L’étrange discours sur la Culture de Nicolas Sarkozy

De notoriété publique, le président de la République ne s’intéresse guère à la culture. Pire même, il semble avoir un peu de mépris pour celle-ci, comme en témoigne, de manière anecdotique, sa détestation de l’enseignement de La Princesse de Clèves à l’école ou, plus gravement, les baisses budgétaires et les réformes diverses du ministère contribuant à démanteler l’existant. Mais, il serait surprenant qu’un homme qui prétend tout régenter ne cherche pas, également, à marquer son passage, même dans un domaine qui lui est complètement étranger. C’est ce qui s’est passé hier, lors de son discours des « vœux au monde culturel », qui tenait davantage du programme électoral que de l’allocution de début d’année. On peut l’écouter ici. Il est un peu long, souvent très rébarbatif tant il est émaillé de digressions satisfaites et de leçons données à propos de tout et à tout le monde ; il mérite toutefois d’être analysé en détail. Nous ne parlerons ici, bien sûr, que des éléments intéressant les domaines couverts pas ce site.

400 millions par an pour le patrimoine ?

Où était Nicolas Sarkozy lors de l’élaboration des deux derniers budgets, le plus récent ayant été adopté il y a moins d’un mois ? On peut légitimement se le demander puisque ceux-ci entérinaient ce qu’il dénonce, la baisse dramatique des crédits consacrés à la restauration et à l’entretien du patrimoine monumental, pourtant déjà fortement mis à mal sous le précédent quinquennat. Malgré les cris de victoire du ministère de la Culture, les montants étaient notoirement insuffisants (voir brève du 22/12/08).
Depuis, 100 millions d’euros supplémentaires, dans le cadre du plan de relance, étaient décidés pour le ministère de la Culture (voir l’article). L’argent semblant désormais couler à flot, le président de la République annonce maintenant que, chaque année à partir de 2009 et jusqu’à la fin de son mandat, les monuments historiques bénéficieraient de 400 millions par an, somme que tous s’accordent, ministère comme associations, à considérer comme le minimum nécessaire. Il n’a d’ailleurs pas précisé si une partie des 100 millions du plan de relance viendraient s’y ajouter, ou s’ils étaient déjà inclus dans cette manne.
On pourrait, bien sûr, se féliciter d’une telle décision. Mais compte tenu des nombreuses désillusions du passé, on attendra prudemment que tout cela se traduise dans les faits. En septembre 2007, le président de la République déclarait déjà : « Il ne sert à rien d’être si fier de notre patrimoine français et de continuer à mégoter pour l’entretenir. » sans que rien ne change, bien au contraire.

Création d’un « musée de l’Histoire de France »

On ne sait d’où vient cette idée, mais il aurait été étonnant que Nicolas Sarkozy n’annonce pas, comme ses prédécesseurs, la création d’un grand projet. Malgré sa volonté de s’approprier le musée des Arts et des Civilisations de la Méditerranée de Marseille [1], on ne peut lui attribuer aucun de ces mastodontes culturels dont on sait qu’ils mobilisent une grande partie du budget du ministère de la Culture et limitent dramatiquement ses marges de manœuvre.
C’est désormais chose faite : le président de la République, nouveau Louis-Philippe, vient d’inventer le musée de l’Histoire de France. Il est dommage qu’aucun de ses conseillers ne lui ait signalé que celui-ci existait déjà à Versailles, et qu’il a bien besoin d’être remis à l’honneur comme le souhaite d’ailleurs le président du domaine Jean-Jacques Aillagon. Nicolas Sarkozy est : « fasciné par l’idée que la France est riche de ses musées d’art mais il n’y a aucun grand musée d’histoire digne de ce nom. » On ne peut lui en vouloir, la visite des musées n’étant manifestement pas son activité favorite. Il aura donc oublié, non seulement le musée de Versailles, mais aussi d’autres établissements comme le musée de l’Armée aux Invalides ou le musée d’Histoire de France (encore un) de l’Hôtel de Soubise à Paris. Pour ne rien dire, toujours dans la capitale, du musée Carnavalet et de dizaines d’autres musées partout en France...

