Une construction illégale sur la place des Vosges

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On aura décidément tout vu : la Cour des Vosges, un hôtel de luxe cinq étoiles, sur la place des Vosges, s’est cru autorisée à construire une structure en dur pour abriter la terrasse devant sa façade, sous les arcades de la place des Vosges, une excroissance à la fois laide et encombrante (ill. 1 à 4).
Rappelons que la place des Vosges est entièrement classée monument historique et qu’elle est incluse dans un « site patrimonial remarquable », nouveau nom des « secteurs sauvegardés » : celui du Marais. À ce double titre, cette installation nécessite évidemment l’autorisation de l’autorité administrative compétente, soit l’architecte des Bâtiments de France (ABF). Que l’espace sous les arcades soit du domaine privé comme nous l’avons appris à cette occasion ne change absolument rien à cette obligation. L’accord de l’ABF n’a évidemment pas été demandé comme nous l’a confirmé aujourd’hui le ministère de la Culture. On ose espérer que s’il l’avait été, il aurait été refusé, mais là n’est même pas la question.


1. Terrasse couverte construite sur la place des Vosges sans autorisation
Photo : Didier Rykner
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Nous avons interrogé également la Ville de Paris. Ariel Weil, le maire de Paris Centre, nous a répondu samedi qu’il allait vérifier s’il y avait eu autorisation de la DRAC Île-de-France, mais que même dans ce cas il aurait été informé. Il nous a également dit que la police municipale avait été envoyée, mais que dans ce cas « elle ne p[ouvait] pas grand chose ». Depuis, le ministère de la Culture nous a indiqué que demain mardi 25 octobre la DRAC Île-de-France et la Mairie de Paris se rendraient ensemble sur les lieux pour signaler l’illégalité de la construction et demander son enlèvement. Cela ne veut néanmoins pas dire que l’hôtel se pliera à cette injonction, et un PV devrait alors être dressé et envoyé au procureur de la République.


2. Terrasse couverte construite sur la place des Vosges sans autorisation
Photo : Didier Rykner
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Cette affaire pose beaucoup de questions. D’abord, si nous ne doutons pas que la Ville de Paris ne soit pour rien dans cette installation et qu’elle en condamne le principe, qu’un bistrotier se croit autorisé à la mettre en place témoigne d’un sentiment d’impunité qui n’a rien d’étonnant. Depuis des années maintenant, et sous prétexte du Covid, la mairie de Paris a permis tous les abus en autorisant des terrasses provisoires dites « estivales », d’avril à octobre, sans sanctionner les abus permanents que chacun peut constater : trottoirs encombrés empêchant les passants de circuler, mises en place de publicités, utilisations de palettes de bois totalement contraires à l’esthétique parisienne, installations de toits, toutes choses interdites qui fleurissent un peu partout sans qu’aucune sanction ne soit prise.


3. Terrasse couverte construite sur la place des Vosges sans autorisation
Photo : Didier Rykner
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Depuis peu, le chauffage extérieur des terrasses, une aberration écologique absolument scandaleuse par les temps qui courent, a été interdit. Qu’à cela ne tienne : l’absence à peu près totale de répression encourage certains à aller encore plus loin dans l’illégalité et donc à construire des terrasses fermées et chauffées, sans autorisation, fût-ce aux dépens du patrimoine. Il est probable que cette affaire ne demeurera pas isolée et que d’autres restaurateurs n’hésiteront pas à faire de même si un coup d’arrêt ferme n’est pas donné.


4. Terrasse couverte construite sur la place des Vosges sans autorisation
Photo : Didier Rykner
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Nous avons, bien sûr, contacté le groupe hôtelier Evok, dont dépend cet établissement. Celui-ci nous a fait la réponse suivante, presque surréaliste : « Dans le cadre du programme de sobriété énergétique, nous ne pouvions pas concevoir d’utiliser cette terrasse chauffée l’hiver, construite sur notre domaine privé, sans cette protection afin d’en conserver la chaleur. Cette terrasse n’est pas considérée en dur puisqu’elle est démontable. Elle sera retirée dès les beaux jours. Nous avons choisi néanmoins de la concevoir avec des matériaux nobles et premium (métal et verre) afin d’éviter du plastique polluant et moins qualitatif compte tenu de notre environnement exceptionnel. Ce choix a été fait malgré un investissement beaucoup plus important que si nous avions choisi une solution plus bas de gamme. »
Pour un peu, nous devrions presque les remercier d’avoir utilisé « des matériaux nobles et premium » (sic) et de respecter le « programme de sobriété énergétique » ?
Notons que le caractère temporaire - qui n’apparaît d’ailleurs pas sur les photos, « temporaire » n’est pas synonyme de « démontable » - ne tient pas une seconde : au-dessus de 20 m2 et d’un mois d’installation, il est indispensable d’avoir une autorisation, même pour une installation temporaire.

Nous avons vécu pendant des siècles sans chauffage sur les terrasses des restaurateurs. S’il fait trop froid pour boire ou manger dehors, on n’y va pas ou alors on se couvre. L’installation des chauffages était déjà scandaleuse, l’extension pour éviter de chauffer dehors (!) est une nouvelle preuve que l’écologie est décidément un prétexte tout trouvé pour détruire un peu davantage le patrimoine, sans aucun effet réel sur l’émission de gaz à effet de serre.

Cette affaire est aussi exemplaire d’une autre question que nous avons déjà soulevée : la lenteur des procédures. Si l’hôtel refuse de se plier à la loi qu’il bafoue ouvertement, que va-t-il se passer ? Un PV sera transmis au procureur, mais on sait que ceux-ci ne sont guère pressés de traiter ce type d’affaire, dont ils considèrent que, dans le meilleur des cas, elles peuvent attendre. L’impunité de ce type de comportement a assez duré. Il est inadmissible que les forces de l’ordre ne puissent pas intervenir pour démonter d’office de telles constructions, si manifestement illégales. Il est temps que le législateur se saisisse de ces questions et donne les moyens de frapper fort (des amendes dissuasives, et s’il le faut des retraits de licence) et vite devant ces atteintes intolérables au patrimoine.

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