Réserves du Louvre : interview d’un(e) conservateur(trice) du département des sculptures (1)

Vous n’avez que des habitudes et des prérogatives ?

On n’a ni prérogatives ni habitudes, on n’a que des responsabilités définies par le code du patrimoine et le code de déontologie des conservateurs, c’est tout simple, on est responsables des collections.

Quels sont les principaux points qui vous paraissent graves dans ce projet ?

Je pense que c’est vraiment une perte d’énergie, dans tous les sens du terme. Même du point de vue de écologique, ce qui peut sembler le plus anecdotique mais, surtout, financièrement et humainement, à un moment où on doit faire des économies.
Soit les équipes seront toujours sur la route ou dans le train, soit les équipes de Liévin deviendront de plus en plus autonome, donc les collections seront sans contrôle scientifique suffisant (le prêt qu’on accorde sans avis du département, le constat d’état fait par on ne sait qui…). Les deux phénomènes pouvant être concomittants.
Mais le pire, ce sont les œuvres et les risques qu’on leur fera courir par les aller-retour incessants : pour celles qui vont être empruntées ou pour celles qui reviendront pour une restauration qu’on ne voudra pas faire là bas, entre autres exemples. Sans parler des risques de vols pendant les transports, ce qui n’est pas une hypothèse à exclure.
Et les risques sur place sont également importants, notamment les difficulté de consultation par les chercheurs et par les conservateurs eux-même. À l’exception des très grands formats, les œuvres seront stockées pour une grande part dans des compactus. C’est ce qui est prévu. D’autant que la surface dont nous disposerons n’est finalement pas immense. Le compactus n’est jamais une très bonne solution.

Vos réserves à Paris ce sont des placards ?

Non, je conteste tout à fait cela. Ce sont des réserves bien organisées, bien pensées où les chercheurs sont accueillis quand ils en font la demande.

Où se trouvent-elles ?

Elles sont à la fois en zone inondables et en zones non inondables, à Paris même dans le bâtiment du Louvre. Il y a très peu de choses hors de Paris.

Mais ne peut-on pas songer à protéger sur place certaine œuvres avec des emballages spéciaux ?

Absolument. D’ailleurs, le problème de l’inondation concerne aussi les salles d’exposition permanentes dont certaines sont inondables (notamment les arts de l’Islam qui sont complètement inondables contrairement à ce qu’on prétend). On demande depuis des années le budget pour protéger les œuvres sur place et on ne l’obtient pas. On l’a demandé aussi pour les réserves pour les grands groupes, sans l’obtenir davantage.
Je reconnais qu’on ne peut pas tout protéger comme ça. Il n’est donc pas absurde d’évacuer le plus possible d’œuvres des réserves inondables. On a fait des plans d’évacuation et on remonterait dans les salles hors eau toutes les œuvres importantes. La question difficile, c’est de tout faire en 72 h, surtout si les monte-charges tombaient en panne dans un contexte forcément difficile. Il faut donc rationaliser nos réserves, peut-être en trouvant des espaces à proximité (par exemple les ATP). Il y a sans doute des choses plus faciles que Liévin et Lens. On a pris la plus mauvaise solution.

Pourquoi mettre toutes réserves à un même endroit ?

C’est une mauvaise idée, on n’a pas besoin d’avoir tout sur le même lieu. On peut avoir par exemple des réserves par département et par grands ensembles.
L’accès de Lens ce n’est pas deux heures, c’est faux, c’est deux heures et demi dans le meilleur des cas, en comptant les trajets depuis et jusqu’aux gares. De plus, il y a souvent des retards de TGV et, le mardi il n’y a pas de navette (on nous la promet sept jours sur sept, mais nous n’y croyons pas). Il faut compter plutôt trois heures, donc six heures dans la journée, ou alors on reste sur place et il faut payer l’hôtel. Sans compter que la ligne TGV Paris-Lens n’est pas prioritaire pour la SNCF. Au lieu d’augmenter les trains, ils en ont déjà diminué le nombre depuis l’ouverture.

Les chercheurs extérieurs au Louvre iront-ils facilement à Liévin ?

Ils n’iront jamais à Liévin. Il faut se rendre compte de ce que représentent les frais pour quelqu’un de jeune, qui vient étudier les œuvres, il doit se payer le voyage, éventuellement le séjour. Il a besoin de discuter devant l’œuvre avec le conservateur. Ce qui sera impossible car nous ne pourrons plus les accompagner. Ce n’est pas la même chose d’aller voir l’œuvre tout seul, dans un compactus, sans compter qu’il est nécessaire de la sortir pour la voir bien.
Le gros problème c’est qu’on nous promet des emplois qui seront au Louvre, mais qu’en sera-t-il de ces emplois ? Seuls ceux de la régie seront vraiment « Louvre ». Les emplois « sécurité » seront externalisés à la Région. Cela implique une moins bonne coordination entre les équipes internes et externes. C’est déjà le cas au Louvre-Lens où il est très compliqué, par exemple, d’avoir simplement accès au bâtiment le mardi.

Propos recueillis par Didier Rykner

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.