Le programme est, bien sûr, pour le moment très flou, mais on peut déjà imaginer, à partir de son discours, de quoi il s’agira. Le président déclare qu’il veut « un lieu symbolique de l’Histoire de France ». Nous lui proposons Verdun. Ayant fait l’éloge – nous y reviendrons plus loin – des grands gestes architecturaux, indispensables pour qu’on se rappelle de lui après sa présidence, nul doute qu’il s’adressera à un Grand Architecte Français, proposons-lui Jean Nouvel pour le bâtiment et Jean-Michel Wilmotte pour l’aménagement intérieur. Enfin, parce qu’il faudra bien trouver des collections, allons jusqu’au bout de la pensée du président [2] : les musées nationaux pourraient être invités à déposer une partie de leur collection dans ce nouvel établissement, et on rééditera ainsi l’exploit du Louvre à Lens et la poursuite du démantèlement des collections nationales.

L’éloge du Louvre Abou Dhabi

Le président de la République a des notions de géographie quelque peu vacillantes. Il distingue les Emirats Arabes Unis d’Abou Dhabi [3], alors que le second fait partie des premiers. Mais c’est un détail. Il n’a par ailleurs, a-t-il dit « pas compris toute la polémique qu’il y a eu sur l’histoire du Louvre aux Emirats d’Arabes Unis (sic). ». Lorsque l’on suit ses arguments, qui se réduisent en réalité à un seul (le Louvre à Abou Dhabi permet l’ouverture des pays musulmans à la « modernité »), on constate effectivement que le vrai problème lui échappe. On lui conseillera modestement de se reporter à notre livre [4] où les différents enjeux et termes de ce débat sont repris d’une manière un peu moins simpliste. On retiendra néanmoins cette forte phrase : « Si nous sommes si fiers, du Louvre, il doit pouvoir résister à la confrontation avec une succursale à Abou Dhabi »...
Espérons par ailleurs que Christine Albanel ne retiendra pas le conseil de Nicolas Sarkozy : « Si Singapour […] pouvait faire la même chose, ce qui nous couvrirait la partie asiatique (sic), ce serait là aussi une excellente nouvelle. »

Le libéralisme appliqué à l’architecture

On l’a dit plus haut, Nicolas Sarkozy s’est montré passionné par l’architecture. Et dans le même discours, où il affirme qu’il faut mieux s’occuper du patrimoine, il regrette qu’on ait été « trop loin dans les règles, dans les cahiers des charges, dans les interdictions de tous les côtés, ce qui fait que maintenant la moindre association peut pour de très mauvaises raisons empêcher la réalisation de tous les projets » et s’affirme partisan d’ « alléger le droit de l’urbanisme ».
Il s’emmêle, d’ailleurs, une fois de plus, dans son argumentation, et dit tout et son contraire. On apprend ainsi qu’en raison de ces horribles lois, alors « qu’on voit dans tant de villes [étrangères] des projets architecturaux si magnifiques », « ces vingt dernières années, c’est un peu plus poussif dans notre pays (sic) ». Pourtant, toujours selon ses mots : « un pays jeune, qui reste jeune, c’est un pays qui doit oser et qui doit oser des gestes architecturaux comme la ville de Nîmes les pratique depuis vingt ans ». Il faut en conclure sans doute que cette ville est délibérément hors la loi, pour avoir réussi à faire ce que l’on ne peut plus faire en France légalement. S’exprimant à propos du bâtiment de Norman Foster à côté de la Maison Carrée, le chef de l’Etat explique d’ailleurs : « il n’y avait pas de quoi s’en choquer, s’en offusquer, et aujourd’hui ce bâtiment de Norman Forster est une évidence. Je me souviens, à l’époque, de tous les débats. ». Il se souvient bien mal, ou de manière très partielle. Ce qui était en cause à l’époque n’était pas le bâtiment de Foster en tant que tel, mais la destruction de ce qui était à la place de ce monument, à savoir une colonnade, seul vestige subsistant d’un théâtre du XIXe siècle, qui répondait bien plus harmonieusement au bâtiment romain qui lui fait face.

