Alors que la Bibliothèque nationale de France a vécu, en août 2013, un départ de feu qui aurait pu s’avérer catastrophique (voir l’article), celle-ci doit désormais faire face à un risque de désengagement de la Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris. Il faut savoir que si le site de Tolbiac bénéficie de la présence permanente de pompiers (une contrainte inscrite dans le permis de construire), celui de Richelieu n’est pas soumis à cette obligation. Pourtant, et c’est heureux, l’établissement public a décidé d’avoir à demeure deux soldats du feu, une charge qui lui revient d’ailleurs puisque cette prestation de prévention est facturée par la BSPP.
Or, il y a un an, celle-ci a demandé à ne plus assurer de présence permanente sur le site Richelieu à compter de cet été. Elle considère en effet ne plus pouvoir faire face à cette mission, pour deux raisons principales : un sous-effectif conjugué à la sollicitation toujours plus grande de ses équipes due aux nombreux événements récents (une situation qui ne s’est probablement pas arrangée avec les gilets jaunes) et à la préparation des Jeux Olympiques 2024 qui implique un nombre de travaux toujours plus important en liaison avec les projets du Grand Paris. C’est, en tout cas, les raisons données pour cette demande de retrait. Il ne s’agit pas ici directement d’une question de budget, puisque la Bibliothèque nationale paie pour cette prestation, mais bien d’une insuffisance d’effectifs, c’est-à-dire de cadre d’emplois, l’État voulant limiter, même pour une fonction comme celle-ci, le nombre de ses fonctionnaires. Voilà donc une nouvelle pierre dans le jardin du gouvernement, qui n’en manque pas, et notamment cette fois du ministère de l’Intérieur qui joue le rôle de tutelle pour les sapeurs-pompiers.
La BnF semble avoir réussi à obtenir, de haute lutte, le maintien de ces deux pompiers, au moins jusqu’à la fin des travaux qui est prévue en 2020. Mais que se passera-t-il ensuite ? Nul n’en sait rien. Pour maintenir la sécurité des lieux (et cela semble plus nécessaire que jamais à la suite de l’exemple de Notre-Dame), la BnF devrait alors faire appel à des sociétés privées. Si des formations (le diplôme SSIAP, service de sécurité incendie et d’assistance à personnes) garantit, au moins pour le niveau 3, des compétences proches de celles des pompiers, cela pose plusieurs questions. D’une part la présence de pompiers à demeure, qui peuvent rester en poste longtemps et bien connaître le monument qu’ils sont en charge de protéger, est certainement plus sûre que la prise en charge de cette fonction par des agents privés dont le turn-over peut être beaucoup plus rapide. Ensuite parce que le coût en sera plus important pour la BnF. Enfin, est-il raisonnable de privatiser la sécurité de nos grands musées et monuments ?
Plus largement, cette affaire inquiète une nouvelle fois sur la question de la protection des grands lieux patrimoniaux français, quelques jours après l’incendie de la cathédrale : pourquoi n’y-a-t-il aucune obligation légale pour la présence permanente de pompiers sur le site Richelieu, alors que celui-ci conserve des collections inestimables et irremplaçables dont la perte serait une catastrophe encore bien plus grande que celle de la charpente et de la flèche de Notre-Dame ? En réalité, pour un musée ou un monument, seuls le caractère d’ERP (Établissement recevant du public) et un seuil de fréquentation rendent la présence obligatoire d’agents SSIAP. Comme pour les chantiers, la règlementation n’impose donc de tels agents qu’en fonction de la sécurité des personnes. En dehors des horaires d’ouverture au public, leur présence n’est pas requise sauf si la commission de sécurité l’impose. Jamais le caractère de monument historique n’est pris en compte.
Rares sont les autres lieux patrimoniaux majeurs qui disposent de pompiers à demeure. C’est le cas de Versailles, du Louvre et d’Orsay. Mais les cathédrales, pas même celle de Chartres, ne disposent d’aucun agent de sécurité incendie, et encore moins de pompiers. Seule Notre-Dame de Paris bénéficiait d’agents SSIAP, même s’il est clair qu’il y a eu des dysfonctionnements qui sont désormais en partie identifiés, notamment grâce aux révélations du Canard Enchaîné.
Alors que le drame de Notre-Dame devrait inciter l’État à s’assurer que celui-ci ne se renouvellera pas demain sur un autre grand monument en leur affectant des pompiers à demeure, on découvre donc que les Jeux Olympiques, qui menacent déjà la cathédrale d’une restauration trop rapide, vont en priver la Bibliothèque nationale ! Nous avons dénoncé depuis toujours cet événement sportif ruineux. Ses conséquences sur le patrimoine ne font que commencer...