Accablant. C’est le premier mot qui vient à l’esprit en sortant de l’exposition « Le château de Versailles en 100 chefs-d’œuvre » renommée « Arras vous fait la cour » (on appréciera le jeu de mot...) que présente jusqu’au 20 mars 2016 (un an et demi !) le Musée des Beaux-Arts d’Arras. Penser que des conservateurs (dont le premier rôle, rappelons-le, est de conserver les œuvres d’art qui leur sont confiées) ont osé déplacer les Bains d’Apollon (voir cet article, et celui-ci) mais aussi la Latone des frères Marsy, œuvres de marbre à l’origine immeubles par destination, pour les exhiber dans cette présentation ridicule et vaine, est désespérant [1].
- 1. Une salle de l’exposition « Arras vous fait la cour »...
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
- 2. Les Bains d’Apollon dans l’exposition « Arras vous fait la cour »
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Le muséographe Frédéric Beauclair, qui est capable du meilleur (voir par exemple la précédente exposition du partenariat Versailles/Arras) donne ici le pire (ill. 1), à deux ou trois salles près. Mais comment le lui reprocher quand, clairement, il répond à une commande du genre : « il faut faire du spectaculaire, du ludique, de la mise en contexte ! ». Donc, il a mis en contexte, il a fait du ludique, du spectaculaire. Perchée sur son socle, la Latone est environnée par des vidéos de chutes d’eau et, parce que ça ne suffisait pas, on entend aussi de l’eau qui coule (voir la vidéo ci-dessous) ! C’est frais, c’est champêtre. C’est très bête.
La Latone des frères Marsy dans l’exposition d... par latribunedelart
Les Bains d’Apollon sont, eux, sobrement présentés sous vitrine, se demandant ce qu’ils font là (ill. 2). Ils ne se doutent pas encore de ce qui les attend dans un an (ou plus, il paraît que le chantier prendrait du retard) à Abu Dhabi. Les chevaux du Soleil sont absents eux, mais ont une entrée dans le catalogue : on apprend qu’ils remplaceront Apollon et les Nymphes quand ceux-ci partiront dans les émirats.
Tout est à l’avenant, ici un bureau, là une horloge, parfois mis en scène, parfois même dans une scénographie qui fonctionne comme au tout début avec une évocation de l’escalier des Ambassadeurs à l’aide d’agrandissements de gravures (ill. 3). Mais à quoi bon ? À quoi bon présenter 100 chefs-d’œuvre de Versailles hors de Versailles si on ne leur fait rien dire, si leur réunion ne fait rien découvrir et n’apprend rien ? On est là dans le degré zéro de l’exposition. À ce compte, les conservateurs menés par Béatrix Saule creusent leur propre tombe : ils démontrent de façon éclatante qu’en laissant faire cela, ils ne servent plus à rien. N’importe qui peut prendre cent œuvres de Versailles, les inclure dans une scénographie ludique, faire un catalogue qui n’apportera rien (comme quoi les notices sont nécessaires mais non suffisantes).
- 3. Évocation de l’escalier des Ambassadeurs dans l’exposition
« Arras vous fait la cour »
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
- 4. Évocation du Labyrinthe dans l’exposition
« Arras vous fait la cour »
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
On se rabattra donc, pour sauver quelque chose, sur le plaisir qu’il y a à voir plusieurs sculptures en plomb du Labyrinthe dont la mise en scène est pour une fois assez évocatrice (ill. 4). Mais si cette exposition est l’occasion de les admirer, cela rappelle aussi qu’ils sont d’habitude à peu près invisibles comme de nombreuses sculptures déposées et stockées dans les petites écuries. Plutôt que de se prêter à de telles pantalonnades, Versailles devrait plutôt s’occuper de mettre en valeur ses collections dans le château lui même. Plutôt que de se prêter à des reconstitutions douteuses qui touchent désormais aujourd’hui même les intérieurs (on est en train de refaire un « lit de Louis XVI » même pas à partir de gravures, mais en se basant sur la description contenue dans un inventaire !), Versailles devrait simplement faire son travail de conservation et de mise en valeur.
Au moins a-t-on appris, au cours de ce voyage de presse, une bonne nouvelle : la précédente exposition, sur les carrosses, que nous avions, elle, plutôt aimée, aura une suite vertueuse puisque la libération par le Louvre d’une aile des Grandes Écuries devrait bientôt permettre un redéploiement des collections de voiture de Versailles et une plus grande ouverture au public. Mais que peut-on attendre de cette nouvelle exposition arrageoise ? Davantage de visiteurs encore pour le château, alors que celui-ci meurt à petit feu du trop grand nombre de touristes ?
Quant à Arras, qui dépense avec l’aide de la région des millions d’euros [2] pour ce partenariat avec Versailles, l’apport à long terme est totalement nul, le projet d’agrandissement du musée dans l’Abbaye Saint-Vaast étant reporté sine die. Tout cet argent dépensé pour rien, dans un projet temporaire et inutile, quand le permanent est laissé de côté, quelle meilleure allégorie finalement des projets muséographiques voulus par Daniel Percheron [3], que l’on ose célébrer comme traduisant une politique culturelle et ambitieuse ?
Sous la direction de Béatrix Saule, Hélène Delalex et Anne Esnault, Le château de Versailles en cent chefs-d’œuvre, 2014, SilavanaEditoriale, 216 p., 20 €. ISBN : 9788836628926.
Informations pratiques : Musée des Beaux-Arts, 22, rue Paul Doumer, 62000 Arras. Tél : 00 33 (0)3 21 71 26 43. Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 11 h à 18 h. Les samedis et dimanches de 10 h à 18 h 30. Tarifs : 7,5 € (réduit : 5 €).