Un dessin double-face inédit de Pier Francesco Mola

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Récemment découvert, ce dessin double-face de Pier Francesco Mola est une importante addition à l’œuvre graphique de l’artiste. L’étude du recto est une proche variante d’une composition qui a fait l’objet de recherches de l’artiste dans au moins deux autres dessins, l’un conservé au University Art Museum de Princeton, l’autre au Musée des Beaux-Arts de Lille [1]. La liberté de style renvoie à la fin des années 1650, vers l’époque où Mola travaillait hors de Rome à la décoration du Palais Pamphilj à Valmontone, en 1658. Dans sa notice sur le dessin de Princeton, Felton Gibbons a souligné la possibilité d’un rapport avec la peinture de Mola représentant la Fuite en Egypte conservée à la Gemäldegalerie à Berlin, une toile aujourd’hui attribuée le plus souvent à l’élève de Mola, Giovanni Battista Pace [2].

Avec ses tâches de lavis brun noir dans le feuillage des arbres et dans les ombres du premier-plan, cette étude a tout le brio des meilleurs dessins de Mola. Une touche d’une audace comparable se retrouve, par exemple, dans Adam et Eve chassés du Paradis Terrestre du British Museum de Londres [3]. Dans la Fuite en Egypte, les larges passages au lavis contrastent avec les touches délicates de plume et d’encre des figures et du paysage lointain. L’utilisation de techniques différentes amène des sensations variées de forme et de texture et aboutit ainsi à enrichir la portée de la composition. Les brillants effets techniques de Mola empêchent parfois d’apprécier la vigueur de ses dons d’observation. Ceux-ci sont à leur plus haut dans le dessin de l’âne, qui suit précautionneusement son chemin le long de la pente, en devant affronter les obstacles causés par un terrain inhospitalier et le poids de la Vierge et de l’Enfant sur son dos. Le point focal de la composition, la Vierge et son précieux fardeau, au maintien droit et digne, contraste avec les contorsions du malheureux animal.

A Rome, dans la seconde moitié de sa carrière et parallèlement à ses prestigieuses commandes pour des patrons nobles ou ecclésiastiques, Mola avait une véritable production alimentaire - des peintures de chevalet, sur toile, représentant des sujets religieux ou mythologiques, généralement situés sur fonds de paysage foisonnant. Il dut trouver un vrai marché pour de telles peintures, qu’il continua à réaliser avec grand succès jusqu’à la fin de sa carrière, en réutilisant fréquemment des idées de compositions qu’il avait déjà employées par le passé. Les idées de composition lui venaient si librement qu’on trouve, dans ses peintures et dessins, beaucoup de variations sur certains thèmes, dont la Fuite en Egypte. Il est ainsi difficile de déterminer l’ordre exact des séquences entre elles.

Pier Francesco Mola,
Arbres le long d’un talus herbeux
Paris, Collection particulière
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C’est l’étonnante esquisse des Arbres le long d’un talus herbeux, au verso, qui rend le présent dessin si exceptionnel dans l’œuvre de Mola. Celle-ci a probablement été réalisée à l’extérieur, en face du motif, peut-être dans le parc d’une des villa des environs de Rome. La largeur de la touche et la franchise des coloris anticipe les esquisses en plein-air qu’on trouvera plus d’un siècle plus tard chez des artistes tels que Pierre-Henri Valenciennes (1750-1819) et Simon Denis (1755-1813), et bien d’autres artistes de l’époque. Dans l’étude du verso, le centre d’intérêt principal de Mola est le timide lever de soleil qui brille à travers l’espace légèrement sur la gauche. Cette lumière du matin, ou du soir, traverse l’espace situé entre la silhouette théâtrale des rochers et la rangée d’arbres. Le feuillage de ces arbres, révélé par la lumière, est dépeint avec la plus extrême sensibilité. Compensant la partie lumineuse sur la gauche, on trouve à droite, dans l’ombre, des arbres aux verts nuancés d’un bleu-noir velouté qui recouvrent partiellement ce qui semble être le côté d’un haut bâtiment qu’on entrevoit à peine.

Les Arbres le long d’un talus herbeux de Mola apparaît comme unique parmi les dessins de l’artiste, sans doute la seule esquisse colorée d’après nature qui ait survécu. Il n’est bien sûr pas surprenant qu’il ait fait de telles études, car les dessins d’après nature étaient très en vogue, particulièrement chez les artistes étrangers alors actifs à Rome, Poussin (1594-1665) et Claude Lorrain (?1604/5-1682) tout d’abord et surtout, mais aussi de nombreux peintres hollandais. Parmi les italiens, même le rival acharné de Mola, Gian Angelo Canini (1609 ou 1617-1666) fit des esquisses en plein-air, donnant une description de la boite à couleur portative qui supportait le carton sur lequel il dessinait et qu’il emportait avec lui dans la campagne lors de ses expéditions [4].

L’esquisse d’arbres du verso peut être comparée avec celle, préparatoire au décor du plafond de la Stanza dell’Aria du Palazzo Pamphilj à Valmontone, aujourd’hui conservée à la Galerie des Offices à Florence [5] Cette dernière est plutôt à l’huile qu’à l’aquarelle ou à la gouache. Dans le bozzetto de Florence, on trouve sur les côtés quatre scènes de la mythologie et de l’histoire ancienne, avec des paysages à l’arrière-plan. De nombreuses comparaisons stylistiques peuvent être faites entre ces paysages et les Arbres le long d’un talus herbeux de Mola. En effet, les effets de lumière et le traitement harmonieux des tons assourdis est remarquablement proche dans les deux œuvres.

Traduction Didier Rykner

Nicholas Turner

Notes

[1Princeton, University Art Museum : inv. n° 52-195 (F. Gibbons, Catalogue of Italian Drawings in the Art Museum, Princeton University, Princeton, 1977, n° 446 ; Pier Francesco Mola, exh. cat ed. Manuela Kahn-Rossi, Museo Cantonale d’Arte, Lugano, et Musei Capitolini, Rome, 1989-90, n° III.70). Lille, Musée des Beaux-Arts : inv. n° Pl. 168 (Lugano et Rome, 1989-90, n° 69 ; B. Brejon de Lavergnée, Catalogue des dessins italiens. Collections du Palais des Beaux-Arts de Lille, Paris et Lille, 1997, n° 434).

[2Berliner Museen, XI, inv. n° 1, 1961, illustration de couverture. La peinture fut publiée, comme de Giovanni Battista Pace, par E. Schleier, Antichità viva, 1992, pp. 5-6, note 6.

[3Londres, British Museum : inv. n° 1946-7-13-88 (Lugano et Rome, 1989-90, n° III.57 ; N. Turner, Roman Baroque Drawings in the British Museum, London, 1999, n° 223).

[4Canini décrivit cette pratique au royaliste anglais Richard Symonds (1617-1660), qui en nota les détails dans son traité manuscrit Secrete intorno la pittura (London, British Library, Egerton MS. 1636).

[5Florence, Galleria degli Uffizi : inv. n° 16158-F (Lugano et Rome, 1989-90, n° III.31).

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