Réponse de la CFDT-Archives à nos articles sur la Maison de l’Histoire de France

Nous avions invité les archivistes à nous expliquer pourquoi ils s’opposent à l’installation de la Maison de l’Histoire de France sur le site des Archives Nationales à Paris.
Nous publions donc ci-dessous in extenso les arguments reçus de la CFDT-Archives. Nous répondons très succinctement à ce courrier en bas de page.

Bâtiment dit le Caran
Archives Nationales
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Par vos articles dans La Tribune de l’Art sur le projet de Maison – et non Musée – de l’histoire de France des 10 et 11 septembre, vous rejetez avec beaucoup de légèreté et aussi quelques erreurs les arguments de ceux qui s’opposent à l’installation de la Maison de l’histoire de France à l’hôtel de Soubise, lieu historique des Archives nationales.

Les hôtels de Soubise et Rohan, est-il écrit, « n’ont certes pas été créés dans cet objectif » [d’abriter les Archives nationales]. Cet argument est de fait irrecevable : bien des bâtiments publics, sièges des institutions nationales, n’ont certes pas été créés pour leur vocation présente, pas plus l’Élysée, boudoir d’une maîtresse royale, pour accueillir la présidence de la République que le Palais-Royal, pour abriter le ministère de la Culture.

L’attribution de l’hôtel de Soubise aux Archives nationales relève d’un décret impérial du 6 mars 1808 dont on vient de fêter le bicentenaire. Depuis, la vocation du site a été constamment confirmée :

 par la construction de la galerie du Parlement, sous Louis-Philippe, celle des Grands Dépôts sous Napoléon III et d’autres au XXe s., qui aujourd’hui dépassés étaient, cependant, à leur époque, considérés comme à la pointe des techniques de conservation vis-à-vis des bâtiments anciens comme des fonds…

 par l’attribution aux Archives nationales des espaces se dégageant aux alentours, jusqu’à former l’actuel quadrilatère des Archives,

 par la construction du Caran en 1988, lieu d’accueil des chercheurs, amateurs comme de profession.

Votre article ajoute « Quant à la question de la place insuffisante pour faire face à l’augmentation du fonds, sa pertinence nous échappe. Le volume des archives antérieures à 1789 s’accroîtra peut-être par de nouvelles acquisitions, mais cela ne constituera certainement pas l’essentiel des apports, qui concerneront surtout le XXIe siècle. Et ces archives à venir ne viendront pas ici, mais à Fontainebleau. »

On peut ici encore répondre très clairement :

 le projet initial lancé en 2004 pour les Archives nationales et validé tel quel par l’actuel ministre de la Culture en décembre 2009 a toujours prévu que le site de Paris accueillerait les archives antérieures à 1789, mais aussi l’ensemble du Minutier central des notaires de Paris ainsi que les principales activités de valorisation des archives auprès du grand public (exposition, conférences) et des activités culturelles utiles à la mise en valeur des lieux (concerts, manifestations diverses) ;

 même s’il est probable que les archives antérieures à 1789 ne s’accroîtront que fort peu, il faut prendre en compte les espaces nécessaires à la mise à plat des très nombreux et très précieux plans ou documents figurés conservés dans ces fonds ainsi que celle des chartes scellées ou, encore, des multiples affiches et placards. En ce sens, le transfert partiel de documents hors du site de Paris est enfin l’occasion donnée aux Archives nationales d’accomplir au mieux leur mission de conservation matérielle des documents ;

 par ailleurs, le rez-de-chaussée du dépôt Napoléon III, vidé des archives XIXe-XXe s. doit accueillir immédiatement les 15 kml d’archives notariales parisiennes en souffrance pour les années 1885 à 1935 puis tous les versements ultérieurs qui relèvent de l’obligation légale (minutes de plus de 100 ans), ce qui à terme représente près de 50 kml. Les chercheurs attendent avec impatience d’avoir accès à ces archives que les notaires n’ont pas, au contraire des Archives nationales, vocation à conserver pour communiquer ;

 enfin, les autres espaces permettront aux ateliers de restauration et au Service culturel et pédagogique des Archives nationales de se redéployer et de mettre en œuvre une politique qui se veut ambitieuse.

Vous vous trompez donc quand vous suggérez que les autorités en charge du projet de rénovation des Archives nationales – des ministres de la Culture successifs aux archivistes – n’auraient pas vu un sorte de « trou » laissé par les transferts partiels d’archives hors de Paris [1]. Vous vous trompez aussi en affirmant que les archives des XIXe et XXe s. iront à Fontainebleau.

Le projet de rénovation des Archives nationales s’appuie sur 3 sites :

 Paris : archives antérieures à 1789, archives notariales de plus de 100 ans (date légale de versement), collection des sceaux, bibliothèque historique (400 000 ouvrages, remontant au XV s.), principales activités culturelles de valorisation des archives et du site.

 Pierrefitte, que vous ne citez nulle part : archives publiques postérieures à 1789 recouvrant les secteurs majeurs d’activité de l’État (Assemblées, chefs de l’État, ministères de l’Intérieur et de la Justice, Éducation nationale - Culture etc.), archives privées, principaux ateliers de restauration et de reproduction, espaces pour colloques scientifiques…

 Fontainebleau : archives publiques postérieures à 1789 recouvrant le secteur relatif à l’aménagement du territoire (équipement, agriculture etc. ) et archives privées d’architecture.

