Communiqué de la FFT sur Roland-Garros : la propagande contre les faits

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Les Serres d’Auteuil
Photo : Liné1 (CC BY-SA 3.0)
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Après la dernière décision du tribunal administratif suspendant les travaux sur les Serres d’Auteuil (voir la brève du 24/3/16), si la Ville de Paris, toujours prompte à dégainer un communiqué, semble s’être abstenue, la Fédération Française de Tennis (FFT) a au contraire rapidement publié un texte. Celui-ci est un petit chef-d’œuvre de propagande, que nous nous faisons un plaisir de décrypter ici.

 Quand la FFT affirme avoir « l’accord unanime de toutes les instances officielles consultées dans le cadre de l’instruction du permis de construire, dans lesquelles siégeaient nombre de personnes qualifiées et d’experts en matière d’environnement », elle raconte n’importe quoi. Elle tend à faire croire ainsi que les spécialistes de l’environnement s’accordent tous à accepter ce projet. C’est évidemment faux :

* la Commission supérieure des sites n’y est pas favorable, notamment ses personnes qualifiées, mais on ne lui demande pas son avis (voir notre brève du 10/3/15),
* la Commission nationale des monuments historiques n’y est pas favorable, notamment ses « personnes qualifiées », mais on ne lui demande pas son avis (voir notre brève du 15/6/15),
* la Commission du Vieux Paris, où siègent nombre de « personnes qualifiées », n’y est pas favorable, mais on ne lui demande pas son avis (voir notamment notre brève du 27/1/11),
* l’ICOMOS Paysage, plus haute instance internationale de protection du patrimoine et du paysage, qui dépend de l’UNESCO, y est opposée, mais on ne lui demande pas son avis (voir notre brève du 2/1/12).

 Quand la FFT affirme que « les Serres historiques de Jean-Camille Formigé ne seront pas détruites mais entièrement préservées », elle raconte n’importe quoi. Car d’une part, personne n’a jamais prétendu que ce qu’elle appelle les « Serres historiques » (c’est-à-dire les grandes serres) seraient détruites ; ensuite parce que dire qu’elles seront entièrement préservées, alors qu’on construira à quelques dizaines de mètres une enceinte sportive de la même taille, est une vue de l’esprit ; enfin parce qu’au sens strict, les serres chaudes qui vont être démolies pour faire face à ce gigantesque court de tennis sont « historiques » et sont « de Jean-Camille Formigé » qui les dessine dans son plan et qui étaient là à l’origine, même si elle ont été en grande partie rénovées depuis.

 Quand la FFT affirme que « le jardin qui jouxte le périphérique sera embelli par ce nouvel équipement conçu par Marc Mimram », elle raconte n’importe quoi. [Correction faite le 28 mars [1].] Affirmer qu’il sera « embelli » par le nouvel aménagement fait rire (jaune) tous les amoureux des Serres d’Auteuil.

 Quand la FFT affirme que « ces nouvelles serres participeront de l’indispensable rénovation du Jardin botanique de Paris. », elle raconte n’importe quoi. Car le Jardin botanique de Paris n’a pas besoin d’une soi-disant « indispensable rénovation », ce que tous ceux qui le connaissaient avant le début des travaux savent parfaitement. Et encore moins de « nouvelles serres » qui seraient accolées à un grand court de tennis.

 Quand la FFT affirme que « dans un contexte ou l’argent public se fait rare, elle finance à 95 % la rénovation du stade Roland-Garros, grâce aux revenus du tournoi », elle raconte n’importe quoi. Et c’est la FFT elle même qui le dit ailleurs, sur son site consacré à la « concertation » où on lit que que « 88% de l’investissement est supporté par la FFT ». Celle-ci est vraiment fâchée avec les chiffres, puisque dans le même paragraphe du communiqué de presse elle explique qu’elle financera « 233 des 273 millions d’euros prévus ». Ce qui représente exactement 85,3%. Pas 88%. Encore moins 95%. Ajoutons que le coût global de 273 millions (qu’elle date de 2015) est en réalité beaucoup plus élevé : en décembre 2012, L’Équipe, peu suspect d’hostilité envers la FFT, parle de 340 millions d’euros, et en mai 2015 Les Échos évoquent 350 à 400 millions d’euros), on comprend que se fier aux chiffres donnés par la FFT, c’est un peu comme croire au Père Noël.
Ajoutons qu’on peut, inversement, rappeler - ce sont les chiffres que la FFT donne sur son propre site dédié à la « concertation » - que ce projet va coûter 40 millions d’euros au contribuable. Et que ce chiffre se base sur celui d’un coût total de 273 M€, dont nous venons de voir qu’il est faux, et qu’il faut ajouter par ailleurs que l’emprunt de la FFT (148 M€) est garanti pour 74 M€ par la Mairie de Paris. Compte-tenu de la faiblesse en calcul de la FFT, c’est un peu inquiétant…

