- 1. Jeanne-Françoise Berthelot-Lavalard
(active au moins dès 1806–après 1850)
Baptiste, tondeur de chiens (avec le cadre d’origine)
Huile sur toile - 39 x 32 cm
Amiens, Musée de Picardie
Photo : Amiens, Musée de Picardie - Voir l´image dans sa page
Artistes collectionneurs ou collectionneurs (et leurs proches) artistes, l’ambivalence est bien reconnue. En témoigne plus d’une fois l’histoire, au demeurant pleine de typique ingratitude, de nos musées : que l’on songe par exemple à Nélie Jacquemart-André dont la peinture mériterait bien d’être un jour exhumée par une juste exposition de retour [1], ou à Auguste Dutuit, l’inoubliable bienfaiteur et quasi fondateur du musée parisien du Petit Palais mais plaisant peintre de genre aussi, dont aucune œuvre, amère et singulière constatation, n’est aujourd’hui montrée (dans son richissime legs de 1902, Dutuit avait tenu à insérer quelques onze peintures de sa main [2], nullement méprisables et pour lesquelles, lors de la dernière rénovation du musée, aurait bien pu être consentie quelque indulgente – et avisée – mansuétude !). Et même à Bayonne, le parfait contre-exemple, Bonnat peintre est-il vraiment célébré autant qu’il le mérite ? Tout comme Gigoux à Besançon, et ainsi de suite. A dire vrai, il n’y a rien d’étonnant à ce que les collectionneurs soient souvent des créateurs inavoués ou nostalgiques…, et un milieu familial (ou amical) artistique peut très sûrement contribuer à l’essor d’une vocation d’amateur d’art voire d’historien d’art : que d’univers mêlés ! Reste qu’il faut bien prendre soin ici de différencier les parcours : ceux de professionnels de l’art qui furent aussi – et pas forcément par compensation, bien au contraire – d’insignes collectionneurs, tels Lely, Reynolds, Lawrence ou bien les Gigoux, Jacquemart et Bonnat susnommés, et puis les cheminements de collectionneurs venus de tout autres horizons et s’adonnant en plus de la collection à une pratique artistique par une sorte d’aller-retour assez logique, tels le fameux La Caze, médecin de son état [3], ou les Marcille [4] et les Lavalard dont il va justement être question ici. Mais voilà tout un préambule pour en venir à signaler grâce à un récent don des Amis des musées d’Amiens un autre joli cas de même nature, et ce sera aussi l’occasion d’insister en passant sur la richesse de la peinture de genre au XIXe siècle.
Le Musée de Picardie à Amiens, comme chacun sait, est depuis 1890 un haut lieu du collectionnisme d’autrefois, comme le Louvre le devint en 1869 grâce au Dr La Caze, modèle des frères Lavalard [5], respectivement Olympe (1813-1887) et Ernest (1818-1894), donateurs d’une somptueuse réunion de 251 tableaux, presque tous de maîtres anciens (Hals, Ribera, Maulbertsch, Greco, Kalf, Aert de Gelder, Weenix, Rosa, Jordaens, Boucher, Fragonard, Hubert Robert, Subleyras, Vincent, Lépicié, Salomon van Ruysdael, Van Goyen, etc.). Mais quel visiteur d’aujourd’hui et même quel connaisseur en peinture française peut soupçonner que ces Lavalard, assoiffés collectionneurs issus du monde des affaires (la fabrication des textiles), furent aussi d’estimables et zélés peintres amateurs, qu’ils exposèrent aux Salons [6] (Olympe, de 1866 à 1870, Ernest, de 1866 à 1876 ainsi qu’en 1882), joignant ainsi à la quête des œuvres la pratique picturale (quatre de leurs œuvres, des paysages, figurent au musée d’Amiens par le don d’Adolphe, leur dernier frère, en 1894 [7]). C’était même chez eux une affaire de famille puisqu’une de leurs nièces, Mme Jeanne Malessez, donna en 1921, toujours au musée d’Amiens, un tableau peint par elle, La grève des poupées [8]. Surtout, ce qui dans un tel contexte est hautement significatif, il y eut dans cette famille un véritable artiste, Jeanne-Françoise Berthelot-Lavalard, tante desdits frères Lavalard, une élève de Gros qualifiée par les siens de « miniaturiste » réputée [9]. De son talent, cependant, la demi-douzaine de peintures conservées depuis 1894 au musée d’Amiens par le don précité d’Adolphe, de corrects mais assez banals portraits de famille [10] et d’attentives copies d’après Metsu et Ter Borch, seules œuvres d’elle repérées jusqu’à présent, ne pouvaient