La loi qui impose des grilles autour du square Jean XXIII

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Pensez à signer la pétition, si vous ne l’avez pas déjà fait.

Grâce aux réseaux sociaux, certains internautes peuvent diffuser rapidement des informations capitales qui permettent de faire avancer les dossiers de protection du patrimoine. C’est ainsi qu’un compte Twitter qui préfère rester sous pseudonyme, @ondine_EA, a déniché une information extrêmement précieuse à propos de la propriété du jardin de l’Archevêché, aujourd’hui square Jean XXIII, menacé par le projet des abords porté par la mairie de Paris.


Plan des abords de Notre-Dame signé des architectes Prost, Lelong et Godde annexé au procès-verbal de remise par l’État à la Ville de Paris du jardin de l’Archevêché le 12 août 1842 (le texte de loi date de 1837, mais le transfert effectif ne fut fait qu’en 1842).
On voit que les grilles entouraient le square en rognant légèrement à l’est pour prolonger le pont avec la rue appelée plus tard quai de l’Archevêché.
Plus à l’est, une grande partie du square de l’Île-de-France et du Mémorial de la Déportation, gagnée sur le fleuve, n’existe pas encore.
Paris, Archives Nationales (F/19/7517).
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Cela nous a permis d’aller plus loin dans ce dossier en nous rendant aux Archives nationales à Pierrefitte, où nous avons trouvé sous la cote F/19/7517 tous les documents nécessaires qui confirment cette découverte : le terrain pour créer le square a été cédé par l’État à la Ville de Paris à titre gracieux, avec des conditions néanmoins très précises, dont la construction de grilles pour clore le lieu et ne l’ouvrir qu’à certaines heures.

Rappelons tout d’abord un peu d’histoire. À l’emplacement d’une partie de ce qui forme aujourd’hui le square Jean XXIII s’élevait depuis le Moyen Âge le palais épiscopal, devenu en 1622 archiépiscopal, qui fut remodelé à plusieurs époques (voir l’illustration). Le 29 juillet 1830 lors des Trois Glorieuses, puis le 13 février 1831 lors d’émeutes anticléricales, ce palais fut dévasté et en partie détruit. Dans une lettre datée du 1er décembre 1830, avant même que le palais ne soit à nouveau victime des émeutiers, le ministère de l’Instruction publique et des Cultes écrit au préfet pour constater que devant le coût de la remise en état, estimé à au moins 400 000 francs, il serait préférable « de convertir en promenade publique les terrains que la suppression de l’ancien palais laisserait vacant », ce qui serait « une bonne idée pour l’embellissement de cette partie de la ville ». Si l’éventualité de la reconstruction d’un palais épiscopal plus petit est évoquée, ce serait à condition de ne pas trouver d’autres lieu dans Paris pour le faire.

Dès sa séance du 30 juin 1831, « le conseil général du département de la Seine faisant fonction de conseil municipal de la ville de Paris » comme en fait foi le registre des procès-verbaux, dont un extrait se trouve dans ce dossier, envisage déjà que la municipalité se voit transférer la propriété des lieux pour y établir une promenade, en l’échange d’une contribution de 50 000 francs pour la construction d’une sacristie. Il n’est pas encore question de grilles mais on peut noter que la ville de Paris se refuse en revanche à « contribuer aux dépenses nécessaires à la restauration de Notre-Dame » comme lui demandait le gouvernement. Pas de doute, il s’agit bien de l’ancêtre de la mairie de Paris d’aujourd’hui !

Le projet n’aboutit pas pendant plusieurs années, les diverses administrations discutant de l’opportunité de construire sur une partie des terrains libres pour y créer trois rues. Dans un rapport daté du 3 novembre 1835, au Conseil d’administration de l’Enregistrement et des Domaines, on peut lire que le ministre des Cultes « rappelle que la proposition de concession des terrains à la Ville, faite par son prédécesseur en 1831, n’avait d’autre but que l’isolement et le dégagement complet de l’édifice, de manière à en laisser apercevoir de tous côtés la belle architecture ».
C’est aussi dans ce rapport, qui préconise la solution de ne rien construire et d’établir un jardin à la place de l’ancien archevêché, dès 1835 donc, qu’apparaissent deux des conditions à laquelle la Ville de Paris devra se conformer pour obtenir la propriété des terrains : « L’obligation de ne laisser établir, sur le terrain concédé, aucun marché, aucune foire aucun service public ou particulier, soit permanent, soit temporaire, à l’exception d’un corps de garde ou poste de sûreté, s’il est reconnu nécessaire pour le quartier & sans que le bâtiment puisse être adossé à celui de l’église, et qu’en cas de formation d’une promenade plantée d’arbres, elle soit close par une grille ouverte ou fermée à certaines heures ».