 Quand la FFT affirme que Roland-Garros « génère chaque année près de 300 M€ de retombées économiques (Source Etude BIPE 2013) », elle raconte n’importe quoi, ou plutôt elle fait un amalgame. Pas uniquement parce qu’elle ne retient de cette étude BIPE que ce qui l’arrange - dans cette même étude, on lit que le coût du projet est de 340 millions, pas de 273 millions - mais aussi parce qu’elle les interprète à sa sauce. Ce rapport du BIPE explique effectivement que le PIB généré par Roland-Garros serait de 277 millions d’euros (« près de 300 M€ ») par an pour la région parisienne. Mais il s’agit bien du tournoi. Pas du résultat de l’agrandissement, lequel n’est d’ailleurs pas contesté par les associations qui ont proposé une alternative. Cet amalgame permet de faire croire que l’opposition des associations au projet menacerait « près de 300 M€ » de retombée financière pour Paris. Même si chiffre était vrai [2], cela n’a rien à voir avec l’agrandissement sur les Serres d’Auteuil.

 Quand la FFT « déplore profondément que les opposants au projet s’entêtent à proposer des alternatives qui se sont avérées de fausses bonnes idées d’un point de vue opérationnel, juridique, environnemental, lesquelles sont de toutes façons disqualifiées en raison de surcoûts exorbitants impossible à financer », elle raconte n’importe quoi. Nous renvoyons à nos articles qui démontrent que cette alternative (il n’y en a qu’une, en réalité, avec des variantes) est à la fois opérationnelle, sûre juridiquement et bien davantage protectrice de l’environnement, et que le rapport commandé par la FFT pour analyser ces alternatives était discrédité par des conflits d’intérêts et partial.

 Quand la FFT ajoute que « tous les débats d’experts et toutes les études ont démontré que la création d’une continuité nouvelle entre le site de Roland-Garros et le Bois de Boulogne serait inacceptable pour tous les défenseurs du Bois et en particulier pour les services de l’État en charge de sa préservation », elle raconte n’importe quoi, comme nos articles déjà cités le démontrent. Surtout, on s’amusera de voir que la FFT craint que ce contre-projet soit inacceptable pour les associations qui le proposent et qui s’opposent à son projet, et qu’elle craint aussi que les services de l’État en charge de la préservation du patrimoine et des sites puissent s’opposer à un tel projet lorsqu’ils n’ont absolument rien à lui refuser, même pas le bétonnage du site classé du jardin des Serres d’Auteuil.

 Quand la FFT met en balance la candidature aux Jeux Olympiques, sous-entendant que l’annulation du projet de Roland-Garros la mettrait en péril, elle raconte n’importe quoi. Aucune des trois autres villes candidates ne dispose d’installations capable d’accueillir un tournoi du grand chelem et Roland-Garros dans sa configuration actuelle dépasse les exigences demandées par le Comité International Olympique pour l’épreuve de tennis.

 Quand la FFT prétend que « depuis plus de 10 ans, [elle] s’est attachée à étudier toutes les options possibles pour la modernisation de son stade et ce dans un esprit de concertation souligné comme exemplaire par l’enquête publique », elle raconte n’importe quoi comme l’historique de ce projet le prouve amplement. Quant au sérieux qu’il faut accorder à l’enquête publique, menée - c’est le principe - par un enquêteur unique, nous l’avons analysé dans cet article auquel nous renvoyons le lecteur.

 Quand la FFT proclame que son projet a pu « franchir toutes les étapes politiques et administratives préalables à sa réalisation », elle raconte n’importe quoi. Sauf pour l’aspect politique, puisque c’est bien des décisions politiques successives, la dernière étant l’intervention de Manuel Valls en lieu et place de la ministre de l’Écologie Ségolène Royal, qui a permis au projet d’obtenir les permis de construire.

Bref, du début à la fin de ce communiqué, la FFT raconte n’importe quoi. Seul point avéré : « la FFT vient évidemment de se pourvoir en cassation à l’encontre de cette décision ». Là, rien à dire, c’est un fait. La FFT s’obstine, encore et toujours. Qu’elle change d’avis nous aurait étonné. Il faut toujours croire les vieux adages.

Didier Rykner

Notes

[1Nous avons fait une erreur en écrivant dans un premier temps que le jardin des Serres d’Auteuil n’était pas contigu au périphérique. Il l’est bien, à l’est, et nous avions confondu l’autoroute et le périphérique. Ne voulant pas raconter n’importe quoi, comme le fait la FFT, nous reconnaissons et corrigeons notre erreur. On attend encore que la FFT reconnaisse les siennes...

[2On sait que les études officielles ont toujours tendance à exagérer beaucoup les retombées financières des événements sportifs.

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