donner une image vraiment marquante et ce, alors même que la vocation d’artiste et de collectionneur des frères Lavalard est manifestement à chercher – typique jonction du monde du collectionneur et du monde de l’artiste – dans l’exemple de cette parente très vénérée, comme le donnent bien à comprendre l’expert Horsin-Déon dès 1862 [11] et Jeanne Malessez déjà citée, en 1894 [12]. C’est dire tout l’intérêt du don que la société des Amis des Musées d’Amiens vient de faire grâce à son président, Vincent Foucart, qui sut remarquer dans une vente à Périgueux (14 mars 2010) un attachant tableau signé de Mme Lavalard (ill. 1), alors intitulé un peu approximativement Baptiste et les chiens [13] – son vrai titre, on le verra, est celui de Baptiste, tondeur de chiens – et le faire acquérir par cette association pour le musée, dans une démarche des plus efficaces, cautionnée comme il se doit par ce dernier. Qui ne se félicitera de voir enfin dans le musée qui fait la gloire des Lavalard une œuvre respectable et convaincante, on peut même parler de franche réussite, de cette femme artiste presque oubliée par la postérité ?
Soit un vrai enrichissement du point de vue de l’histoire de l’art, quand nos connaissances, pour tant et tant d’artistes du XIXe siècle, se réduisent encore trop souvent à de simples mentions d’œuvres dans les livrets de Salons, ceux de Paris – au premier chef [14], l’exploration de ceux de la province restant d’ailleurs en grande partie à faire [15]. A s’en tenir à cette histoire quasi muette, on pouvait bien se demander à quoi ressemblaient les quelques tableaux de genre de notre artiste ainsi recensés – Salons parisiens de 1834, 1841, 1843, 1844 – avec des sujets qui prouvent en tout cas que Jeanne Berthelot-Lavalard avait su ne pas se limiter à de (trop) commodes travaux de portraitiste, justifiant remarquons-le à nouveau, le jugement élogieux d’un Horsin-Déon apparemment bien informé.
- 2. Pierre Duval Le Camus (1790-1854)
Un petit Savoyard dit encore Le petit ramoneur
Huile sur toile - 22 x 17 cm
Salon de 1824, n° 620
Narbonne, Musée d’Art et d’Histoire
Photo : J. Lepage - Voir l´image dans sa page
Le nouveau tableau d’Amiens, même s’il n’est pas une de ces fatidiques peintures de Salon, permet de passer de l’assertion à la preuve par les faits. Et Mme Lavalard de rejoindre ainsi la brillante cohorte des artistes oeuvrant dans la peinture de genre sous la Restauration et la Monarchie de Juillet qui apparaît comme un vrai phénomène de style, de ces innombrables et charmants évocateurs de la vie quotidienne qu’on taxe vite, pour les minorer, d’anecdotiques, le genre étant comme synonyme de petit genre. Qu’est-ce à dire, il est vrai, d’une histoire de l’art qui s’enferrerait dans des classifications aussi réductrices ? De fait, avec cette historiette de petit métier et de chiens (les peintres de l’époque sont de bons animaliers), on est bien dans l’ambiance de l’attendrissant Duval Le Camus (ill. 2) qui vient d’être utilement honoré à Saint-Cloud [16] (voir la recension), et, toujours au nom de la peinture de genre, comment ne pas rapprocher encore l’auteur de notre Baptiste, tondeur de chiens d’un peintre non moins délicieux et en déficit de notoriété comme Louis Rossignon, lequel exposa au Salon de 1831 des Savoyards avec un singe et un chien (ill. 3), une toile réapparue il y a peu dans une vente en Charente (23 octobre 2010) [17]. Sans parler d’autres glorieux inconnus ou presque, de la même tendance, comme Sébastien Dulac (collection Butkin à Cleveland et Bibliothèque Marmottan à Boulogne-Billancourt), Pierre Leroy (musée de Courtrai) et Jean-Henri de Coene (musées de Lille et de La Malmaison) ou Hilaire Ledru (musée de Lille et collection particulière, ill. 4) [18]. Dans cette grande ferveur pour la peinture de genre, il faut décidément en appeler à Boilly bien sûr comme à Drölling, les piliers et phares de cette tendance, à Bouhot comme à Xavier Leprince, à Gassies et bien d’autres, pour définir et délimiter avec fruit tout un réalisme de délicate et modeste essence néo-hollandaise – Jeanne Lavalard justement ne fut-elle pas copiste des Maîtres du Siècle d’Or ? – qui représente, on en conviendra sans peine, l’une des plus agréables ressources de la peinture française d’alors. Une propension à la peinture de genre, tellement heureuse sur le plan du style, qu’elle s’étend en ces mêmes années 1820-1830 à bien d’autres milieux artistiques nationaux : écoles néerlandaises, flamande (et/ou belge après 1830), germanique, russe ou scandinave (le triomphe des Danois dont on parle tant aujourd’hui). Au bonheur multiplié des découvertes et des réhabilitations !