L’hypothèse de la cession à la ville de Paris - qui n’avait d’ailleurs jamais été vraiment abandonnée - et de l’établissement d’une promenade plantée revient donc sur le devant de la scène, et c’est celle-ci qui fera l’objet d’une loi. Mais avant cela, il était important que le Conseil municipal de Paris prenne ces engagements qui étaient la condition nécessaire du don à la ville par l’État de ces terrains.
Le 15 janvier 1836 donc, le Conseil Municipal de la Ville de Paris vote les dispositions suivantes que nous reprenons d’un extrait certifié conforme du procès-verbal de cette séance que l’on trouve dans le dossier F/19/7517. Nous citons in extenso les dispositions dans l’article 1 (il y en a quatre) votées par l’ancêtre du Conseil de Paris, qui n’ont aucune raison de ne plus être valables aujourd’hui, d’autant qu’elles ont été ensuite validées par une loi votée par le parlement (nous avons mis en gras les parties les plus importantes) :

« Il y a lieu d’obtenir par une loi la concession par le Domaine de la propriété pleine, entière incommutable des terrains dépendants de l’ancien Archevêché à la charge par la Ville de contribuer pour une somme fixe de 50 000 F à la dépense de construction d’une nouvelle sacristie de l’Église métropolitaine sans que sous aucun prétexte cette part fixe et contributive puisse être excédée à quelque somme que puisse s’élever la construction de la sacristie et des agencements, ornements et mobiliers accessoires.
2° d’établir et d’entretenir à ses frais sur les terrains concédés une promenade publique qui ne pourra être employée à aucun service public ou particulier soit permanent soit temporaire à l’exception d’un corps de garde, s’il est reconnu nécessaire sans que le bâtiment puisse être adossé à celui de l’Église.
et 3° de clore la promenade publique par une grille qui serait ouverte et fermée à certaines heures.
 »

Dans l’exposé des motifs par le ministre des Finances devant la chambre des députés, les engagements pris par la ville sont à nouveau répétés (« Elle s’engage en outre à faire clore la promenade à ses frais, par une grille qui serait ouverte ou fermée à certaines heures, et à n’y tolérer ni marché, ni aucun service public ou particulier, soit permanent, soit temporaire »). Intéressantes également sont les phrases suivantes : « Au moyen de ces conditions qui imposent à la ville des charges onéreuses, on ne pouvait pas exiger d’elle un prix de concession au profit du Trésor. L’intérêt fiscal n’est ici d’aucune importance et doit disparaître devant les conditions d’utilité générale sur lesquelles est fondée la demande du conseil municipal ». On aimerait que l’actuel ministre des Finances prenne modèle sur son prédécesseur de la Monarchie de Juillet et considère davantage l’intérêt général lors des cessions des propriétés de l’État. Il reste que l’engagement pris, notamment d’une grille, était clairement une des conditions de cette cession.

La loi fut finalement adoptée le 8 juin 1837. Elle ne possède qu’un article : « Il est fait cession à la Ville de Paris, sous les clauses et conditions acceptées par le conseil municipal dans sa délibération du 15 janvier 1836, des terrains qu’occupaient les bâtiments, cours et jardins de l’ancien palais archiépiscopal ». On constatera donc que les grilles entourant le square constituent un élément indissociable de son appartenance à la Ville de Paris, comme l’impossibilité d’y organiser quelque activité que ce soit, notamment des marchés, alors que ce point est explicitement contenu dans le document présenté à la DRAC : page 68, on lit en effet que le square Jean XXIII est « le lieu idéal pour installer des marchés ». C’est tellement peu un lieu idéal que cette installation est interdite par la loi à la suite d’un engagement pris par la Ville.

Il y a une chose en France qui s’appelle la continuité de l’État. Cette loi a été votée. Si elle n’a pas été expressément abolie à un moment ou à un autre, elle s’applique toujours, et les conditions qu’elle imposait s’imposent toujours, ce qui signifie qu’une nouvelle loi doit les abolir. Soit cette loi a été abolie (mais quand ?), soit elle ne l’a pas été. Et si elle l’a été, il reste les conditions du don qui constituent un engagement moral qui perdure, comme le vote du Conseil municipal engage également toujours la Ville de Paris qui, elle aussi est l’héritière des engagements pris au fil des années.

On sait dans bien des cas le peu d’empressement de la mairie actuelle à respecter la loi sans qu’elle y soit vraiment obligée par une décision judiciaire (voir récemment les banderoles s’opposant à la réforme des retraites dont l’illégalité a été reconnue par le tribunal administratif). Aux innombrables raisons pour lesquelles le projet des abords de Notre-Dame pourra être attaqué en justice par les associations s’en ajoute donc une nouvelle. À moins que le bon sens ne finisse par prévaloir.

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