Haroué : l’État a joué son rôle

1. Vue d’une pièce du château d’Haroué
Le portrait de Gérard à droite, qui fait partie de la vente, est
en instance de classement, celui de gauche (Louis XVIII)
appartient à l’État qui l’a laissé en dépôt
Photo : D. R.
Voir l´image dans sa page

La Tribune de l’Art n’est pas connue pour son indulgence envers le ministère de la Culture. Elle ne l’est pas davantage pour son hostilité au marché de l’art que nous avons soutenu dans bien des combats (ISF sur les œuvres d’art, TVA sur l’importation, etc.). Nous n’avons par ailleurs cessé de souligner les charges énormes (et qui ne cessent de croître) pesant sur les propriétaires de monuments historiques (voir notamment cet article). Mais le cas d’Haroué est tout à fait différent.
Si nous revenons, une nouvelle fois, sur cette affaire, c’est que nos deux précédents articles n’étaient pas complets, et qu’ils nous ont permis de découvrir combien les cris à la spoliation poussés par la princesse de Beauvau-Craon sont totalement injustifiés, pour ne pas dire plus.

En effet, nous indiquions précédemment que de nombreux objets du château avaient été acquis par l’État en 2007 (ill. 1) pour éviter leur dispersion, et laissés en dépôt sur place, mesure tout à fait exceptionnelle, voire unique. Nous avons pu obtenir, depuis, une information essentielle : ces objets ont été payés 3,5 millions d’euro ! Grâce à l’aide (encore) de l’État, à celui du Conseil général et du Conseil régional, les travaux sur le château pouvaient être financés à 90%. Certes, aucun accord formel n’avait été signé – c’est sans doute une erreur du ministère qui lui a fait confiance – mais il existait bien, tacite : en échange de cet achat qui ne privait pas le château de ses meubles, la princesse de Beauvau-Craon s’était engagée à consacrer cet argent à la restauration du château. Chaque année ou presque, des travaux ont été proposés par la DRAC. Combien de campagnes de restaurations ont-elles été lancées ? Aucune [1]. La princesse explique aujourd’hui qu’elle n’a pas les moyens d’entretenir le château et affirme notamment que le Conseil régional s’est retiré du financement des restaurations. Nous avons donc interrogé la région qui nous a répondu (voir le communiqué de presse) qu’entre 1998 et 2008, elle avait apporté plus de 524 000 € pour accompagner des travaux de restauration du château, pour la rénovation des intérieurs et de certains mobiliers. En 2008, explique le Conseil régional, « lors de la dernière attribution de subvention, la convention financière expliquait que [son] engagement [ne se faisait que] sous réserve de l’engagement du propriétaire à l’élaboration d’un projet d’animation et de développement du site, ainsi qu’à la programmation d’une opération d’inventaire pour établir un document scientifique et public répertoriant le patrimoine architectural et mobilier du château ». Le communiqué souligne que « Le Service Régional de l’Inventaire n’a jamais pu exercer sa mission en dépit de la convention signée par Mme la princesse ». Le Conseil régional conclut en soulignant qu’il ne s’est aucunement retiré, contrairement à ce qu’elle prétend.
Malgré tous nos efforts, nous n’avons eu aucune réponse à nos questions de la part de la châtelaine. L’entendre dire que la vente du 15 juin devait servir à la restauration de son château, l’entendre crier à la spoliation dans la presse a donc quelque chose d’un peu insupportable. Quant à ses protestations de patriotisme, sous prétexte que la vente a lieu par l’intermédiaire d’un commissaire-priseur français, elles sont simplement grotesques. Comme nous l’avions déjà dit, ni l’État, ni les collectivités locales, ni les musées n’ont été informés de la vente aux enchères avant que la demande du certificat d’exportation pour l’épée ne soit faite.

