A quoi sert la législation des monuments historiques ? (1) : le château d’Ancenis

1. Château d’Ancenis
Porte fortifiée du XVe siècle
Photo : D. R.
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La législation française de protection des monuments historiques, malgré les attaques qu’elle a subies récemment, permettrait encore de protéger de manière efficace notre patrimoine si elle était mise en application à chaque fois qu’elle s’avère nécessaire. Nous entamons avec cet article une nouvelle série qui se penchera, hélas, sur les nombreux cas où un monument subit ou risque de subir un vandalisme que l’on pourrait éviter simplement si le ministère de la Culture et ses directions régionales jouaient leur rôle de manière efficace.

Le château d’Ancenis en Loire-Atlantique, menacé par une construction moderne et particulièrement inélégante qui doit abriter les services administratifs décentralisés du Conseil général, est un exemple presque caricatural de cette démission de l’administration. Cas d’école s’il en est, car tout ou presque est scandaleux dans cette affaire entièrement menée par une municipalité, par un département, par un architecte en chef des monuments historiques – on verra comment – et par l’Etat, représenté par l’architecte des bâtiments de France et la DRAC. Soit uniquement des collectivités territoriales et des fonctionnaires qui devraient avoir pour seul objectif l’intérêt public. Rarement le terme de vandalisme officiel aura été mieux employé.

Situé non loin de Nantes, aux Marches de Bretagne, le château d’Ancenis fut construit en 984, époque dont il conserve encore quelques témoignages. Tel qu’il est parvenu jusqu’à nous, l’édifice possède une grande porte fortifiée du XVe siècle (ill. 1) dont le système de défense est unique en France (pont-levis couvert disposé en chicane, galerie voutée, coudée, avec herse), des vestiges de l’enceinte médiévale (ill. 2) et une tour de guet, également du XVe siècle (ill. 3), un logis Renaissance du XVIe siècle (ill. 4), une chapelle du XVIIe et un pavillon, dit de Marie Fouquet, du XVIIe siècle. L’ensemble (façades et toitures) des bâtiments et les restes de l’enceinte ont été classés monument historique en 1977.


2. Château d’Ancenis
Vestiges de l’enceinte médiévale
Photo : D. R.
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3. Château d’Ancenis
Tour du XVe siècle
Photo : D. R.
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4. Château d’Ancenis
Logis Renaissance du XVIe siècle
Le bâtiment administratif sera construit
perpendiculairement à cinq mètres de ce monument
Photo : D. R.
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Le principe même de la construction d’un bâtiment administratif moderne au sein d’un monument historique classé défie le bon sens. On ne comprend pas qu’un concours ait pu être organisé en ce sens, avec la partipation au jury de l’architecte des bâtiments de France et du conservateur régional. On comprend encore moins que l’architecte en chef des monuments historiques, qui travaillait depuis plusieurs années sur ce site et le connaissait mieux que quiconque, ait été autorisé à concourir. Et l’on ne comprend plus du tout que son projet [1] (ill. 5), d’une médiocrité insigne, ait pu gagner ce concours.
Le rôle des architectes des bâtiments de France, nous l’avons souvent dit, est essentiel. Encore faut-il qu’ils fassent leur travail. Certains s’en chargent avec conscience comme Marc Alibert, aujourd’hui à la retraite, qui était encore l’année dernière en charge d’Ancenis. Il avait expressément refusé de valider l’autorisation malgré les pressions subies et c’est son chef de service, membre du jury, qui l’avait signé.


