerchin, un Saint Jean-Baptiste a malheureusement été détruite par l’explosion [2] (ill. 9). Il y a aussi des tableaux attribués à Matthias Stomer et à Corot, des porcelaines de Meissen, des pièces de mobilier napolitaines, bref une collection remarquable, enrichie par chacun des membres de la famille au fil des décennies.
Ce fonds italien s’explique par le mariage d’Alfred Sursock avec Donna Maria, fille du duc Serra di Cassano. Le couple eut une fille, Lady Yvonne Cochrane, née en 1922, épouse de Sir Desmond Cochrane, qui est décédée à la suite de l’explosion du 4 août. Elle était une figure importante pour le patrimoine, fondatrice de l’APSAD, association pour la préservation des sites et anciennes demeures.
Aujourd’hui c’est l’un de ses fils, Roderick Sursock Cochrane qui tente de relever le palais familial et de mettre à l’abri les œuvres d’art lacérées ou brisées qui le décoraient.


9. Palais Sursock à Beyrouth
Un tableau attribué au cercle du Guerchin détruit
Photo : Bassam Lahoud
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Il est urgent d’évaluer ce qu’il reste de cette collection, d’entreprendre un inventaire, de constituer une base de données, de restaurer chaque toile et chaque objet dans les règles de l’art, de les conserver dans les meilleures conditions. Et bientôt de les exposer. Le futur musée respectera les normes internationales aussi bien en ce qui concerne les conditions d’accueil du public que de conservation des collections. Le palais sera également un écrin pour la création contemporaine. Il sera un lieu de résidence pour les artistes, accueillera des expositions temporaires, ainsi que des conférences et des concerts. Un dîner de gala prévu en 2021 devrait, on l’espère, marquer le succès de cette entreprise menée par des bénévoles passionnés.


Dominique Fernandez, Palais Sursock - Beyrouth, photos de Ferrante Ferranti et de Mathieu Ferrier, préface d’Yvonne Sursock Lady Cochrane, édition Philippe Rey 2010, 167 p. , 49 €. ISBN : 9782848761756.

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