Porte de l’hôpital Necker : les fables de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris

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Le 26 avril 2022 doit être vendue par Me Stanisla Machoïr, commissaire-priseur à Toulouse, au château de Lasserre à à Montastruc-la-Conseillère en Haute-Garonne, la porte de l’hôpital Necker datant du XVIIIe siècle. Cette annonce attirait aussitôt l’attention de la presse locale, ainsi que de plusieurs lecteurs de La Tribune de l’Art qui nous en ont informé. Nous avons alors appelé le commissaire-priseur pour comprendre comment un élément si important du patrimoine parisien pouvait se retrouver aux enchères.


1. La démolition d’une partie de l’hôpital Necker en 2009
Photo : Didier Rykner
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Rappelons d’abord que nous avions dénoncé ici-même (voir l’article) la démolition d’une partie importante de l’hôpital Necker, en 2009 (ill. 1), qui s’était pourtant déroulée dans une indifférence à peu près totale, à l’exception de ce qui concernait l’hôtel Texier que l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris s’était engagée à reconstruire dans l’enceinte de l’hôpital. Une promesse sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin…

Nous ignorions alors qu’un portail du XVIIIe siècle, que l’on pouvait encore voir rue de Sèvres, avait lui aussi disparu : c’est ainsi, lorsqu’on découvre une destruction, on ne se rappelle pas toujours de ce qui s’élevait à cet emplacement peu avant. Heureusement, il y a désormais Google Streets (ill. 2 et 3).


2. La porte du XVIIIe siècle démontée en 2009
Photo : Google Streets
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3. L’ancien emplacement de la porte du XVIIIe siècle aujourd’hui
Photo : Google Streets
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Me Machoïr nous a donc expliqué qu’il avait été contacté pour vendre cette porte, démontée et représentant plusieurs tonnes de pierre. Sinon, ce monument était destiné à disparaître.

Nous avons alors interrogé l’AP-HP qui nous a fait la réponse suivante, que nous citons in extenso : « L’hôpital Necker-Enfants malades – AP-HP a découvert ce week-end la mise aux enchères d’une partie des pierres de l’ancien portail d’entrée de l’hôpital Necker appelé « Portail de l’enfant Jésus », dont il est propriétaire. En 2009, lors des travaux de la construction du bâtiment Laennec, l’ancien portail de l’hôpital Necker a été démonté pour permettre la mise en œuvre du chantier et rendre l’hôpital conforme aux normes d’accès des véhicules de pompiers. Il avait été convenu que cette porte devait être reconstruite à un autre endroit de l’hôpital afin d’aménager un nouvel accès, un engagement que l’AP-HP tient à respecter. A l’occasion d’un nouveau chantier, une partie des pierres stockées sur le site auraient dues être déplacées pour implanter une « base vie ». C’est à ce moment-là qu’une erreur, sur laquelle toute la lumière sera faite, a conduit non pas à leur simple déplacement, mais à leur enlèvement. Il n’ y avait, bien entendu, aucune volonté, ni aucune autorisation de destruction ou de cession de ces éléments du patrimoine de l’AP-HP. C’est à l’occasion de la parution d’un article dans la presse régionale, que l’AP-HP a découvert l’annonce d’une mise aux enchères de son bien pour une éventuelle reconstruction. L’annonce du vendeur comprend différentes inexactitudes et passe notamment sous silence qu’une partie des éléments constituant cet ancien portail continuent à être stockés au sein de l’hôpital Necker. L’AP-HP souhaite donc faire toute la clarté sur la nature exacte des biens ainsi mis en vente, sur l’appropriation à son insu de son patrimoine et sur les conditions dans lesquelles un tiers a pu mettre aux enchères ce bien. L’Institution se réserve le droit d’engager toutes les poursuites permettant d’empêcher cette cession. »

Nous avons alors demandé des informations complémentaires : pourquoi depuis treize ans la porte n’avait pas été remontée, quand le sera-t-elle, et qu’en était-il de l’hôtel Texier ? Nous avons reçu les réponses suivantes :

« 1/ Il fallait pour remonter la porte attendre la fin des opérations de travaux, y compris ceux du jardin central situés au milieu du site. Le budget nécessaire à la reconstruction et aux travaux induits devait être arbitré mais n’était pas prioritaire, l’issue Vaugirard étant fermée au public depuis la mise en place du plan Vigipirate en 2015.
 
