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- Geneviève-Charlotte Simon, dite Eugénie Dalton (1802-1859)
Un martin-pêcheur, vers 1834
Huile sur toile - 24,5 × 32,4 cm
Tableau qui n’a pu être acheté par le Musée Delacroix car sa localisation entre 1933 et 1945 est inconnue.
Photo : Galerie La Nouvelle Athènes - Voir l´image dans sa page
Depuis quelques années, nous entendons de plus en plus de marchands et de conservateurs se plaindre d’une tendance lourde : celle de ne plus pouvoir acquérir des œuvres dont on ne saurait pas exactement où elles se trouvaient pendant la période 1933-1945.
Il ne s’agit pas d’une crainte vaine. Nous avons pu constater à plusieurs reprises que cette raison était finalement opposée, tant par le Service des musées de France que par certaines commissions, à des acquisitions voulues par des conservateurs et pour lesquelles le blocage n’a été dû qu’à cette absence de provenance. Nous ne citerons ici qu’un seul exemple, parmi beaucoup d’autres : le tableau d’Eugénie Dalton que voulait acquérir le Musée Delacroix en 2023, mais pour lequel le Louvre (tutelle de ce musée) s’est opposé en définitive pour « défaut de provenance » allant même jusqu’à demander « des documents pouvant attester de manière incontestable une provenance directe avant la guerre, de type photographie de l’œuvre ou acte d’acquisition ».
Faute d’enrichir les collections nationales avec un exemple remarquable de l’art de cette disciple de Delacroix - seul le Louvre en conserve un tableau assez médiocre -, celui-ci fait aujourd’hui la joie d’un collectionneur privé.
Une table-ronde très intéressante, lors du Festival de l’histoire de l’art, sur le sujet de la provenance des œuvres des musées, notamment de celles ayant appartenu à des propriétaires juifs spoliés, nous a permis de poser cette question, qui devient un réel frein aux acquisitions.
Et Catherine Chevillot [1], qui représentait avec David Zivie [2] le ministère de la Culture, a été on ne peut plus claire. Il y a une obligation de moyens (parcourir les bases de données facilement consultables d’objets volés ou ayant fait l’objet d’une spoliation) pour s’assurer que l’objet ne s’y trouve pas, et faire les démarches nécessaires et possibles pour vérifier s’il n’existe aucun indice pouvant témoigner d’une spoliation. Il s’agit d’une due diligence normale que doivent effectuer les conservateurs si les marchands ou les salles de vente ne les ont pas déjà faite.
Pour Catherine Chevillot, et pour David Zivie qui a confirmé ce point, si ces vérifications sont effectuées et que les œuvres n’y figurent pas, rien ne s’oppose à leur achat.
Notons néanmoins que celle-ci ajoute qu’il est parfois préférable de renoncer à l’achat, même si aucune spoliation n’a été prouvée. Cela porte sur des objets dont on saurait qu’ils sont passés, pendant la période litigieuse, par un marchand connu pour avoir fait commerce d’œuvres volées.
Ce point est difficilement compréhensible. D’une part, parce qu’un soupçon n’est pas une preuve, d’autre part, parce que cela revient à une forme de lâcheté qui pourrait nuire aux intérêts des familles spoliées. L’acquisition par un musée français permettrait en effet, si besoin, la restitution, alors que s’abstenir pourrait avoir pour conséquence l’achat de l’œuvre par une collection étrangère, dans un pays où sa restitution s’avérerait impossible. Sous prétexte de se vouloir irréprochable, on priverait dans la plupart des cas les musées français d’œuvres à l’historique sans problème, et, dans quelques très rares cas, on empêcherait leurs légitimes propriétaires de pouvoir les récupérer.
Quoi qu’il en soit, ces cas sont excessivement rares. Pour l’immense majorité des œuvres, soit l’historique est connu et ne pose pas de problème, soit on ne sait pas où elles étaient pendant la période 1933-1945 parce que les recherches n’ont rien donné ; cette absence de provenance (logiquement très fréquente, répétons-le) ne peut pas être une raison de ne pas acheter.
Ceux qui s’opposent ainsi à des acquisitions sous de faux prétextes nuisent aux musées. Le Service des musées de France, auquel la Mission provenance est pourtant rattachée, devrait faire en sorte de suivre les consignes de cette dernière, plutôt que de s’acharner à mettre des bâtons dans les roues des conservateurs qui veulent faire leur métier, et de décourager les marchands de proposer leurs œuvres aux musées avec des demandes absurdes impossibles à satisfaire.