- 3. Louis Rossignon (1781-1862)
Savoyards avec un singe et un chien
Huile sur toile - 65 x 55 cm
Salon de 1831, n° 1837
Marché de l’art, 2010
Photo : D. R. - Voir l´image dans sa page
- 4. Hilaire Ledru (1769-1840)
Etude d’un artisan presqu’aveugle. Il explique son dernier ouvrage,
et se recommande à la bienfaisance publique
Huile sur toile - 75 x 62 cm
Salon de 1824, n° 910
Collection particulière
Photo : D. R. - Voir l´image dans sa page
- 5. Cachet au revers de la toile du tableau
Baptiste, tondeur de chiens
Photo : Amiens, Musée de Picardie - Voir l´image dans sa page
Quoique non daté mais dûment signé, le nouveau tableau d’Amiens a tout pour plaire : pittoresque du sujet, facture fine et précise, éclairage doux et caressant, harmonie de couleurs raffinées jouant entre les bruns, les noirs et un peu de bleu-vert, arrière-plan d’architecture urbaine subtilement précis. Et sa datation d’être assez bien cernée grâce à la présence d’un cachet de fabricant au revers de la toile, soit « DELARUE / Fils Aîné / Rue de l’Arbre sec / N° 46 A PARIS » (ill. 5), un marchand de toiles à peindre et de couleurs actif à cette adresse entre 1823 et 1825, ce qui est pleinement compatible avec le style du tableau [19]. La rue de l’Arbre sec se situe du reste dans les parages du Louvre et de l’église Saint-Germain l’Auxerrois, dans un voisinage tout indiqué pour les fournitures des artistes puisqu’aussi bien les Salons, ceux de Paris bien sûr – certes les plus abondants et les mieux pourvus en livrets – se tiennent encore à cette date au Louvre même. Au n° 46 précisément se succèdent des marchands spécialisés dans le matériel pictural, tels Etienne Rey (« A la palette d’or » si bien nommée …), Delarue qui s’installe rue Mouffetard à partir de 1829, Brullon, Debourge, présent là au moins jusqu’en 1850. C’est ici l’occasion de saluer les recherches, ô combien utiles, d’Anne Roquebert sur le commerce en fournitures pour artistes, fondées sur le relevé systématique des adresses fournies tant par les annuaires commerciaux que par les cachets souvent encore lisibles au revers des toiles (elles n’ont pas été toujours rentoilées vue la petitesse du nombre de formats, ceux des tableaux de genre notamment, et leur âge relativement peu avancé, puisqu’il s’agit en gros de toiles de moins de deux cents ans). Pour autant, convenons que de telles indications, pour être infiniment instructives, comme on le voit dans le cas présent, ne sauraient jamais être infaillibles au point de dispenser de l’appréciation stylistique et qualitative qui doit toujours rester reine… Quant à la signature (peut-être un peu frottée), il est à remarquer que l’initiale V peut bien se comprendre comme celle de Veuve Lavalard (Jeanne-Françoise Berthelot était l’épouse en deuxièmes noces de Jean-Baptiste Lavalard, décédé en 1830). Est-ce à dire qu’elle a, dans le cas de son Baptiste, tondeur de chiens, utilisé après 1830 une toile d’avant 1825 qu’elle avait en réserve ou qu’elle a pu acquérir chez Delarue entre 1825 et 1830 ? A moins qu’elle n’ait après coup signé un tableau réalisé avant son veuvage. Relevons en tout cas que Jeanne-Françoise Berthelot-Lavalard, dans les livrets des Salons de Paris, se fait appeler tantôt « Mme Lavalard », le plus souvent (1833 à 1836, 1846 et 1847, 1850), tantôt « Mme Lavalard née Berthelot » (1841), ou « Mme veuve Lavalard » (1843 et 1844, 1849), l’identité de la même personne étant assurée par la permanence de son adresse au 61 quai de l’Horloge [20]. Le cadre du tableau enfin mérite attention, un bon cadre de plâtre doré aux moulures d’angle soignées qui semble tout à fait d’origine, typique comme il est du goût fleuri des années 1830.