2/ L’hôtel Texier n’était pas inscrit au relevé des monuments historiques. Il a été démonté de manière uniquement conservatoire, dans l’attente d’une décision de justice. Cette décision du Tribunal administratif de Paris du 24 juin 2010 ne lui reconnaissant aucune protection particulière justifiant sa reconstruction, le projet a été dès lors été abandonné au regard d’autres priorités d’investissement. L’emplacement initialement envisagé pour un tel projet n’était également plus disponible en raison du besoin de conserver une aire de posé pour des hélicoptères dans le cadre des plans de crise impliquant l’accueil massifs de victimes, pour lequel l’hôpital Necker est la structure de référence régionale concernant les enfants.
 »

Citons également un courrier reçu de l’AP-HP par Me Machoïr où elle demande l’annulation de la vente et la restitution du portail. Elle indique que la porte d’entrée datant du XVIIIe siècle serait : « protégée par un arrêté préfectoral n° 06 -307 portant inscription au titre des monuments historiques ». Elle ajoute qu’elle a « programmé lors des opérations de réaménagement de l’hôpital Necker de déplacer ce portail sur un autre emplacement sur le même site, conformément aux dispositions du permis de construire dont elle était titulaire »


4. Vue de l’entrée, rue de Vaugirard, derrière laquelle se trouvaient les pierres
(voir ill. 5)
Photo : Didier Rykner
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5. Vue plongeante sur les pierres stockées en plein air en 2009
Photo : Google Earth
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L’AP-HP, ce n’est pas la première fois - rappelons qu’elle s’était engagée à installer le musée de l’Assistance Publique à l’Hôtel-Dieu (voir la brève du 24/6/11) -, raconte n’importe quoi comme il est simple de le démontrer. Qu’elle ait découvert la mise aux enchères de la porte n’est pas étonnant : elle pensait s’en être débarrassé. Car qui peut croire une seconde qu’elle avait l’intention de reconstruire cette porte qu’elle avait démontée en 2009, il y a donc treize ans ? Qui peut penser que les conditions dans lesquelles cette porte a été conservée était préludait à sa reconstruction ? Les pierres ont été bougées plusieurs fois sur le site : on pouvait encore récemment les voir en face du 145 rue de Sèvres (ill. 4) entassées à l’air libre comme le montre une vue Google Earth (ill. 5). Peu avant l’enlèvement, des photos de cet amas de pierre ont été prises (ill. 6 à 11). Bien loin d’un dépôt lapidaire avec des pierres rangées soigneusement, numérotées et rangées à l’abri, comme cela aurait dû être le cas, elles s’entassaient à l’air libre dans un désordre indescriptible, au milieu des mauvaises herbes.


6. Entassement des pierres de l’ancienne porte du XVIIIe siècle, état fin 2021 avant leur enlèvement
Photo : La Tribune de l’Art
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7. Entassement des pierres de l’ancienne porte du XVIIIe siècle, état fin 2021 avant leur enlèvement
Photo : La Tribune de l’Art
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La construction de la base vie imposait donc l’enlèvement de ce qui n’était plus depuis longtemps une porte du XVIIIe siècle. Nous avons pu grâce aux informations fournies par Me Machoïr, remonter la chaine des responsables du chantier jusqu’à la société RAID, en charge des travaux. Celle-ci a bénéficié d’un marché public qui incluait l’enlèvement des pierres. Nous n’avons malheureusement pas été rappelé par son responsable. Celui-ci s’était rapproché d’un prestataire de service qui avait trois options pour enlever ces pierres :


8. Entassement des pierres de l’ancienne porte du XVIIIe siècle, état fin 2021 avant leur enlèvement
Photo : La Tribune de l’Art
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9. Entassement des pierres de l’ancienne porte du XVIIIe siècle, état fin 2021 avant leur enlèvement
Photo : La Tribune de l’Art
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 soit les faire concasser pour recycler le matériau ; mais cela était difficile faute de connaître sa composition précise (notamment le taux de sulfate) ;
 soit les réutiliser comme gravât de chantier ; mais cela imposait de trouver un site qui les accepterait ;
 soit réutiliser les pierres en tant que telles ; c’est cette solution qui a été retenue.


