Musées en danger (4) : le Musée de l’Assistance Publique

1. Hôtel Miramion, siège du Musée de l’Assistance Publique
Façade sur le quai de la Tournelle
Photo : Didier Rykner
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Le 6 juin dernier, Frédéric Mitterrand devait visiter, dans le cadre de l’opération « Rendez-vous au jardin », le jardin de l’Hôtel Miramion (ill. 1), siège du Musée de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). C’est en tout cas ce qu’indiquait le programme officiel. Car la venue du ministre de la Culture fut annulée à la dernière minute sur une demande expresse du cabinet du ministre de la Santé, Roselyne Bachelot. Il aurait été peu diplomate d’attirer l’attention sur un établissement dont la fermeture était programmée quelques jours plus tard.

Car depuis le 4 juillet 2010, à la fin de sa dernière exposition : L’Humanisation de l’hôpital. Mode d’emploi, cet établissement, créé en 1931 pour recueillir et exposer les œuvres sauvées de la destruction de l’Hôpital de la Charité, est définitivement fermé au public. L’Association des amis du musée de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris a lancé depuis le début du mois de juillet une pétition (que nous engageons tous les lecteurs de La Tribune de l’Art à signer). Nous avons joint le ministère de la Santé qui nous a orienté vers l’Assistance Publique. La direction de la Communication de cette administration nous a expliqué [1] : « Des travaux ont commencé dans le musée, pour assurer la mise aux normes, rénover les locaux et reconfigurer les espaces du rez-de-chaussée pour l’organisation de colloques et d’événements. Ils vont durer jusqu’au début de l’automne pour un coût de 472 000 € dont 100 000 pour le déménagement des collections. La vocation est toujours de conserver le patrimoine. Nous menons une réflexion sur la façon de rapprocher les collections des usagers et du personnel hospitalier. Le musée coûte 2 millions d’euros par an. La fermeture du musée n’est pas encore décidée, toutes les solutions sont envisagées. »
Un panneau sur la porte de l’Hôtel Miramion annonce une « fermeture exceptionnelle en raison de travaux » (ill. 2). Quant au ministère de la Culture, qui devrait avoir son mot à dire sur la fermeture d’un musée de France, il est une fois de plus aux abonnés absents.


2. Affichage sur la façade du Musée de l’Assistance Publique
Juillet 2010
Photo : Didier Rykner
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3. Extrait d’un compte-rendu d’une
réunion traitant de l’avenir
du musée ayant eu lieu le 9 juillet 2010
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Peut-être le silence vaut-il mieux que des déclarations inexactes. Toutes les solutions ne sont pas envisagées, les décisions sont prises ; la fermeture n’est pas exceptionnelle (ce qui sous-entend qu’elle serait temporaire), elle est définitive. Nous en avons la preuve par le compte-rendu d’une réunion consacrée au musée qui s’est tenue le 9 juillet 2010 à la direction du siège de l’AP-HP. On y lit, dans le paragraphe intitulé Evolution des missions du Musée : « Fermeture du Musée au grand public » (ill. 3). Les modalités exactes viennent d’en être divulguées : le musée sera définitivement fermé au public, à l’exception des manifestations annuelles telles que les nuits blanches ou les journées du patrimoine et de visites de groupes qui pourraient être accueillis une journée par semaine (jour non encore défini), sur réservation.
Les explications portant sur les travaux sont également trompeuses : il n’est aucunement question de mise aux normes pour la sécurité des collections, d’ailleurs aucun architecte spécialisé dans ce domaine n’a été consulté. Ce chantier ne justifie pas la fermeture de tout le musée puisqu’il ne concerne que deux salles du rez-de-chaussée. Le parcours du premier étage, indépendant de celui du niveau inférieur, pourrait toujours recevoir le public. La formulation laisse penser que les travaux concernent le musée lui-même, alors qu’il s’agit justement du contraire, et que l’objectif réel est uniquement de transformer ces salles jusqu’ici ouvertes au public [2] afin de pouvoir les utiliser et les louer pour des événements (ill. 4).


