Un orgue classé du XVIe siècle dénaturé par une Annonciation

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Alors que l’orgue du XVIIIe siècle de Notre-Dame est en cours de restauration après avoir échappé à l’incendie, alors que celui de la cathédrale de Nantes, du début du XVIIe siècle, a été entièrement détruit par un incendie criminel, un autre orgue est aujourd’hui menacé, certes beaucoup moins gravement, mais de manière officielle. Ce vandalisme n’en est pas tout à fait un, puisqu’il sera réversible. Mais il ne s’agit aucunement d’une intervention présentée comme éphémère. Bien au contraire celle-ci est destinée à durer. Plus grave encore : on ne parle pas d’un instrument courant, mais bien d’un orgue classé monument historique depuis 1840, faisant donc partie des premières protections dans notre pays, sous Louis-Philippe. Si l’instrument lui-même, restauré au XVIIe siècle, puis refait au XIXe siècle et pillé pendant la première guerre vient d’être entièrement reconstitué et n’est plus d’origine, le buffet ne date pas du XVIIIe ni même du XVIIe, mais bien du XVIe siècle, de 1542 exactement, ce qui en fait l’un des plus anciens de France (ill. 1). Fait aggravant, le bâtiment dans lequel il se trouve, la basilique Notre-Dame de L’Épine, est classé monument historique et au patrimoine mondial de l’Unesco au titre des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle !


1. Orgue au buffet classée de 1542 de la basilique Notre-Dame de L’Épine
Photo : La Tribune de l’Art
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2. Orgue ouvert avec les volets
(photomontage)
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On se demande donc quelle mouche a piqué la mairie et le clergé pour accepter ce qui va être inauguré le 18 septembre : rien moins que la création de volets d’orgue peints des deux côtés, dont les faces intérieures représentent une Annonciation (ill. 2) qui n’a que très peu de rapport hélas avec la Renaissance qu’elle aimerait évoquer [1]. L’auteur est une « enlumineuse » (qui aurait dû rester dans l’enluminure, cela n’a pas d’incidence patrimoniale) qui a pour la première fois réalisé une « œuvre » en grand. Femme de multiples talents, elle est aussi danseuse, « performeuse » et modèle (on peut voir ici ou ses photos). Nous conseillons également une visite de sa page Facebook avec quelques photos où elle pose dans la basilique avec ses peintures.
Le choix de l’artiste a été fait par l’association des Amis de la Basilique. Celle-ci œuvre depuis longtemps pour la restauration du monument, et elle doit être remerciée pour cela. Mais comment ne voit-elle pas que cette intervention ruine complètement le reste de son action ? Même si l’artiste avait eu davantage de talent, rien ne justifie d’orner ainsi un orgue classé monument historique.


3. Ange de l’Annonciation
avant sa mise en place
Photo : La Tribune de l’Art
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4. Vierge de l’Annonciation
avant sa mise en place
Photo : La Tribune de l’Art
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D’autant que certain des acteurs de cette farce semblent bien peu décidés à défendre cette réalisation artistique. Le nouveau recteur de la basilique nous a expliqué que « tous les travaux ont été gérés par l’association des amis de la basilique qui ont porté les travaux de l’orgue, nous n’avons pas du tout été associé ». Il apprécie tellement les volets qu’il nous dit « ne pas les trouver scandaleux », ce qui ne témoigne pas d’un enthousiasme débridé.
Nous avons aussi contacté la personne en charge de conseiller le ministère de la Culture pour les orgues, Éric Brottier. Celui-ci renvoie également vers l’association qui a porté le dossier de décor de l’orgue, souligne la qualité du travail effectué sur l’instrument dont il a été le maître d’œuvre - ce que nous ne contestons évidemment pas - et se retranche logiquement derrière le devoir de réserve pour ne pas prendre parti sur les volets peints.
Quant au maire de la ville, Jean-Pierre Adam, il nous a assuré qu’une « parfaite symbiose entre [sa] commune et la DRAC » existait et que la DRAC avait été partie prenante de l’affaire, ayant même participé au jury, et apportant une subvention.
Enfin, le docteur Jean-Christophe Leclère, organiste de la basilique et co-président de l’association des Amis de la Basilique, nous a certifié que la DRAC avait été associée à toutes les étapes de cette commande. Il considère d’ailleurs qu’il n’y avait pas d’autorisation à demander, ce qui est évidemment faux, tout en soulignant que la DRAC avait donné son accord sur l’installation de volets, nécessaires selon lui pour la conservation de cet orgue qui, nous a-t-il dit, conserve ses gonds d’origine. Nous ne discutons pas ce point, mais bien évidemment la peinture telle qu’elle a été réalisée.


5. Revers du volet stocké dans la basilique, avant son installation
Photo : La Tribune de l’Art
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6. Orgue fermé avec les nouveaux volets
Photo : DRAC
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Ce n’est pourtant pas exactement la version de la DRAC, même si celle-ci reconnaît que sa position a pu paraître ambiguë, notamment en raison du confinement. Nous avons compris néanmoins en l’interrogeant qu’elle n’avait pas donné son autorisation formelle. Si les revers des panneaux, que l’on pourra voir lorsque ceux-ci seront fermés (ill. 5 et 6), sont au moins d’une sobriété conforme à ce qui était demandé (et dus à la même artiste), jamais la peinture de L’Annonciation telle qu’elle a été créée n’a été autorisée par la DRAC qui est désormais saisie d’une demande de régularisation, un peu tardivement donc puisque l’inauguration aura lieu dans trois jours.
Fort heureusement, ces toiles sont fixées de manière très légère sur les panneaux et pourront être enlevés facilement. On attend donc que la DRAC, si elle peut donner son autorisation à l’installation des panneaux a posteriori, ne fasse pas l’erreur d’autoriser le maintien en place des toiles peintes. Rien ne l’y oblige, et surtout tout incite à ne pas le faire. Cet orgue pourra probablement être sauvé, en revenant à la raison. Quant à L’Annonciation, il faut l’exposer ailleurs que dans la basilique. Il ne doit pas manquer de lieu à L’Épine pour présenter cette œuvre que certains apprécient, paraît-il. Mais pas sur un monument classé.

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