10. Entassement des pierres de l’ancienne porte du XVIIIe siècle, état fin 2021 avant leur enlèvement
Photo : La Tribune de l’Art
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11. Entassement des pierres de l’ancienne porte du XVIIIe siècle, état fin 2021 avant leur enlèvement
Photo : La Tribune de l’Art
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Une société spécialisée dans ce domaine est donc venue sur place et, devant l’intérêt évident de ces vestiges, a contacté un de ses correspondants, qui a appelé Me Machoïr. Tous deux sont venus fin novembre 2021 sur le site et il a été décidé de vendre la porte, ce qui permettait de la sauver. Selon le commissaire-priseur, il a fallu cinq semi-remorques pour transporter les pierres. L’emplacement est désormais vide en attendant la construction de la base vie (ill. 12).


12. Lieu où s’entassaient les pierres de la porte du XVIIIe siècle
(on les voit en vue plongeante sur l’ill. 5 et avant leur enlèvement illustrations précédentes
Photo : Didier Rykner
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L’AP-HP affirmant qu’une autre partie des pierres de la porte est encore conservée sur le site, nous avons demandé à les voir. On nous a répondu qu’elles étaient « bâchées et stockées dans une partie technique de l’hôpital qui n’a pas vocation à accueillir du public. » Or ce n’est pas le public qui demande à voir ces pierres, mais un journaliste. Nous avons insisté pour voir l’endroit de stockage, mais en vain. On en déduira ce que l’on voudra... Mais qui va croire que l’hôpital Necker aurait conservé proprement ces pierres dans un entrepôt, quand il a laissé le reste se détériorer en plein air ?


13. La porte inscrite monument historique (ancien 151, désormais 149 rue de Sèvres)
toujours en place, et mise en valeur par la mairie de Paris grâce à un joli feu, des plots jaunes et des morceaux de béton
Photo : Didier Rykner
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Ajoutons que contrairement à ce qu’affirme l’AP-HP, cette porte n’était pas protégée monument historique (ce qui est d’ailleurs incompréhensible). En effet, et il suffit de se rendre sur la base Mérimée pour constater que c’est la porte du 151 rue de Sèvres qui était inscrite (ill. 13). Or, en 2006 au moment de la protection, et en 2009, celui de la démolition, le 151 n’était pas la porte du XVIIIe siècle qui portait le numéro 149 comme on le voit sur Google Street, mais celle du début du XIXe siècle qui est celle qui était inscrite. Depuis, le numéro 149 a été déplacé (il n’y a plus d’entrée à l’ancien emplacement de la porte XVIIIe) et transféré au niveau de la porte inscrite, qui est restée en place.


14. L’hôtel Texier, avant sa démolition
Photo : Google Streets
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15. La même vue que l’ill. 14 aujourd’hui
Photo : Google Streets
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Quant à l’hôtel Texier dont nous nous sommes inquiété à plusieurs reprises, c’est désormais une quasi-certitude : il n’existe plus (ill. 14 et 15) et comme nous le pensions, tout a été probablement été envoyé à la benne comme a failli l’être la porte de l’hôpital.

Et, là encore, l’AP-HP raconte n’importe quoi dans les réponses à nos questions, qui se sont transformées ensuite en communiqué de presse. Elle prétend en effet que le remontage de cet hôtel dépendait d’une décision de justice : c’est entièrement faux. La meilleure preuve est que lorsque nous l’avions interrogée en 2015 sur la date de remontage de cet hôtel, elle nous avait fait la réponse suivante (voir l’article) : « Le nouveau Necker a ouvert aux patients début 2013. L’AP-HP a depuis engagé la deuxième phase de travaux basée sur des déconstructions importantes au cœur du site permettant l’aménagement d’un grand jardin ouvert au public en 2017. C’est à l’issue de ces travaux que serait réalisé le remontage de l’hôtel Texier. »
L’AP-HP nous ayant dit il y a quelques jours que : « cette décision du Tribunal administratif de Paris du 24 juin 2010 ne lui reconnaissant aucune protection particulière justifiant sa reconstruction, le projet a été dès lors été abandonné au regard d’autres priorités d’investissement », on se demande comment elle aurait abandonné la reconstruction de l’hôtel en 2010, tout en affirmant en 2015 prévoir son remontage après 2017.