4. Salle du Musée de l’Assistance Publique
au
rez-de-chaussée
A gauche, L’arbre de Noël de la nourrice de Jean Geoffroy
Etat antérieur aux travaux
Actuellement en cours de transformation en
« salle événementielle »
Photo : ADAMAP/JFMA
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5. Une des salles au premier étage
du Musée de l’Assistance Publique
Au centre, le tableau de Terbrugghen
A sa droite, Saint Nicolas de Bari attribué à Francesco Solimena
Photo : Didier Rykner
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Une fois de plus, le sort d’un musée en France est entre les mains de comptables. La seule raison affichée pour justifier cette fermeture (dont on a tellement honte qu’elle se fait en catimini, au cœur de l’été, sans jamais dire que c’est bien de cela qu’il s’agit) est le coût de cet établissement qui serait de 70 € par visiteur (au nombre de 20 000 en 2009) ! Ce type de calcul appliqué à la culture ferait fermer rapidement tous les musées, mais aussi les théâtres, l’Opéra de Paris (le coût pour une place y est bien supérieur à 70 €), les bibliothèques ou d’ailleurs tout équipement culturel. C’est, une fois de plus, prendre les choses par le petit bout de la lorgnette [3]. La fréquentation est en forte progression ces dernières années (elle était de 8 000 en 1995). Compte tenu de l’intérêt des collections, elle pourrait être bien supérieure. Encore faudrait-il que l’AP-HP ait une politique ambitieuse pour ce lieu et une vision de son devenir. Nous en sommes bien loin. Le budget de l’Assistance publique est de 6,5 milliards d’euros en 2009. Le coût du musée est donc égal, même si l’on considère celui de 2009 avant les mesures d’économies décrites en note 3, à moins de 0,02 % de son budget (ou environ 0,2 % du coût de la campagne de vaccination contre la grippe A…) Pense-t-on vraiment que la fermeture au public de ce musée va résoudre les problèmes financiers de l’AP-HP ?


6. Hendrick ter Brugghen (1587-1629)
Le Christ aux outrages
Huile sur toile - 154 x 117 cm
Paris, Musée de l’Assistance Publique
Photo : D. R.
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7. Pierre Mosnier (1641-1703)
Allégorie de Louis XIV
Huile sur toile - 160 x 360 cm
Paris, Musée de l’Assistance Publique
Photo : D. R.
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Pourtant, tel qu’il est, avec sa muséographie désuète des années 1970 (ill. 5), le musée de l’AP-HP est de tout premier ordre.
Son intérêt pour le visiteur est double et il peut s’adresser à deux types de public. Il raconte d’abord l’histoire des hôpitaux de Paris et de la médecine en France. Il paraît que le Président de la République veut un musée de l’histoire de France qui reste à créer ; est-ce pour fermer ceux qui existent ? Aussi, et cela intéressera au premier chef les lecteurs de La Tribune de l’Art qui ne le connaissent pas forcément, ses collections en font un véritable musée des Beaux-Arts, qui peut montrer un grand nombre de peintures, de sculptures et même de dessins. Son chef-d’œuvre est sans aucun doute La Dérision du Christ de ter Brugghen (ill. 6), que les plus importants musées du monde seraient heureux de pouvoir accrocher dans leurs salles. Mais cette toile est loin d’être isolée. On citera en vrac la Guerre des Amours de Jean de Hoey, un Saint Nicolas de Bari de l’école napolitaine, attribué avec vraisemblance à Francesco Solimena, Sainte Geneviève priant pour les malades de Nicolas de Plattemontagne, une Allégorie de Louis XIV de Pierre Mosnier (ill. 7), deux très beaux Noël Coypel provenant de la chapelle de l’ancien Hôpital Laënnec [4] (ill. 8), plusieurs tableaux de l’école florentine du XVIIe siècle dont un beau Judith et Holopherne, un Marsyas enchaîné attribué à Cerano par Arnauld Brejon de Lavergnée ou encore un Job sur son fumier génois, autour de Gioacchino Assereto.
Le XIXe siècle est particulièrement bien représenté avec un portrait de Henri Scheffer, un Ecce Homo d’Eugène Devéria, un buste en marbre d’une religieuse par le sculpteur romantique Hippolyte Maindron, une grande composition décorative de Georges Clairin (ill. 9) ou La prière des enfants teigneux d’Isidore Pils (ill. 10)... Il faut ajouter une importante collection de pots à faïence présentés dans la salle de la pharmacie, des gravures et de nombreux objets d’art.