Dans le même ordre d’idée, le président s’est montré un farouche défenseur des tours, allant clairement encore plus loin que le maire de Paris, Bertrand Delanoë, puisqu’il a laissé entendre clairement qu’il n’y était pas opposé au cœur des villes… La confusion de ses arguments était d’ailleurs totale. Oser dire, pour s’en étonner : « Si vous allez à New York, est-ce que vous voyez un débat sur les tours ? » comme si Paris et New York partageaient la même histoire ou la même conception urbaine, cela laisse définitivement pantois. Il confond le débat (y en a-t-il même un ?) sur la densité, et celui sur les tours, semblant ignorer que ces dernières sont un type de construction qui n’est pas plus dense qu’un quartier haussmannien. « Je ne suis pas pour la densité, mais [on ne peut] résumer la qualité à l’absence de densité » se gausse-t-il. Et pour démontrer cette forte phrase que personne ne conteste, il assène : « On peut prendre même l’île Saint-Louis, de toutes petites rues et qui en fait pourtant l’un des quartiers les plus prisés de la capitale. »… Est-ce à dire que l’île Saint-Louis démontre que les tours, c’est bien ? Ou qu’il faudrait construire une tour sur l’île Saint-Louis ? Y a-t-il un rapport avec le débat actuel sur l’Hôtel Lambert situé sur l’île Saint-Louis ? Nous sommes intéressé par toute exégèse de cette partie du discours présidentiel.

On conclura cet article en soulignant deux autres mesures qui vont dans le bon sens si elles sont mises en œuvre. La première est la gratuité des musées nationaux pour les moins de 25 ans. Jusqu’à présent, ceux-ci ne l’étaient que pour les moins de 18 ans. On sait que l’expérimentation d’une gratuité totale n’avait pas été concluante. La réserver aux jeunes adultes est certainement une bonne chose [5] . La mesure sera étendue aux professeurs, ce qui est normal et n’est jamais qu’un retour à une pratique en place il y a quelques années.
La seconde est le souhait du président d’enlever toutes restrictions aux mesures sur le mécénat en faveur des monuments historiques privés comme publics, pour les entreprises comme pour les particuliers. Si cette mesure était réellement appliquée, ce serait évidemment une excellente chose. Associée aux 400 millions par an, cela formerait indéniablement un changement drastique de la politique malthusienne des monuments historiques jusqu’à aujourd’hui. On saluera donc ces intentions à leur juste mesure le jour où toutes elles se traduiront dans les faits.

Didier Rykner

Notes

[1« […] avec Christine Albanel, nous avons voulu que parmi les projets de cette législature, voit le jour un grand Musée des Arts et des Civilisations de la Méditerranée ». Ce musée très discutable qui est largement à l’origine de la destruction du Musée des Arts et Traditions Populaires est en réalité un projet initié sous le septennat de Jacques Chirac.

[2« J’aimerais qu’il y ait un musée de l’histoire de France … qui soit d’ailleurs peut-être une fédération des musées, des monuments qui travaillent en réseau, qui aura, bien sûr, un dépôt (sic) mais qui peut collaborer avec des grandes institutions étrangères ».

[3« Que les Emirats Arabes Unis, un pays de 5 millions, ou 6 millions d’habitants [il y en a en fait 4,6 millions], musulmans, ait l’ouverture d’esprit de demander au Louvre de s’ouvrir comme ils ont l’ouverture d’esprit à Abou Dhabi de faire le Guggenheim, mais c’est une excellente nouvelle. »

[4Didier Ryner, Le Spleen d’Apollon, Editions Nicolas Chaudun, Paris, 2008.

[5A condition évidemment que le manque à gagner pour les musées soit compensé budgétairement.

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