Le mobilier conservé à Haroué comprend la chambre de Mme du Cayla, la salle à manger, le billard, le salon, un cabinet gothique (acquis par l’État), ainsi qu’une pendule de ce même cabinet. Il s’agit d’un ensemble réalisé au début des années 1820, essentiellement par l’ébéniste Bellangé [2] qui n’a aucun équivalent. D’origine quasi royale, il a été commandé par Louis XVIII pour sa favorite. Il reste très peu de choses de l’époque Restauration, à l’exception du mobilier des Tuileries aujourd’hui conservé au Louvre, également par Bellangé.
Non seulement la vente prive Haroué d’un mobilier qu’il conserve depuis le XIXe siècle, mais elle va disperser un ensemble rare et cohérent. Le mobilier de la chambre est en effet vendu en plusieurs lots, et le lit et la psyché restent au château. Or, on trouve dans la vente les sièges venant de la chambre, mais sans le lit et le psyché !


2. Adèle Hogue( (1786-après 1839)
La comtesse du Cayla
Porcelaine peinte - 16 x 12,4 cm
Fait partie de la vente, en instance de
classement monument historique
Photo : SVV Rémy Le Fur
Voir l´image dans sa page
3. Attribué à André-Antoine Ravrio (1759-1814)
Lustre
Bronze doré, verre - 138 x 93 cm
Fait partie de la vente, en instance de
classement monument historique
Photo : SVV Rémy Le Fur
Voir l´image dans sa page

L’instance de classement porte sur une grande partie des œuvres provenant du château de Saint-Ouen, qui sont venues meubler Haroué au XIXe siècle :

 le Portrait de Zoé Victoire Talon, comtesse Baschi du Cayla et ses enfants dans le parc de Saint-Ouen (ill. 2), par François Gérard (lot n° 31),
 une plaque en porcelaine polychrome représentant le comtesse du Cayla par Adèle Hoguer (ill. 3), daté de 1819 (lot n° 32),
 le mobilier du Salon jaune de Bellangé (lots n° 35 à 36),
 un lustre attribué à Ravrio (lot n° 37),
 trois paires de candélabres et une paire de torchères par Thomire (lots n° 41 à 44),
 une garniture de cheminée : pendule et deux vases en malachite (lots n° 45 à 46).

Résumons : encaisser un très gros chèque de l’État pour un mobilier qui reste en place [3], ne pas utiliser cet argent pour faire des restaurations, puis vendre sans prévenir personne une partie du mobilier restant, en séparant des éléments, c’est évidemment légal, c’est évidemment le droit de la princesse, mais c’est extrêmement discutable moralement. L’État a beaucoup fait pour le château (rappelons également la dation des tapisseries, qui y sont toujours présentées) et il est parfaitement en droit de classer une partie du mobilier monument historique [4], sans qu’on puisse une seule seconde crier à la « spoliation ».
La Demeure Historique, qui joue le rôle d’un syndicat des propriétaires de monuments, soutient à ce titre la princesse de Beauvau-Craon. Nous avons pu parler avec son président, Jean de Lambertye, qui nous a assuré ne pas méconnaître la situation. Nous pensons qu’il s’agit ici d’un mauvais combat.

Didier Rykner

Notes

[1Signalons en 2007/2008 une opération de restauration de façades qui semble avoir été lancé avant la vente.

[2À l’exception notamment du cabinet gothique, daté de 1825 et dessinée par l’architecte Huvé, également auteur du château de Saint-Ouen.

[3Signalons que la vente propose une aquarelle de Gérard représentant Louis XVIII à son cabinet de travail. La notice explique que « le tableau est accroché aujourd’hui au château d’Haroué », oubliant soigneusement de préciser que ce tableau est propriété de l’État, qui l’a acheté et l’a laissé en place.

[4Il est même dommage que la ministre n’ait pas signé l’instance de classement, qui lui était proposée, sur le reste du mobilier d’Haroué, comme cela était également suggéré par ses services.

Mots-clés

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.