- 6. Détail de l’inscription lisible sur le tableau
Baptiste, tondeur de chiens ;
derrière l’écriteau, la tour de la pompe Notre-Dame
Photo : Amiens, Musée de Picardie - Voir l´image dans sa page
Reste à préciser le sujet, qui fait justement tout le charme de ce genre de tableaux. A la lumière des petits métiers populaires de Paris – ceux que l’on connaît notamment par les « Cris de Paris » –, il est aisé de se rendre compte qu’il s’agit ici d’un tondeur de chiens : l’écriteau (ill. 6) nous en informe à peu près explicitement : « Baptiste t[ond] les chiens et va en ville » : l’ombrelle (ou parapluie ?) reployée cache juste une partie des lettres du verbe-clé : tond, mais la devinette n’est pas trop ardue ! Qu’il suffise pour éclairer le contexte de se référer à un ouvrage comme celui de Jean-Baptiste Gouriet paru chez Lerouge à Paris en 1811, Personnages célèbres dans les rues de Paris depuis une haute antiquité jusqu’à nos jours : à côté du « marchand de pierres à briquets » qu’on entend sur le Pont-Neuf s’exprimer dans le « roulement admirable d’une langue humaine », l’auteur signale « le tondeur de chiens » et détaille significativement sa réclame (dans une plaisante orthographe) : « Joseph Lorin tons lé chien va en vile coupe lé chat […] [21] ». Le Pont-Neuf qui fait le lien entre les parties nord et sud de la ville, semble justement un lieu d’attache pour les tondeurs de chiens et autres acteurs du commerce canin en attente de la clientèle (voir aussi ce qu’en dit le spirituel Jules Janin en 1833 dans Le livre des cent-et-un), d’où la précision « va en ville » qui caractérise également l’écriteau de notre Baptiste. On pourra consulter à cet égard l’irremplaçable et encyclopédique physiologie de la capitale, comme le XIXe siècle adorait en dresser (voir Balzac !), cet extraordinaire Tableau de Paris d’Edmond Texier, qui, à la date de 1852, engrange et rassemble toutes sortes d’indications tirées de L’Illustration, fondée en 1843, et très en vogue alors [22]. Au tome I, au chapitre XXVII consacré au Pont-Neuf, est ainsi longuement évoqué – p. 244-245 – le pittoresque et sympathique couple de « Bisson et sa femme » qui « tond les chiens – coupe la queue aux chats – et va-t-en ville ». Et la Bible de Texier d’en offrir justement l’image (ill. 7) – due à l’alerte Valentin [23] – avec un écriteau et un personnage à chapeau haut de forme tout à fait comparables à ceux de notre tableau. Mieux encore, dans un « Feuilleton » de la prolixe Gazette médicale de Paris en date du 3 septembre 1842 [24], est mentionné cette fois en toutes lettres un « Baptiste tondeur de chiens », « de l’Académie de Paris » comme le précise « une petite affiche » qu’avait remarquée le chroniqueur de la revue « il y a quelques années dans une ville du Midi ». – Un Baptiste suffisamment conscient de son importance pour se targuer d’appartenir, il y a certes de l’ironie, à une Académie de Paris …, quand bien même on voit le pauvre hère s’apprêter prosaïquement à découper un morceau de viande pour lui ou pour ses nombreux chiens (certains à droite tendent le museau …) qui attestent de sa double (et profitable ?) industrie de tondeur et de vendeur.
