Le maire, le musée et Twitter

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Donald Trump est devenu un exemple des dangers de laisser un homme politique tweeter directement sans le contrôle de chargés de communication. Nous en avons décelé un deuxième en France, et il s’agit d’une affaire qui concerne les musées. Celle-ci est donc particulièrement instructive, raison pour laquelle je vais [1] ici même décrypter les tweets de Monsieur Jean-Pierre Gorges, député-maire de Chartres et candidat déclaré (mais qui n’a pas encore les parrainages nécessaires) à la Présidence de la République.

Pour justifier la fermeture du Musée des Beaux-Arts de Chartres, le maire de la ville donne au moins deux raisons. Aucune, bien entendu, n’est bonne.

Première explication donnée par le maire :

Faux, bien sûr : si le bâtiment est en mauvais état, et si certaines pièces sont condamnées depuis plusieurs années, le bâtiment ne s’écroule pas et les collections et les visiteurs ne sont pas en danger. Dans le cas contraire, une visite de la commission de sécurité aurait imposé la fermeture, ce qui n’est pas le cas. Le musée pouvait parfaitement continuer dans les mêmes conditions, d’autant que d’après le Conseil départemental, le bâtiment était encore laissé six mois à la disposition de la mairie, gratuitement (voir article de L’Écho Républicain de ce jour).

Faux, bien sûr : Pour le maire de Chartres, le mauvais état du palais épiscopal est dû à l’absence de travaux et d’entretien du Conseil départemental, propriétaire. Sauf que de 1914 à 2013, la ville de Chartres l’occupait avec un bail emphytéotique. Et le moindre étudiant en droit sait que le bail emphytéotique impose au locataire (dénommé l’emphytéote) les travaux d’entretien et de restauration. Jamais ce bâtiment, s’il avait été géré en bon père de famille par la ville de Chartres, n’aurait dû se trouver dans un tel état.

Ne sachant que répondre réellement sur la fermeture du musée, le maire de Chartres préfère s’attaquer aux journalistes qui font leur travail, en prétendant qu’ils ne sont pas venus et qu’ils ne connaissent pas le sujet. Le tweet qui suit vient après beaucoup d’autres où il répète la même chose : je ne serais pas venu au Musée des Beaux-Arts de Chartres et je ne lui aurais pas parlé.

Faux, bien sûr. Comme je l’écrivais dans mon premier article, le sort du Musée des Beaux-Arts de Chartres m’inquiète beaucoup, et depuis longtemps. En mai 2013, j’avais commencé une enquête et parlé, par téléphone, au maire de la ville. Jean-Pierre Gorges, comme je l’ai déjà dit, m’avait assuré que le musée « ne fermerait pas ». Ne le croyant pas sur parole, et le maire m’ayant alors invité à venir à Chartres « afin de voir le musée, les réserves, et de rencontrer toutes les personnes en charge du dossier », je suis entré en contact avec Madame Isabelle Vincent, adjointe à la Culture. Celle-ci m’a dit alors, par téléphone, le 17 janvier 2014 qu’elle était d’accord pour me rencontrer, mais pas avant le 1er avril (sic) « quand le récolement sera terminé ». Elle accepta néanmoins un rendez-vous téléphonique le mardi 21 janvier 2014. Rendez-vous téléphonique dont j’ai fait état dans mon premier article. Il était alors question, selon un article de L’Écho Républicain, d’installer dans le musée des Beaux-Arts, une annexe de la « Cosmetic Valley », projet fumeux autour du parfum. Mais Mme Vincent m’expliqua alors que rien n’était décidé et que le projet culturel du musée était en cours d’élaboration.
C’est dans ces conditions que je décidais de venir à Chartres le 7 janvier 2015 pour visiter le musée. La conservatrice - en accord avec la ville - m’y a reçu et m’a fait visiter tout le bâtiment, y compris les réserves.
Apprenant que le projet de Cosmetic Valley était finalement abandonné, et ayant pu constater de visu (contrairement à certaines informations) que les œuvres étaient présentées (même si elles l’étaient très mal), j’ai laissé de côté pour un temps le Musée des Beaux-Arts de Chartres. Et ce n’est qu’en apprenant la fermeture de ce musée (qui ne devait pas fermer) sans aucun projet concret de réouverture, que j’ai écrit mon premier article. Chacun peut décider si je connaissais le dossier ou non !

Non content de discréditer mon travail, le maire de Chartres - qui ose décidément tout - me donne quelques conseils qu’on pourrait interpréter comme de l’intimidation, voire pire…

Vous avez bien lu : Jean-Pierre Gorges, député-maire de Chartres et candidat à la Présidence de la République, répond à un journaliste qui l’interroge : « Occupez-vous de votre famille » !

Manifestement, Jean-Pierre Gorges oublie que Twitter est un mode d’expression public, et dérape un peu. Il nous donne aussi quelques perles, par exemple en m’accusant de me cacher derrière un pseudonyme :

Sans doute Le Figaro, Arrêt sur Images ou Mediapart se cachent-ils aussi sous des pseudonymes, c’est intolérable !

Et il m’accuse de le menacer. Parce que dire à un élu qu’on va enquêter sur sa politique patrimoniale, c’est une menace ?

Et quand il y a des « menaces », il contre-menace en indiquant qu’il va en informer la « commission nationale du patrimoine » (qui n’existe pas encore, qu’il créera peut-être quand il sera Président de la République pour s’occuper des « menaces »)

La vision de Jean-Pierre Gorges de la démocratie semble être : nous sommes élus, nous faisons ce que nous voulons. Et les élus locaux ont forcément raison. D’ailleurs, il sont élus ! C’est tout le sens de son programme présidentiel : « rendre le pouvoir de décider aux élus locaux qui ont fait leurs preuves » (voir cet article).

Mais revenons au Musée des Beaux-Arts. Que propose Jean-Pierre Gorges pour ses collections ? Là encore, on l’apprend sur Twitter.

À ceux qui s’interrogeraient sur ce qu’est un CCE, il s’agit d’un Centre de Conservation et d’Études, un nouveau concept créé par le ministère de la Culture pour conserver et étudier... les collections archéologiques. Il ne s’agit en aucun cas d’un lieu où l’on peut stocker des peintures ou des objets d’art qui nécessitent des conditions bien différentes de conservation. Pour en savoir plus sur les CCE, vous pouvez lire cette page sur le site du ministère de la Culture ou celle-ci sur le site de l’archéosite de Montans.
Ajoutons que prétendre exposer les œuvres du musée dans n’importe quel bâtiment, c’est faire fi de leur bonne conservation. On ne peut présenter des tableaux ou des œuvres d’art n’importe comment et n’importe où...
Par parenthèse, on voit que le maire se réclame de l’exemple des réserves du Louvre à Liévin. Il doit confondre réserves et CCE, et cela prouve une nouvelle fois le mauvais exemple donné par le musée parisien...

Nous pourrions continuer cette analyse de tweets presque indéfiniment puisque les échanges continuent encore aujourd’hui (n’hésitez pas à les suivre, c’est public !). Avec, tout de même, celui-ci, admirable, que nous ne résistons pas à mettre en conclusion [2] !

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