Destruction imminente du pavillon des Sources de Marie Curie

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1. Le pavillon des Sources, dû à l’architecte Henri-Paul Nénot (1853-1934), entouré de barrières de chantier pour préparer sa destruction (21/12/23)
Photo transmise par Baptiste Gianeselli
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Emmanuel Grégoire, lors d’une récente séance du Conseil de Paris, osait affirmer à propos du pavillon des Sources menacé d’une destruction imminente (ill. 1) : « Marie Curie n’y a jamais travaillé, jamais, jamais ». Une fois de plus, car celui-ci est coutumier du fait, Emmanuel Grégoire raconte n’importe quoi. Baptiste Gianeselli, défenseur du patrimoine parisien très actif sur de multiples dossiers (la place de la Concorde, la rotonde de la Villette, les abords de Notre-Dame…), notamment sur les réseaux sociaux, a démontré grâce à de nombreux tweets qu’évidemment Marie Curie avait travaillé dans cet édifice comme on le verra un peu plus loin. Cela, il est vrai, n’était pas très dur à documenter et même Emmanuel Grégoire aurait pu le faire (mais les faits n’entrent pas vraiment dans sa réflexion politique).

Le premier adjoint de la mairie de Paris affirme par ailleurs, soutenu par Karen Taïeb, adjointe au patrimoine (qui en temps normal a pourtant une action très bénéfique), que le projet est celui de l’Institut Curie. Si cela est vrai, ils sous-entendent ainsi que la Ville serait impuissante. Elle pourrait en réalité faire beaucoup pour sauver ce pavillon, lieu de mémoire essentiel pour l’histoire de la science, mais aussi pour la vie de la plus grande scientifique française : refuser le permis de démolir et demander la protection monument historique de cet ensemble, ce qui aurait dû être fait depuis longtemps. Elle en avait une nouvelle opportunité lors de ce Conseil de Paris en votant le vœu déposé par l’opposition municipale pour que la municipalité appuie la demande de classement. Même cela, Emmanuel Grégoire s’y est refusé, allant jusqu’à prétendre que ce vœu était ridicule et se cachant derrière de faux arguments pour soutenir cette démolition.

Il a diffusé un communiqué de l’Institut Curie multipliant les affirmations mensongères ou approximatives, ce que Baptiste Gianeselli a brillamment démontré sur Twitter :
 Marie Curie n’aurait jamais travaillé dans le pavillon des Sources ? C’est faux, et les informations proviennent notamment du site de l’Institut Curie.
 « Le Laboratoire de Marie Curie n’est pas voué à la destruction ». C’est faux puisque comme le confirme également le site de l’Institut Curie, le Laboratoire Curie était composé du Pavillon Curie et du pavillon des Sources. Il y avait en réalité plusieurs laboratoires, dont un se trouvait dans le pavillon des Sources.
- « Le lieu le plus emblématique de l’histoire scientifique de Marie Curie […] a été détruit ». C’est vrai [1], mais cela devrait renforcer encore la nécessité de protéger ce qui subsiste.
- « Le jardin n’est pas menacé ». On aimerait qu’on nous explique comment les lourds travaux qui vont être menés vont épargner les tilleuls plantés par Marie Curie juste à côté du pavillon.
- le projet permet le « maintien des arbres le long de la rue d’Ulm ». C’est faux, comme le dit l’expert mandaté par l’Institut Curie.

Nous conseillons à nos lecteurs de lire tout le fil Twitter de Baptiste Gianeselli consacré à ce communiqué, mais aussi plus largement de suivre son compte.


2. Vue du site concerné actuellement
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3. Vue du site concerné après destruction du pavillon des Sources et construction du nouveau bâtiment
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On y apprend également combien ce projet, outre la destruction du pavillon, va dénaturer complètement le lieu, puisque la construction viendra surélever le bâtiment Pasteur (ill. 2 et 3), et que la perspective sur le Panthéon (ill. 4 et 5) sera gravement altérée. Une fois de plus, on densifie Paris qui est déjà l’une des villes les plus denses du monde.


4. Vue actuelle sur le Panthéon
(à gauche, l’Institut Curie)
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5. Vue de la future perspective
sur le Panthéon
(à gauche, l’Institut Curie)
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La mairie de Paris est donc pleinement responsable de son inaction, et cela n’est guère étonnant quand on connaît sa politique patrimoniale et urbanistique qui fait disparaître chaque jour un peu plus notre capitale.
Mais la ministre de la Culture Rima Abdul Malak est également complice de ce méfait. Et elle prouve définitivement qu’elle est bien dans la lignée de la plupart de ses prédécesseurs qui ne s’intéressaient pas au patrimoine.

Parmi ses récents faits d’arme, nous pourrions citer notamment : la destruction de l’immeuble Art déco de Roger-Henri Expert (ill. 6), par le même Institut Curie qui vient d’avoir lieu (voir aussi cet article) et qu’elle aurait pu sauver grâce à une instance de classement (puis une protection définitive), les destructions dans le secteur sauvegardé de Bourges qu’elle laisse faire, tout en ayant soutenu la candidature de cette ville pour être capitale européenne de la Culture (alors même que tous ses musées sont fermés), son indifférence au sort du monastère de la Visitation à Paris, un dossier dont nous aurions dû parler et pour lequel combat l’association Sites & Monuments… Sans oublier son silence complice, voire son approbation, dans l’affaire des vitraux de Notre-Dame.
Rima Abdul Malak se prétend une grande féministe, et elle ne fait rien pour sauver un lieu de mémoire si important pour l’histoire des femmes. Peut-on imaginer une telle hypocrisie ? Que risque-t-elle à simplement faire son travail de ministre en charge du patrimoine ?


6. Le bâtiment Art déco de Roger-Henri Expert en cours de démolition (5/12/23)
Photo transmise par Baptiste Gianeselli
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7. Préparatifs de destruction du pavillon des Sources (23/12/23)
Photo tirée d’une vidéo
postée par Baptiste Gianeselli
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Les dernières nouvelles du pavillon des Sources sont très alarmistes : les travaux ont déjà commencé (ill. 7) pour préparer la destruction qui devrait avoir lieu, selon des sources très crédibles dont nous a informé Baptiste Gianeselli, la semaine prochaine. Entre Noël et le jour de l’an, ils doivent penser que c’est plus discret. Si la ministre de la Culture ne prend pas ses responsabilités, elle aura définitivement rejoint Anne Hidalgo et Emmanuel Grégoire dans le camp du vandalisme officiel.

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