Une (ultime ?) occasion de sauver le décor du Bar romain

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En 2011, nous avions publié une brève pour nous indigner de la vente d’un ensemble de treize peintures par Gustave Surand, qui formaient le décor du Bar romain, à côté de l’Olympia, après que ces œuvres furent arrachées de leur mur et remplacées par des photos (ill. 1). Ce vandalisme est d’ailleurs aujourd’hui toujours caché puisqu’un peu partout on parle encore du décor de Gustave Surand comme s’il était toujours en place. Même le site de Vivendi, désormais propriétaire, via l’Olympia, du restaurant qui s’appelle maintenant « Le Petit Olympia », parle du décor de Gustave Surand ! Est-il possible que cette société (qui n’est pas responsable de sa mutilation, survenue plusieurs années avant qu’elle ne l’achète) ne sache pas qu’il s’agit de reproductions ? Quant au Parisien, qui avait pourtant publié un article en 2011 pour dénoncer les faits (« Les tableaux du Bar romain : maintenant c’est du toc  »), il écrivait en 2018, à propos du rachat des lieux par l’Olympia que le Bar romain « doit son nom aux fresques à la gloire de Rome réalisées sur les murs par Gustave Surand, fresques qui lui valurent la même année le prix de… Rome ». Il ne s’agissait évidemment pas de fresques, mais de peintures sur toile, et désormais de photographies. On peut lire sur Tripadvisor ce type de commentaire : « Original et authentique du décor mural aux présentations des mets. » Si la nourriture est très certainement « originale et authentique », le décor ne l’est plus.


1. Décor du Bar romain avec les photographies des peintures originales (27 juillet 2011)
Photo : Didier Rykner
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Quelle n’a pas été notre surprise de constater que le vendredi 17 mars, la SVV Ader proposerait à la vente à l’hôtel Drouot (ill. 2) cet ensemble de treize toiles (ill. 3 à 6) qui devaient être adjugées une par une il y a douze ans. Manifestement, elles avaient été ravalées en raison des estimations excessives de l’époque [1]. Avaient-elles été ensuite cédées de gré à gré à celui qui les vend vendredi ? Ou est-ce l’ancien propriétaire des lieux qui tente de nouveau de s’en séparer ? Toujours est-il que désormais, cet ensemble qui avait surtout une grande valeur comme décor du restaurant n’a qu’une estimation assez modeste de 10 000 à 15 000 € pour le tout, les peintures étant fort heureusement réunies en un seul lot.


2. Exposition des treize tableaux de Gustave Surand, qui seront
vendus vendredi 17 mars à l’hôtel Drouot, salle 7, par la SVV Ader
Photo : Didier Rykner
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Nous avions à l’époque contacté la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d’Île-de-France pour l’informer de cette vente. Elle n’était pas au courant, et nous avait répondu qu’« une instance de classement sembl[ait] difficile à prendre et à défendre sur le plan juridique, les toiles ayant déjà été enlevées de leur emplacement d’origine ». Nous suggérions alors que le ministère de la Culture l’achète en attendant que la situation du restaurant change afin de garder une chance de remettre les œuvres en place et de protéger le décor en entier.
Bien entendu, le ministère de la Culture ne bougea pas.


3. Gustave Surand (1860-1937)
Souper de Tibère chez Sesstius Gallus, 1905
Huile sur toile - 110 x 136,5 cm
Faisait partie du décor démantelé du Bar romain à Paris
Photo : Ader
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Voici une nouvelle chance (une dernière ?) de pouvoir sauver ce morceau de patrimoine parisien. Nous avons contacté le restaurant, désormais propriété de Vivendi, donc de Vincent Bolloré, pour le prévenir, et l’inciter à acheter ces peintures afin de les remettre en place : le prix ne devrait pas être un problème pour lui ! À l’heure où nous publions cet article, personne ne nous a rappelé.


4. Gustave Surand (1860-1937)
La Bataille de l’Allia, 1905
Huile sur toile - 110 x 60 cm
Faisait partie du décor démantelé
du Bar romain à Paris
Photo : Ader
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5. Gustave Surand (1860-1937)
Deux Gladiateurs, 1905
Huile sur toile - 110 x 60 cm
Faisait partie du décor démantelé
du Bar romain à Paris
Photo : Ader
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Quatre solutions sont désormais possibles :

 soit l’Olympia acquiert ces œuvres et rend son intégrité au décor (ce qui est tout son intérêt, d’ailleurs, tant celui-ci constitue un argument commercial) ;
 soit, si celui-ci s’en moque, la Ville de Paris achète l’ensemble en attendant des jours meilleurs avec l’objectif à terme de le remettre en place ; nous appelons ici Karen Taïeb, l’élue en charge du patrimoine et l’une des seules qui s’y intéressent vraiment dans cette municipalité, à considérer cette option (ils pourraient, en attendant, être déposés au Musée Carnavalet),
 soit, si la Ville de Paris ne s’y intéresse pas, la DRAC Île-de-France se montre aujourd’hui plus efficace qu’elle ne l’était hier et l’État achète les toiles dans ce même objectif de les remettre un jour en place…
 soit personne ne fait rien, et ces toiles sont une nouvelle fois vendues avec le risque de les voir un jour dispersées sans aucun espoir de retour.


6. Gustave Surand (1860-1937)
Les Arènes sous Caligula, 1905
Huile sur toile - 110 x 136,5 cm
Faisait partie du décor démantelé du Bar romain à Paris
Photo : Ader
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Pour qu’une des trois premières solutions soit possible (la première étant indiscutablement la meilleure), il faudrait au moins que le ministère de la Culture s’y intéresse pour coordonner les efforts de tous les acteurs concernés, et d’autant plus si le reste du décor en place a depuis été inscrit monument historique comme l’affirme la page du site de Vivendi, que nous avons citée (nous n’avons néanmoins pas trouvé trace de la protection de ce décor dans la base de données Mérimée).
Quand on considère les montants en jeu par rapport à son importance patrimoniale, on se dit que le sauvetage de ce décor historique du Paris 1900 ne devrait pas être compliqué. Il faut juste un peu de volonté.

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