5. Pascal Prunet et Xavier Ménard
Projet de bâtiment du Conseil général
dans la cour du château d’Ancenis
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Le nouveau bâtiment doit être édifié à quelques mètres du logis Renaissance et en retour d’équerre [2] (ill. 5). Le maire de la ville, Jean-Michel Tobie, est à l’origine de cette brillante idée qu’il défend maintenant bec et ongles. Une pétition contre ce projet a recueilli au moins 4000 signatures dont celles de 3000 habitants d’Ancenis, pour une population totale d’environ 8000 [3]. Si l’on peut légitimement espérer que la fuite en avant du maire se paiera aux prochaines élections, il pourrait hélas être trop tard pour le château.
Les arguments employés par la mairie sont grotesques. Sur son site on peut en effet lire qu’il s’agit d’un projet de « valorisation du château » (sic) et que « le projet architectural retenu se veut discret et fait la part belle à des matériaux comme le bois et le schiste très utilisés dans les siècles passés. » Nul doute que bientôt les touristes se précipiteront pour visiter le magnifique bâtiment de Pascal Prunet. Celui-ci d’ailleurs « contribuera à l’animation du site et offrira, grâce à ses toits en terrasse sur lesquels le public pourra cheminer, une vision panoramique sur l’ensemble du lieu. » Autrement dit, de son toit, on ne verra pas ce bâtiment, ce qui est incontestablement une raison de le construire. Comme le soulignent les opposants au projet, on se demande comment un bâtiment administratif qui en semaine se videra entre 16h et 17 h et sera déserté le week-end, pourra animer le site ou même « revitaliser le centre-ville » comme il l’aurait également déclaré à la presse.
Un autre argument très fort - les opposants n’en manquent pas - est la candidature des Marches de Bretagne à un classement au patrimoine mondial de l’UNESCO. Vingt-et-une villes sont concernées, dont Ancenis. On imagine mal qu’un tel projet ne réduise pas définitivement à zéro les chances de cette ville et qu’il ne risque pas même de compromettre le dossier tout entier. Le principal promoteur du classement à l’UNESCO n’est pourtant autre que Patrick Mareschal, président du Conseil général, qui bénéficiera du nouveau bâtiment et qui le soutient même si, comme il l’a affirmé à Ouest-France, il n’était pas demandeur [4]].

Ouest-France toujours, dans son édition du 19 mai, nous apprend que lundi 17 mai, la majorité municipale d’Ancenis a voté pour le déclassement du domaine public d’une partie de la cour du château, ce qui serait une étape nécessaire à la construction du conseil général. Mais ce même article indique que le maire attend l’avis de l’Etat sur ce dossier avant de signer ou non le permis de construire. Moralité : le sort du château d’Ancenis est désormais, face à l’entêtement irresponsable de la ville, entre les mains du ministre de la Culture. Celui-ci a prouvé récemment qu’il savait s’opposer au vandalisme (voir notamment notre brève du 22/4/10 sur l’escalier de la Bibliothèque nationale). Espérons qu’il prendra ici la seule décision qui s’impose, faute de quoi on pourra vraiment se demander à quoi sert le ministère de la Culture [5].

English version

Didier Rykner

Notes

[1Pascal Prunet était pour l’occasion associé à Xavier Ménard.

[2A cet emplacement se trouvait un lycée construit dans les années 1960, donc avant le classement, et récemment détruit.

[3La pétition a été mise en ligne ici, mais sans aucune publicité si bien que sur Internet elle n’a pour l’instant que 31 signataires. Nul doute que les lecteurs de La Tribune de l’Art voudront se joindre à la protestation.

[4« Quand le Département de Loire-Atlantique a sollicité la Ville d’Ancenis pour regrouper ses services administratifs décentralisés, celle-ci a insisté pour que les bureaux soient construits dans l’enceinte du château. Nous n’étions pas demandeurs », déclaration faite à Ouest-France, 21 avril 2010.

[5La DRAC, que nous avions appelée en octobre 2009, nous avait dit que l’affaire ne relevait pas d’elle car le bâtiment projeté ne touchait pas le monument... Cet argument spécieux, d’autant que le conservateur régional faisait partie du jury, n’est plus recevable : depuis janvier, les Services départementaux de l’architecture et du patrimoine où travaillent les architectes des bâtiments de France dépendent directement de la DRAC.

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