L’AP-HP ne dit pas la vérité, et les preuves sont faciles à retrouver dans la presse de l’époque, avec - évidemment - la participation de la Ville de Paris et - quelle surprise ! - d’Anne Hidalgo. On peut ainsi lire dans Le Parisien, le 27 août 2008 : « Pour satisfaire les défenseurs du patrimoine, qui se sont battus pendant des mois pour empêcher cette opération qui doit prendre la place d’un hôtel particulier du XIXe siècle, la Ville et l’AP-HP se veulent rassurantes. "Les autorisations, explique Anne Hidalgo, adjointe à l’urbanisme, prévoient notamment la reconstruction de l’hôtel Texier au coeur de l’enceinte de Necker comme témoignage de l’histoire. Le portail, attribué à Servandoni, sera démonté et remonté." » Dans 20 minutes, on lit aussi « La Ville de Paris a donné hier son "feu vert" au projet de con­struction du nouvel hôpital Necker. L’hôtel Texier, élément du patrimoine parisien que plusieurs associations voulaient sauver, ne sera pas conservé pour ne pas retarder le projet. Mais Bertrand Delanoë "a obtenu qu’il serait reconstruit au cœur de l’enceinte de Necker." »

Ajoutons que dans le compte-rendu du conseil du XVe arrondissement datant du 17 novembre 2018, on peut lire enfin ce qu’Anne Hidalgo déclarait : « En ce qui concerne l’Hôtel Texier auquel vous faites référence, le permis qui a été déposé concernant Necker intègre bien évidemment cela puisque lorsque le Maire de Paris a donné les permis de démolir, cela s’est fait en intégrant cette demande de conservation de l’Hôtel Texier que nous avons nous-même et que j’ai moi-même portée. » On comprend donc que la conservation de l’hôtel Texier conditionnait l’accord du permis de démolir ! Et l’AP-HP ajoute dans le courrier envoyé à Me Machoïr que celle de la porte du XVIIIe siècle était également une condition de ce permis.
Jamais donc, il n’a été question d’une protection de l’hôtel Texier d’où dépendrait son remontage car ce monument n’était pas protégé, ce qui était parfaitement connu. Il n’y avait besoin d’aucune décision du tribunal administratif à ce sujet. Le communiqué de l’AP-HP est donc entièrement faux. Mais « bien évidemment » tout cela n’a pas d’importance puisque ces mensonges ne seront sanctionnés par rien…


16. À gauche, l’hôpital Necker à l’emplacement de l’ancien hôtel Texier, au fond, l’institut Valentin Hauÿ pour les aveugles, inscrit monument historique
Photo : Didier Rykner
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Ni l’hôtel Texier ni la porte du XVIIIe siècle n’étaient protégés en tant que tels, mais ils se trouvaient aux abords d’au moins deux monuments inscrits : une partie de l’hôpital Necker lui-même (dont l’autre porte) et l’institut Valentin Hauÿ boulevard des Invalides et qui fait l’angle avec la rue de Sèvres, devant l’hôpital moderne (ill. 16). L’aspect massif de ce dernier, qui a par ailleurs fait disparaître, outre l’hôtel, une surface arboré, aurait dû à l’époque être contestée par l’ABF...

Rappelons quelques exploits récents de l’AP-HP dans le domaine du patrimoine, exploits réalisés sous les yeux complices ou indifférents de la mairie de Paris et du ministère de la Culture :

 la vente de l’hôtel de Miramion, et l’envoi du musée de l’AP-HP en réserves (à l’exception de certaines œuvres déposées dans des musées en province) ;
 la privatisation partielle de l’Hôtel-Dieu où elle nous promettait d’installer ce musée (voir la brève du 27/6/11 ;
 la privatisation de l’hôpital Laënnec et de sa chapelle (voir les articles)...

Et nous conclurons sur les inquiétudes sur le sort que l’AP-HP réserve à l’hôpital La Rochefoucauld (voir l’article).

L’AP-HP, décidément, est vraiment l’ennemie du patrimoine.

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