8. Noël Coypel (1628-1707)
La Visitation
Huile sur toile - 104 x 148 cm
Paris, Musée de l’Assistance Publique
Photo : ADAMAP/JFMA
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9. Georges Clairin (1843-1919)
La santé rendue aux malades, 1898
Huile sur toile
Paris, Musée de l’Assistance Publique
Photo : D. R.
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Ces richesses ont pour origine des donations de particuliers, mais aussi et surtout le versement d’œuvres provenant d’établissements hospitaliers qui ne sont plus en mesure de les conserver. Ainsi, en 2006, l’ancien Hôpital Corentin-Celton d’Issy-les-Moulineaux a donné au musée un tableau d’Augustin Belle, Saint Roch (ill. 11), récemment restauré et accroché dans l’escalier du musée. La chapelle de cet hospice a en effet été transformée en « lieu d’exposition culturelle ». On peut regretter fortement que cette toile, qui décorait un édifice religieux, en soit enlevée, mais il s’agit d’un autre sujet. Alors que l’Assistance Publique projette de se séparer de nombreux bâtiments anciens en les vendant (suivant en cela la politique actuelle de l’Etat), il est hélas probable que d’autres œuvres menacées soient amenées à prendre le chemin du musée de l’AP-HP. Qui demeurera fermé au public.


10. Isidore Pils (1813-1875)
La prière des enfants teigneux, 1853
Huile sur toile - 262 x 197 cm
Paris, Musée de l’Assistance Publique
Photo : Didier Rykner
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11. Augustin-Louis Belle (1757-1841)
Saint Roch
Huile sur toile - 229,5 x 193,5 cm
Paris, Musée de l’Assistance Publique
Photo : Didier Rykner
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On peut réellement se demander si l’objectif du gouvernement n’est pas de supprimer peu à peu tous les petits musées pour ne conserver que les grands établissements comme le Louvre ou Versailles. Le Cabinet des Médailles est toujours menacé (voir notre article), le Musée de la Monnaie est sur le point de fermer (nous lui consacrerons bientôt un article), le Musée de l’AP-HP est fermé… Rappelons que les Musées de France ont notamment pour mission (article L. 441-2 du Code du Patrimoine) de « rendre leurs collections accessibles au public le plus large ». Une obligation dont le ministère de la Santé s’affranchit allègrement sans que le ministère de la Culture y trouve à redire.

English version

Didier Rykner

Notes

[1Communication téléphonique le 4 août 2010, à 9 h 15.

[2L’une abrite la reconstitution de la salle de garde de La Charité. On ne sait pas si elle sera ou non vidée des ses œuvres, comme l’autre l’a déjà été.

[3On fait dire ce qu’on veut aux chiffres, et ceux-ci sont d’ailleurs extrêmement sujet à caution et même incohérents. Celui de 2 millions (coût annuel) que nous a communiqué l’Assistance Publique est sciemment exagéré puisque la simple multiplication de 70 € par 20 000 visiteurs donne un coût annuel de 1 400 000 €. Ce chiffre de 70 €, dont on se garde bien de donner l’origine, se révèle lui-même erroné. Des mesures d’économie déjà prévues sont en cours de réalisation : suppression des expositions temporaires, regrettable mais moins grave que la fermeture du musée (et qui pourrait permettre d’accroître le nombre d’œuvres exposées) et réduction de 5 postes de gardiennage. Elles aboutiront en 2011 à un budget de fonctionnement annuel de 620 000 € - moins du tiers du chiffre que nous a annoncé l’Assistance Publique, soit un coût par visiteur, si l’on prend en compte un billet moyen à 2 €, en dessous de 30 €, moins de la moitié de l’autre chiffre avancé. De nombreuses études ont de toute façon prouvé que l’argent investi dans les musées et le patrimoine était rentable au niveau macro-économique, ne serait-ce que par les millions de touristes qui les visitent, dépensant beaucoup d’argent en France qui n’est évidemment pas compté établissement par établissement. Notons enfin que dans le budget indiqué est compris le déménagement des réserves, actuellement en zones inondables, dans des salles spécialement aménagées dans l’Hôpital Bicêtre, un projet qui remonte à 1994 et qui aboutit seulement aujourd’hui.

[4A ce propos, il faudra décidément que nous revenions sur le sort fait à cet édifice religieux et aux œuvres qu’il est censé encore conserver. Nous n’avons pas réussi à savoir où est passé l’Ange gardien de Philippe de Champaigne qui était encore in situ il y a quelques années.

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