- Henri Valentin (1820-1855)
Le tondeur de chiens
(le couple de Bisson et sa femme)
Gravure tirée du livre de Texier,
Tableau de Paris, t. I, 1852, page 244
Photo : D. R. - Voir l´image dans sa page
- 8. Anonyme
La pompe du pont Notre-Dame
Gravure tirée du livre de Texier,
Tableau de Paris, t. II, 1853, page 302
Photo : D. R. - Voir l´image dans sa page
- 9. Charles Meryon (1821-1868)
La Pompe Notre-Dame, 1852
Eau-forte - 17 x 25 cm
Photo : D. R. - Voir l´image dans sa page
La boucle en tout cas est bouclée : notre spécialiste en toilette canine a bien existé comme tel, et Mme Lavalard s’est montrée un fidèle et exact reporter autant qu’un savoureux peintre de la Réalité comme l’on aimera dire de nos jours. Au point que l’on peut également identifier le détail d’architecture visible à droite, en arrière de l’écriteau, une espèce de tour que l’on pouvait apercevoir depuis ce Pont-Neuf où stationnaient, on l’a dit, les tondeurs-trafiqueurs de chiens (Baptiste est assis contre le parapet assez élevé de l’ouvrage et va en ville lorsqu’on a besoin de ses services), le pont étant en quelque sorte dans la ville un espace un peu neutre, entre-deux favorable aux petits métiers. ? Une tour massive, un peu ingrate, qui est celle de la pompe Notre-Dame, édifice utilitaire sans grand charme qui disparut au milieu du XIXe siècle mais qui existait encore en 1852, comme l’attestent le livre de Texier (ill. 8) et bien sûr l’attachant Meryon (ill. 9) aux frappantes gravures des sites parisiens [25]. La pompe était attenante en aval au pont Notre-Dame, en son milieu, à peu de distance du quai de Gesvres, autrement dit en bordure de la rive droite de la Seine et dans son enfilade. Mme Lavalard justement devait être une habituée des lieux, puisqu’elle-même habitait non loin, au quai de l’Horloge, entre le Palais de Justice et la pointe de l’Ile de la Cité que traverse le fatidique Pont-Neuf. Décidément, elle n’avait aucune peine, sortant de chez elle, à trouver son inspiration, et l’on peut bien imaginer que le Baptiste dépeint par elle à la fin de la Restauration et encore connu comme tel en 1842 (voir la Gazette médicale citée plus haut) était l’un des prédécesseurs du couple Bisson croqué par Henri Valentin pour Texier vers 1848-1852, installé comme lui sur le Pont-Neuf dans l’attente de clients. Autant de piquants détails de réalité vue et vécue, de cette idée phare qui infuse toute la peinture de l’époque si l’on songe à la naissante photographie et au parcours de photographes souvent issus du monde de la peinture, tel l’éclatant Charles Nègre [26] –, autant de plaisantes et pittoresques précisions qui ne font ici que renforcer la bonhommie un peu misérabiliste et attendrissante (mais pas trop !), ainsi que le charme de l’exactitude picturale de l’image. On ne saurait jamais dissocier les deux facteurs – forme et contenu – qui fondent à coup sûr le succès de la peinture de genre et la légitimité de sa réussite. Et voici qu’à l’exemplaire qualité du style et à sa convaincante efficacité s’ajoute une aura de plus, celle de prestigieux collectionneurs et amateurs comme les Lavalard qui avaient certainement trouvé au départ tant de stimulant auprès d’une talentueuse parente injustement méconnue. Que de satisfactions – et d’opportunités – pour une société d’amis de musée qui doit et veut faire œuvre utile et intelligente malgré des temps toujours plus difficiles.