Quant à prétendre que c’est l’installation de la Maison de l’Histoire de France qui permettra de rendre au public l’accès au site des Francs-Bourgeois, il s’agit là d’une assertion particulièrement malhonnête car c’est bien la réalisation du projet « Archives nationales » tel qu’il a été défini dès l’origine qui devrait permettre cette ouverture. Depuis de nombreuses années, le site parisien des archives s’associe à maintes activités (nuit des musées, journées du patrimoine, fête de la musique etc.) ou en initie d’autres qui permettent à un large public de l’apprécier. Quant aux partielles difficultés d’accès que vous signalez, elles tiennent aux travaux entrepris sur le site de Paris ces dernières années (désamiantage du Caran) et aux nécessités actuelles de préparation des archives avant leur répartition.

Pour conclure, si l’on revient au projet présidentiel de Maison de l’histoire de France, on ne peut que s’étonner de voir ce « grand projet », de type muséal et non archivistique, jouer les coucous au détriment d’un autre « grand projet », totalement légitimé et en voie d’achèvement. Tous les autres grands projets culturels initiés par la présidence de la République depuis G. Pompidou s’incarnent, en effet, dans une construction neuve et emblématique. Celui des Archives nationales s’accompagne ainsi du beau projet de Massimiliano Fuksas pour le site Pierrefitte. On peut comprendre, qu’en ces temps de restriction, on recule devant la perspective d’une nouvelle construction, surtout au sein d’un ministère qui ne manque pas de projets plus ou moins en panne (MUCEM, Grandes Réserves etc.). Cependant cet argument tombe aussi : la collectivité publique a déjà engagé une dépense de 250 millions pour la rénovation des Archives nationales : or les fruits de cet investissement seraient en partie annulés par l’installation de la Maison de l’histoire de France sur leur site parisien. Dans cette perspective, il semblerait plus logique de recourir à un lieu plus adapté que le site des Francs-Bourgeois, pour l’accueil de cette Maison de l’histoire de France. Le beau château de Vincennes, dû à Le Vau par exemple, est aujourd’hui sans vocation : or il est idéalement situé dans un haut lieu de l’histoire de France, près du Donjon et de la chapelle de Vincennes. Le général de Gaulle pensa même à y installer la présidence de la République ! Il est de plus facile d’accès, à la fois par les transports en commun et, surtout, en autocar. Il dispose enfin de beaux espaces, faciles à aménager et même si une construction supplémentaire y est à prévoir – ainsi que vous le suggérez mais est-ce vrai ?– pourquoi pas ? On obtient parfois des réussites dans la confrontation de l’ancien et du moderne…

CFDT-Archives

Notre réponse :

La Tribune de l’Art est très heureuse de permettre à ce débat de s’engager et aux archivistes de faire connaître leurs arguments, ce que permet pour la première fois clairement ce texte de la CFDT-Archives.
Nous voudrions revenir cependant sur quelques points :

 Si nous indiquions que les deux hôtels, de Soubise et de Rohan-Strasbourg, n’avaient pas à l’origine vocation à être le siège des archives, c’était uniquement pour répondre à l’argument : « les archives sont installées à cette place depuis deux siècles. » Rien n’empêche l’affectation de monuments à d’autres usages, du moment qu’il respecte leur histoire et leurs aménagements historiques ;

 Nous avions cité Pierrefitte (voir notre premier article) ; en revanche, nous nous sommes effectivement trompé sur la répartition des archives postérieures à 1789 entre Pierrefitte et Fontainebleau. Il s’agit cependant d’un détail dans ce débat puisque l’important est bien que ces archives seront emmagasinées hors de Paris ;

 On peut penser que les expositions, conférences, concerts et manifestations culturelles diverses ne sont pas menacées par le projet de Maison de l’Histoire de France, bien au contraire ; et on imagine difficilement que les Archives n’y soient pas partie prenante.

Si tout cela relève du légitime débat d’idée, nous réfutons en revanche totalement le qualificatif « malhonnête » utilisé pour qualifier notre argument constatant que la réalisation de la Maison de l’Histoire de France allait permettre l’ouverture des jardins. Car ni le désamiantage du Caran (terminé depuis longtemps) ni aucun travaux en cours n’expliquent cette fermeture. Pour illustrer notre article nous avons dû jongler avec l’ouverture des portes afin de réussir à entrer dans ce lieu fermé depuis des lustres sans constater aucun travaux qui justifieraient qu’ils soient interdits au public. Et nous n’avons même pas pu aller voir les Chevaux du Soleil. Si l’accès à ces lieux était prévu dans le futur projet des Archives, cela à notre connaissance n’avait été dit nulle part.

Et pour terminer sur une pique volontairement un peu provocatrice et en forme de clin d’œil : effectivement, il est possible de réussir des confrontations entre l’ancien et le moderne. Mais les Archives, pour lesquelles on a construit l’horrible bâtiment du Caran juste à côté de la façade et du jardin de l’Hôtel de Rohan-Soubise, sont-elles les mieux placées pour le prétendre ?

Didier Rykner

La Tribune de l’Art

Notes

[1« Le volume des archives antérieures à 1789 s’accroîtra peut-être par de nouvelles acquisitions, mais cela ne constituera certainement pas l’essentiel des apports, qui concerneront surtout le XXIe siècle. Et ces archives à venir ne viendront pas ici, mais à Fontainebleau. On ose espérer que le projet initial l’avait prévu. D’après nos informations, le départ des archives des XIXe et XXe siècle va effectivement libérer beaucoup de place qu’il faudra bien occuper, faute de quoi le destin public de ces bâtiments ne pourra être assuré. »

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