La vente du décor d’Henri Martin : un cas d’école

Nous avons parlé, ici-même, de la vente à venir, à Londres, le 25 juin, d’un décor entier d’Henri Martin, commandé à l’artiste en 1932 par la Chambre de commerce et d’industrie de Béziers.

Cette affaire condense tout ce qui menace, actuellement, le patrimoine français.

Une insuffisance de protection :

Cet ensemble n’était pas protégé au titre des monuments historiques. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, de très nombreux bâtiments et décors importants ne sont ni classés, ni inscrits. Ceci est particulièrement vrai pour le XIXe siècle et encore davantage pour le XXe. Ce malthusianisme est encouragé par le ministère de la Culture qui craint d’avoir à subventionner encore plus d’opérations de restaurations, alors que rien ne l’y oblige, même pour les monuments classés. Michel Clément, le directeur du patrimoine, lors d’un colloque consacré au patrimoine au Sénat, le 11 septembre 2007, expliquait qu’en France « l’essentiel de ce qu’il faut protéger est protégé », ce qui est une contre-vérité évidente (voir l’exemple récent du château d’Hardinguen).

Plus grave : si un propriétaire, même et surtout un propriétaire public comme une Chambre de commerce et d’industrie, s’oppose à la protection, l’administration des monuments historiques est à peu près sans arme, si l’on excepte l’instance de classement, une mesure très rarement mise en œuvre. Ainsi, ce décor d’Henri Martin n’a jamais été protégé même si tous les spécialistes s’accordent à dire qu’il aurait dû l’être.

Une législation complexe et incompréhensible même par ceux en charge de l’appliquer :

Aucune des personnes que j’ai consultées (qu’ils soient fonctionnaires du ministère de la Culture ou juristes) n’est capable de savoir si cette vente est légale ou non.
La Chambre de commerce et d’industrie étant un établissement public, une partie de son patrimoine est dans le domaine public, l’autre dans le domaine privé. Ce décor étant initialement immeuble par destination ou même par nature (encore un point peu précis) devrait faire partie du domaine public. Mais même cela n’est pas clair. Personne ne peut dire, actuellement, si la vente de ces décors était possible, ni dans quelles conditions. Il faudrait pour cela que l’affaire soit portée devant la justice.

Une législation inadaptée :

Lorsqu’elle n’est pas obscure, la législation n’est évidemment pas adaptée à ce genre de situations.

Même des objets mobiliers appartenant au domaine public d’un bâtiment public peuvent être vendus en catimini du moment qu’une procédure interne de sortie du domaine public a été respectée.

Un décor peut être démantelé, puis dispersé dans le bâtiment, puis vendu. C’est ce qui semble être le cas pour la Chambre de commerce et d’industrie de Béziers. Ainsi, un décor immobilier devenant mobilier (ceci est possible pour des boiseries ou des peintures murales sur toile) semble voir son statut changer, et d’inaliénable devenir aliénable ce qui est absolument ubuesque.

Demander au Musée d’Orsay (ou au Louvre) d’être le dernier garant d’un décor comme celui-ci n’a aucun sens [1].
Lorsqu’il s’agit d’objets vendus par des particuliers et ne provenant pas d’un ensemble historique, ce devrait être à l’Inspection des musées ou à un service équivalent de décider, en concertation avec les grands musées nationaux (dont Orsay), de l’intérêt ou non d’une œuvre pour les musées, et pas seulement pour les musées parisiens. Il faudrait pour cela des conservateurs disposant du temps nécessaire. On ne peut confier à un seul musée, qu’il s’agisse du Louvre ou d’Orsay, la défense du patrimoine car ils n’ont ni le temps, ni les moyens de mener cette mission de manière efficace.
Pour un décor, surtout public, jamais le Louvre ni Orsay ne devrait être consultés, car le démantèlement devrait en être simplement prohibé. L’interdiction de sortie du territoire ne peut avoir comme corollaire que l’achat par le mécénat pour affectation à un musée, ce qui n’aurait aucun sens dans un tel cas de figure.

Une législation non respectée :

Incompréhensible même par ceux chargés de la faire respecter, cette législation ne peut être respectée par les autres.
Un point semble clair, malgré tout : même si ce décor pouvait, selon les lois actuelles, être vendu (ce qui reste à démontrer), il aurait dû l’être via l’Administration des Domaines.

La démission de l’Etat :

Le sous-préfet a été mis au courant de cette affaire et a donné sa bénédiction, sans jamais informer les services de la DRAC ni leur demander leur avis. Avait-il le droit de le faire ? La procédure de sortie du domaine public a-t-elle été respectée ? Personne n’en sait rien.

Sûre de son bon droit et sans aucune conscience patrimoniale, la Chambre de commerce et d’industrie peut légitimement se targuer d’avoir reçu l’accord de l’Etat. Le ministère de la Culture semble avoir bien d’autres chats à fouetter que de s’intéresser à la protection du patrimoine. A notre connaissance, ces dernières années, aucun ministre de la Culture ne s’est inquiété publiquement du vandalisme permanent auquel notre pays est soumis.

Une solution pourrait pourtant être mise en œuvre de manière simple et peu coûteuse pour l’Etat : rendre inaliénable les décors et œuvres d’art importants appartenant à des collectivités ou à des établissements publics, en tant que tels et non parce qu’ils appartiennent au domaine public. L’Etat ne peut être à la fois garant de la protection du patrimoine et donner lui-même l’exemple inverse.

Il est dommage que, pour l’instant, aucune association de protection du patrimoine n’ait porté l’affaire devant la justice et que les grands médias ne se soient pas encore intéressés à ce cas pourtant exemplaire. L’expérience montre qu’une large médiatisation aboutit souvent à un dénouement heureux.

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